Le crime de Caïn et l’intégrité de Havel

Il est écrit (Béréshit 4:1-2): « Et Adam connut sa femme H’ava qui conçut et enfanta Caïn... et ensuite elle enfanta son frère Havel ». Les Sages ont dit (Béréshit Rabba 22:3): « Une sœur jumelle est née avec Caïn et deux jumelles avec Havel ». Cet enseignement découle du fait qu’à propos de Caïn la préposition eth est mentionnée une seule fois, alors que cette préposition figure deux fois pour Havel.

Pourquoi ces sœurs jumelles ne sont-elles mentionnées que par allusion? Pourquoi la Torah ne les mentionne-t-elle pas explicitement?

Avant de répondre, citons les propos de nos Sages concernant la dispute entre Caïn et Havel, comme il est écrit (ibid. 4:8): « Lorsqu’ils furent dans les champs, Caïn se jeta sur Havel son frère et le tua ». Quel était le sujet de leur dispute? Les Sages disent (Béréshit Rabba 22:16): « Caïn et Havel s’étaient partagé le monde, Caïn s’était attribué les terres, et Havel les biens mobiliers. Alors Caïn voulut expulser Havel de son domaine, prétextant qu’il marchait sur une terre qui n’était pas la sienne, tandis que Havel voulut déshabiller Caïn, disant qu’il utilisait des vêtements qui ne lui appartenaient pas ». Et les Sages ajoutent une autre raison (ibid.): « ils se sont aussi disputés au sujet de la deuxième sœur jumelle de Havel. Caïn dit: C’est moi qui l’épouse car je suis l’aîné, et Havel dit: C’est moi qui l’épouse car elle est née avec moi ». Ils se sont aussi disputés parce que le sacrifice de Havel avait été agréé mais pas celui de Caïn (Béréshit 4:4-5), et celui-ci en fut dépité et son visage se défit (ibid.).

Maintenant nous pouvons comprendre. La Torah n’avait pas encore été donnée au monde. La Torah ordonne à l’homme d’apporter des sacrifices, comme il est écrit (Vayikra 1:2): « Si quelqu’un d’entre vous (ish, un homme) veut présenter une offrande à D. ». De même, à propos des lois de l’héritage (Bamidbar 27:11) il est dit (ibid. 27:8): « Si un homme meurt sans laisser de fils, vous transférerez son héritage à sa fille », c’est donc que s’il a un fils, c’est lui qui hérite (Ketoubot 52b) et la loi stipule: « s’il n’a pas de fils les petits-fils ont la priorité sur sa fille » (Rambam, Nah’alot ch. I). Ainsi, si la Torah avait mentionné explicitement la naissance de ces sœurs jumelles, H’ava les aurait nommées et alors, lorsque Caïn et Havel présentèrent leurs sacrifices, les filles auraient accompagné leurs frères. De même, lorsque Caïn et Havel se sont partagé le monde, les filles seraient venues exiger leur part de l’héritage. Et donc, si la Torah ne mentionne pas la naissance de ces filles, c’est pour nous enseigner que les femmes sont sous la protection de leur mari (Sanhédrin 28b), qu’elles ne reçoivent pas d’héritage et ne font pas de sacrifices.

Pourquoi Caïn est-il jaloux de Havel parce qu’il a une sœur de plus, si chacune d’elles a la liberté d’aller où bon lui semble car « la femme sait où elle doit aller » (Yébamot 25a) ? Les deux sœurs qui sont nées en même temps que Havel lui appartiennent-elles, et n’ont-elles pas le droit de faire ce qu’elles veulent? Havel pense que si ses sœurs sont nées avec lui, elles lui appartiennent puisqu’elles ne reçoivent pas d’héritage, et n’ont pas le devoir de faire des sacrifices. Caïn, quant à lui, pensait que les femmes apportent des sacrifices et reçoivent une part de l’héritage (avant le don de la Torah), qu’elles sont libres, et qu’en tant qu’aîné, il a des droits sur la deuxième sœur de Havel.

Le texte vient donc trancher entre eux, en disant que le sacrifice de Havel fut agréé tandis que celui de Caïn ne le fut pas. Si ce que nous avons dit plus haut est vrai, la sœur jumelle de Caïn (sa femme) aurait apporté un sacrifice en même temps que lui, et son sacrifice à elle aurait aussi été rejeté. Si le sacrifice de Havel fut accepté, cela indique que ses deux sœurs lui appartiennent. En fait, les trois sœurs auraient dû naître avec Havel, afin de se conformer au décret de D. selon lequel (Béréshit 3:16): « La passion t’attirera vers ton époux, et il te dominera ». Quand cela s’applique-t-il? Lorsque l’homme suit les voies de D., c’est lui qui domine. Effectivement, lorsque les sœurs ont vu que Caïn ne se conduisait pas bien, elles ont toutes voulu s’en remettre à la protection de Havel. Deux lui étaient déjà attachées, et la troisième ne restait auprès de Caïn que parce qu’elle était née avec lui et qu’il était l’aîné. Ceci a provoqué la jalousie de Caïn envers Havel son frère.

La Torah ne mentionne ni la naissance ni les noms des trois sœurs. Nous savons que H’ava a entamé le processus de la dégradation en mangeant du fruit de l’arbre de la Connaissance (Shabbat 31b). Si les noms des trois sœurs étaient cités, elles aussi auraient pu mal agir et causer encore plus de dégâts dans le monde, c’est pourquoi elles ne sont pas mentionnées. Caïn a tué Havel par jalousie parce que deux sœurs sont nées avec Havel et une seule avec lui. C’est probablement de cette troisième sœur qu’il s’agit lorsqu’il est dit (Tikouney Zohar, Tikoun 69:118b): « Havel est mort à cause d’une femme ». C’est un grand malheur pour le monde qu’un Juste comme Havel, qui aurait dû donner naissance à six cent mille âmes, soit mort (ibid. 114a). Tout cela, alors que les filles ne sont pas explicitement nommées - qui sait quel mal elles auraient pu causer si, par malheur, elles avaient été mentionnées!

Il faut se demander pourquoi deux sœurs sont nées avec Havel, et une seule avec Caïn.

Il est probable que la Torah veut nous enseigner qu’il n’est pas bon qu’un homme ait deux femmes, comme Ya’akov, qui se jugeait indigne parce qu’il avait épousé deux sœurs (Pessah’im 119b). Avoir deux femmes cause des rivalités incessantes entre elles, et les Sages disent (Avot 2:7): « Celui qui augmente le nombre de ses femmes augmente les actes de sorcellerie dans sa maison ». Avoir plusieurs femmes multiplie d’autant les obligations du mari.

De plus s’il a deux épouses, les autres hommes sont jaloux de lui (comme Caïn fut jaloux de Havel), ils médisent de lui et peuvent même chercher à lui nuire, D. nous en garde.

A présent, nous comprenons le partage du monde entre Havel et Caïn. Caïn pensait que les femmes aussi reçoivent une part de l’héritage, c’est pourquoi il s’est attribué toutes les terres, afin de pouvoir les partager avec sa femme. Par contre Havel, qui considérait que les femmes ne reçoivent pas de part d’héritage, s’est contenté de prendre pour lui-même les biens mobiliers, le menu et le gros bétail, c’est-à-dire une moindre part. On pourrait se demander pourquoi en fait Caïn s’est opposé à Havel et voulait tout prendre pour lui, car si Havel l’avait voulu, il aurait pu prendre une triple part puisqu’il avait deux femmes. C’est que Caïn savait que son frère Havel était un homme droit et intègre qui ne s’opposerait pas aux principes de la Torah (selon lesquels la femme ne reçoit pas de part de l’héritage) même s’ils entraînent Caïn à s’emparer de tout, car Havel est pieux. La preuve en est que Havel a apporté les premiers-nés les plus gras de son troupeau (ibid. 4:4), les meilleurs, (Béréshit Rabba 22:5), et de plus il a apporté des choses saintes (Zohar I 54b), par contre Caïn a apporté les produits les moins bons (Béréshit Rabba ibid.) bien que le monde entier lui ait appartenu. En outre, il est dit de lui (Tikouney Zohar, Tikoun 69:114a) qu’il a apporté des choses impures, D. nous en préserve.

Cela nous montre combien la méchanceté de Caïn était grande. Devant le désintéressement de Havel qui s’était contenté sans rancune des biens mobiliers, Caïn a commencé à envier aussi les vertus des femmes de Havel qui avaient accepté ce partage sans rien exiger pour elles-mêmes. Ce fait eut naturellement pour conséquence de provoquer la discorde entre Caïn et sa femme, qui « au lieu de le soutenir est devenue belliqueuse » (Yébamot 63a). Caïn ne cessait de dire à sa femme: « Tu vois, les femmes de Havel l’écoutent, mais toi tu ne m’écoutes pas », et sa femme de lui rétorquer: « Que veux-tu dire par là? Regarde Havel, il est vraiment bon, il a renoncé à la part de ses deux femmes en ta faveur, mais toi tu t’es attribué comme un voleur des choses qui ne sont pas à toi ». Si bien que, au comble de la jalousie (et de la discorde avec sa femme) Caïn a résolu de tuer Havel et d’épouser ses deux sœurs. « Caïn était jaloux des sœurs jumelles de Havel » (Sotah 9b) et « Caïn a désiré quelque chose qui ne lui revenait pas » (Zohar I54b). La discorde entre lui et sa femme concernant le partage du monde enflamma sa jalousie. Tel est probablement le sens de: « quelque chose qui ne lui revient pas », car le monde non plus ne lui revenait pas en entier, puisque Havel aurait pû revendiquer trois parts. La jalousie de Caïn l’a amené à tuer son frère Havel et l’a exclu du monde, même de cette partie du monde qui appartenait à Havel.

Et voilà que « le sang de ton frère crie vers Moi de la terre » (Béréshit 4:10), c’est-à-dire que le sang de Havel crie de cette partie de la terre que tu t’es appropriée par le vol.

Il est clair que le nom des sœurs jumelles n’est pas mentionné dans la Torah parce que la femme n’a pas de part d’héritage (si elles avaient été mentionnées, elles auraient exigé des droits égaux à ceux de Caïn et de Havel), mais aussi parce qu’elles ont provoqué ce grand malheur, puisque c’est à cause d’elles que Caïn a jalousé Havel et l’a tué.

Il est difficile de comprendre pourquoi D. a voulu faire en sorte que Havel meure à cause des deux jumelles nées avec lui. Si c’est pour prouver la sévérité de l’interdit d’épouser deux femmes, fallait-il pour cela que Havel soit tué?

Mais nous pouvons l’expliquer sur la base du Midrash (Béréshit Rabba 63:7). Lorsque Rivka était enceinte, quand elle passait devant les sanctuaires des idolâtres, Essav s’agitait pour venir au monde, et quand elle passait devant des synagogues et des maisons d’étude, c’est Ya’akov qui s’agitait pour venir au monde. Il est possible qu’il en ait été de même pour H’ava. Caïn et Havel étaient des frères jumeaux (Pirkey D’Rabbi Eliézer 21), et il est possible que H’ava aussi, lorsqu’elle était enceinte, ait senti Havel s’agiter lorsqu’elle passait devant un lieu saint, et lorsqu’elle passait devant un lieu impur c’est Caïn qui s’agitait et tentait de sortir. Les trois sœurs jumelles furent conçues en même temps, c’est dire que ces filles leur étaient désignées par le Ciel. Deux d’entre elles se sont attachées à Havel, la troisième n’avait donc pas d’autre choix que de s’attacher à Caïn. C’est pourquoi deux d’entre elles sont nées avec Havel, et une seule avec Caïn.

En fait, pourquoi y eut-il trois filles et non deux, une pour chaque frère, ce qui aurait évité toutes les rivalités? C’est que Havel, par son essence même, ne pouvait atteindre la perfection qu’avec deux femmes. C’est grâce à ses deux femmes que sa droiture devint manifeste, ce qui ne fut pas le cas pour Caïn.

Nous devons apprendre de Havel à nous satisfaire de peu et à ne pas rechercher les plaisirs de ce monde, qui ne sont que havel havalim - vanités et bagatelles.

 

 

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