Le pouvoir de la vue et la sainteté des yeux

Il est écrit (Béréshit 4:3-5): « Après un certain temps, Caïn apporta des produits de la terre, une offrande à l’Eternel et Havel apporta lui aussi, des premiers-nés de son bétail, les plus gras d’entre eux, et D. agréa Havel et son offrande, mais Caïn et son offrande ne furent pas agréés. Caïn en fut très fâché et son visage se défit ». Et (ibid.8): « Il advint, comme ils étaient aux champs, que Caïn se jeta sur Havel et le tua ». Rashi rapporte à ce sujet le Midrash (Béréshit Rabba 22:8): « Caïn présenta en offrande des produits de moindre qualité ».

Il y a dans ce passage un certain nombre de points qui nous étonnent, et que nous allons exposer un à un:

1. Comment se fait-il que Caïn, l’aîné des fils d’Adam, apporte en offrande à D. des fruits de moindre qualité et non pas les meilleurs? N’a-t-il vraiment pas de respect envers D.?

2. Nous sommes stupéfaits de la conduite contradictoire de Caïn. D’une part, c’est lui qui a eu l’idée d’apporter une offrande, et Havel n’a fait que l’imiter en apportant « lui aussi » une offrande. D’autre part, il n’offre de ses récoltes - que D. lui a données - que les produits de moindre qualité. N’aurait-il pas dû comprendre de lui-même que tout appartient au Maître de tout? Pourquoi a-t-il agi ainsi?

3. Après que D. lui a reproché sa conduite et dit (Béréshit 4:9): « Où est ton frère Havel? », Caïn, au lieu d’avouer sa faute, répond (ibid.): « Je ne sais pas, suis-je le gardien de mon frère? » Est-ce possible! Il faut aussi se demander pourquoi D. le met face à sa faute, et lui dit (ibid. 7): « Si tu t’améliores, tu pourras te relever, mais si tu ne t’améliores pas, ta faute sera tapie sur le seuil ». N’aurait-il pas dû comprendre cela de lui-même?

4. Il reste aussi à comprendre pourquoi, lorsque D. n’a pas agréé son offrande, Caïn « en fut fâché et son visage se défit »? N’a-t-il pas lui-même causé le rejet de D. en offrant des fruits de moindre qualité? Pourquoi est-il vexé, et de quoi a-t-il à se plaindre?

5. Il est encore plus difficile de comprendre d’où lui est venue l’idée de tuer son frère, car jusque-là personne n’était encore mort. De qui Caïn a-t-il appris le meurtre? Les Sages disent de lui (Sanhédrin 37b) qu’il ne savait pas par quelle partie du corps l’âme s’échappe et il a entrepris de frapper Havel sur tous ses membres, jusqu’à ce qu’il l’atteigne à la nuque et le tue (ce qui montre qu’il ne savait pas comment le tuer). Caïn savait bien que la faute d’Adam avait causé la mort dans le monde (Yirouvin 18b), mais il s’agissait d’une mort accidentelle, venant de D. Comment savait-il que l’âme sort du corps de par une action meurtrière exécutée par l’homme?

6. Il faut aussi comprendre autre chose. Après le meurtre, D. lui demande: « Où est ton frère? » A quoi il répond: « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère? » Les Sages disent à ce sujet (Béréshit Rabba 22:28) qu’il a trompé D. C’est une chose vraiment extraordinaire qu’il ait cru pouvoir tromper D. Ignorait-il que Celui qui créa le monde sait tout, que rien ne Lui est caché, et qu’Il connait le fond des cœurs? Au lieu de reconnaître sa faute, d’y renoncer et de se faire pardonner (Mishley 28:13), il ose encore rétorquer à D. « Est-ce que je suis le gardien de mon frère? » Comment est-ce possible?

Rappelons la faute d’Adam.

Il est écrit (Béréshit 2:25): « Il étaient tous deux dénudés, Adam et sa femme, et ils n’avaient pas honte ». Et plus loin (3:1): « Le Serpent était rusé plus que n’importe quel autre animal ». Rashi, au nom des Sages (Béréshit Rabba 18:6) demande: « Pourquoi la narration du Serpent suit-elle celle d’Adam et de sa femme, et quel est le rapport entre la nudité des uns, et la ruse de l’autre? » Il répond: « C’est pour nous enseigner ce qui a motivé la provocation du Serpent: il les a vus nus et enlacés l’un à l’autre, au grand jour, et le désir l’a saisi ».

Cela aussi est difficile à comprendre.

1. Etant donné que l’Homme et sa femme étaient dénués de toute mauvaise pensée, comment se fait-il qu’ils en soient arrivés à une faute aussi grave?

2. N’est-ce pas D. Lui-même qui a ordonné à l’Homme: « Tu ne mangeras pas de l’arbre de la Connaissance du bien et du mal car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Béréshit 2:17)? Et donc, lorsque le Serpent leur a dit malicieusement (ibid. 3:1-4): « Est-il vrai que D. vous a dit: Vous ne mangerez d’aucun de tous les arbres du Jardin... vous ne mourrez pas ». Comment se fait-il qu’ils aient écouté ses paroles et non les paroles de D.? N’est-il pas étonnant de voir que les incitations du Satan ont réussi? Nous devons donc expliquer en quoi consistait le pouvoir d’incitation du Serpent.

3. La réponse de l’Homme est des plus étonnantes (Béréshit 3:12): « La femme que Tu m’as donnée pour partenaire m’a donné à manger et j’ai mangé ». Pourquoi a-t-il rejeté le blâme sur les autres? Avait-il besoin d’obéir à sa femme? Il est également difficile de comprendre la réponse de la femme (ibid. 3:13): « Le Serpent m’a trompée et j’ai mangé ». C’est en soi le problème: pourquoi H’ava a-t-elle écouté ce que le Serpent lui disait, et non la parole de D.?

A notre humble avis, la faute d’Adam et de son fils aîné Caïn est identique et elle a la même motivation. Cela a déjà été indiqué par les Sages (Béréshit Rabba 22:28) qui nous disent que tous deux se sont repentis ensemble. « Adam a rencontré son fils Caïn et lui a demandé: quel est le résultat de ton jugement? Caïn lui répondit: J’ai fait un accord à l’amiable avec mon Créateur, et c’est alors qu’Adam a entonné le Cantique du Jour du Shabbat... » (Téhilim 92).

Leur faute découle de la même cause. Ils n’ont pas préservé la pureté et la sainteté de leur regard, dans le sens où il est écrit (Bamidbar 15:39): « Ne vous laissez pas égarer par votre cœur et par vos yeux », et les Sages d’expliquer (Yéroushalmi Brach’ot I:5) que « les yeux et le cœur sont les deux agents du péché ». C’est pourquoi nous allons tout d’abord expliquer comment préserver la sainteté du regard, qui est essentielle.

Les Sages rapportent (Méguilah 28a) au nom de Rabbi Yoh’anan: « il est interdit de regarder le visage d’un homme méchant ». La raison en est expliquée dans les livres de Cabbale. Le visage du méchant dégage des émanations impures qui imprègnent et risquent de nuire même à celui qui a le regard droit et pur. Pour la même raison les Sages ordonnent (Avot I:7): « Eloigne-toi d’un mauvais voisin et ne fréquente pas les hommes méchants ». Il est certain que nous ne pouvons pas nous protéger contre la mauvaise influence d’un compagnon ou d’un voisin méchant, et la subirons, même sans nous en rendre compte.

D’autre part, nous savons que le regard des Justes est puissant, comme disent les Sages (Brach’ot 58a): « Il n’a fait que jeter son regard sur lui et l’a transformé en un tas d’ossements » et (Brach’ot 58a): « Il a jeté le regard sur lui et l’a tué », comme Rabbi Shimon Bar Yoch’aï  et son fils Rabbi Elazar lorsqu’ils sortirent de la grotte (Shabbat 33b). Les Sages ajoutent que le regard des Justes a une influence sur les autres et peut leur communiquer des forces extraordinaires, comme le dit Rabbeinou HaKadosh (Yirouvin 13b): « Je suis plus percutant que mes amis, parce que j’ai vu Rabbi Meir de dos (étant assis derrière lui à la Yéshiva, nous précise Rashi). Si je l’avais vu de face, je serais encore plus percutant ». Le regard du Juste a un grand pouvoir, ses étincelles brûlent comme le feu.

Si le regard du Juste est tout de sainteté, les yeux du méchant sont tout de perversion et empoisonnent le cœur de celui qui les regarde au point de mettre sa vie en danger. Ainsi Rabbi Yoshoua ben Korh’a (Méguilah 28a) à qui on demandait comment il expliquait sa longévité, répondit: « de ma vie je n’ai pas regardé le visage d’un homme méchant ».

Nous trouvons dans les écrits du Ari zal, des choses étonnantes à ce sujet: il est interdit de regarder la viande d’un animal improprement abattu et devenu interdit à la consommation, car l’impureté s’attache à pareille viande et imprègne celui qui la regarde.

Le saint Rabbi Dov Beer de Mezritch ajoute qu’il est interdit de lire un livre écrit par un homme méchant, un blasphémateur ou un renégat (même si certaines choses qu’il a écrites sont justes), car la méchanceté de cet homme atteint l’âme du lecteur. Le H’afetz H’ayim, dans son livre, rapporte que les méchants inventent sans cesse de nouveaux stratagèmes pour entraîner les Juifs à fauter et priver le monde de bienfaits, par le moyen de la lecture de journaux profanes et vulgaires (les grands de toutes les générations ont insisté sur ce danger dans leurs déclarations et leurs écrits). Le Taharat HaKodesh écrit à ce sujet que les lettres (hébraïques) imprimées par des gens ignorants n’ont aucun caractère de sainteté. Dans le livre Israël Sabba, il est dit que les livres des athées et leurs journaux rendent le corps impur et entachent l’âme, comme le disent les Sages (Tossefta Shabbat 14:5): « Les livres athées provoquent la jalousie, la haine, et la rébellion contre D. » et il ajoute: « J’ai déjà répété plusieurs fois qu’il faut se laver les mains rituellement si l’on y a touché ».

Le Réchit H’och’ma, dans le chapitre sur la Sainteté (8:49-50) cite les paroles des Sages (Zohar Kedoshim 84a) concernant la perfection de celui qui sait protéger ses regards. Concernant le verset (Vayikra 19:4): « Ne vous tournez pas vers des idoles », Rabbi Shimon Bar Yohaï remarque qu’il y a là un avertissement de ne pas regarder les femmes, quiconque s’en garde jouira de la Présence divine, comme il est dit (ibid.): « Je suis l’Eternel votre D. » Si vous observez ce commandement, vous jouirez de Ma Présence.

La raison en est que si l’homme a dans le cœur un autre désir que l’amour de D., il en viendra malheureusement à l’idolâtrie, et il est écrit: « Ne tournez pas votre attention vers des idoles ». Parallèlement, la Torah promet la protection divine à celui qui s’en garde. Celui qui n’attache pas son regard à une chose indécente et n’a que des pensées saintes, mérite sans doute de voir la Présence Divine de ses propres yeux, car nul ne l’ignore, la sainteté est l’inverse de l’impudeur.

Nos Sages ajoutent à ce sujet (Nédarim 20a): « Rabbi Yoch’aï Bar Rabbi Ishayahou dit: celui qui regarde les femmes finira par fauter et contrairement, celui qui s’en garde, même s’il n’est pas Cohen, méritera d’apporter un sacrifice sur l’autel, à l’instar du Grand Prêtre ».

J’ai vu à ce sujet des choses terribles dans la deuxième partie du livre Taharat HaKodesh: « Regarder une femme est un des interdits les plus sévères de la Torah, ne pas transgresser cet interdit assure l’entrée au Jardin d’Eden ». Les Sages nous enseignent (Yalkout Shimoni Ishaya 439): « Rav Maysha petit-fils de Rabbi Yoshoua ben Levi dit: quiconque voit une chose indécente et évite de la regarder, mérite de contempler la Présence Divine comme il est dit (Ishaya 33:15): « qui ferme les yeux et ne voit pas le mal », et il est dit ensuite (ibid. 16): « celui-là habitera dans les hauteurs » et encore (ibid. 17): « Tes yeux contempleront le Roi dans Sa splendeur ». Concernant les mots « qui ferme les yeux », les Sages expliquent (Babba Bathra 57b): « il s’agit de celui qui ne regarde pas les femmes à l’heure où elles battent le linge ». Cela indique implicitement que s’il les regarde, ses péchés ne seront pas pardonnés et il en portera toujours la marque.

Il convient de remarquer que Rav Maysha ne dit pas d’un tel homme qu’il « méritera » de contempler, au futur, mais qu’il « mérite », au présent, c’est-à-dire immédiatement. S’il voit une femme et ne lui prête aucune attention particulière, s’il ne tire aucun plaisir à la regarder et s’il ne pense pas à elle, son âme s’emplit d’une grande sainteté et en cet instant il reçoit la Présence Divine, même si son corps ne le ressent pas. En cet instant, son âme est pure, le monde entier est plein de bonheur, et la Présence Divine pose un baiser sur ses yeux purs.

Le Tiféret Shlomo sur la Torah écrit des choses semblables à propos du verset (Béréshit 38:14): « Elle s’assit au carrefour des Deux Sources » (le mot eynayim signifie à la fois la source et les yeux). Il fait remarquer que nous avons là une allusion au fait que la sainteté de la Présence Divine habite le Juste dont la pensée est pure parce qu’il a su préserver ses yeux, comme il est écrit (ibid. 21): « Où est cette prostituée qui se tient sur le chemin des Sources » (comme s’il était dit « des yeux »), c’est dire que la sainteté de l’homme dépend en premier lieu de la sainteté de son regard, du fait qu’en chemin, il évite de regarder ce qu’il est interdit de voir. Selon le dicton bien connu, nombre de barrières et d’efforts sont nécessaires pour préserver la sainteté des yeux, mais il suffit d’un seul regard pour  rendre impur...

 

 

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