La récompense se mesure à la peine

Les Sages disent (Yébamot 62b): « Un homme qui n’est pas marié reste sans joie, sans bénédiction, sans Torah, sans protection... «  et le Talmud appuie cet enseignement en basant chacun de ces attributs sur un verset de la Torah. Même si un homme est parfaitement pur et saint, il n’aura de bonheur et ne sera béni que s’il est marié. C’est aussi la raison pour laquelle l’Homme fut créé seul. Ce n’est que lorsqu’il ressentit l’absence de joie, de bénédiction, de Torah, que l’Eternel D. l’endormit et lui présenta la Femme et il est dit (Béréshit 2:24): « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils seront unis en une seule chair ». Tant que l’homme vit dans la maison de ses parents, célibataire, il est incomplet, mais lorsqu’il se marie, il atteint la plénitude, comme il est dit: « Il les appela « homme » le jour où ils les créa » (ibid. 5:2), car la femme est incluse dans le terme « homme », et elle est son partenaire.

Même si l’homme ressent un grand bonheur à sortir de la maison de son père et de sa mère pour épouser sa femme, il doit savoir que c’est alors que vont commencer les épreuves, telles que l’obligation de pourvoir à la subsistance de sa famille et les autres soucis qu’il doit surmonter.

« Quitte ton pays... la maison de ton père et va vers la terre... », quitte la maison de ton père et de ta mère, quitte tes parents, « pour aller vers la terre », vers la femme, qui est symboliquement représentée par la terre, comme disent les Sages (Sanhédrin 74b): « La femme est la terre du monde », elle est aussi appelée « un champ » (Shabbat 118b), « que Je t’indiquerai », tel est ton destin et c’est pour ton bien, car elle est ton autre moitié, celle qui t’est désignée par le ciel, et tu vivras avec elle.

Il se peut que l’homme préfère ne pas se marier du tout, comme ce fut le cas de ben Azaÿ qui s’était entièrement consacré à l’étude de la Torah (Yébamot 63b) et qui a dit: « Comment porter un joug sur les épaules et étudier la Torah? » (Kidoushin 29b), ou du roi H’izkya. Le Talmud raconte (Sanhédrin 94b) que le roi H’izkya aurait planté une épée devant la porte des écoles en disant: « quiconque n’étudie pas la Torah sera transpercé par cette épée ». A son époque, en cherchant de Dan jusqu’à Béer Sheva et ne trouvant pas un seul garçon ou une seule fille qui ne connaissent parfaitement les lois de pureté et d’impureté. D. aurait même fait de lui le Messie si le roi H’izkya n’avait pas renoncé à se marier dans la crainte d’engendrer des enfants méchants (Brach’ot 10a) et d’être soumis à l’épreuve du mariage.

Mais l’homme ne peut éviter cette épreuve. Il faut qu’il comprenne qu’elle doit lui être profitable. Seul le mariage permet à l’homme d’atteindre la perfection voulue, même si les difficultés en sont multiples.

En fait, de quelle façon l’homme peut-il parvenir à la vie éternelle par le mariage? Grâce à la lumière qui les enveloppe, lui et sa femme, sous le dais nuptial. A cet instant-là, le Nom de D. réside sur eux, comme le disent les Sages (Sotah 17a): « Lorsque l’homme et la femme le méritent, la Présence divine les accompagne, car dans le mot ish, (homme) se trouve la lettre Youd, et dans le mot isha, (femme) la lettre Hé, qui forment ensemble le Nom de D. Youd-Hé. Dans le mot hpWj - le dais nuptial - se trouvent les lettres Vav et Hé et ces quatre lettres réunies forment le Nom de D. dont la protection les garde de tout mal. Ceci, lorsqu’ils se marient avec l’intention d’observer la Torah et les commandements, et de bâtir un foyer fondé sur la Loi et la crainte de D. C’est alors que la lumière divine les enveloppe, et alors, du mot h’ouppa, le dais nuptial, il ne reste que les lettres h’ap, qui signifie dénué, car ils sont dénués de toute faute. Lorsqu’ils se trouvent sous le dais dans l’intention de bâtir un foyer dans la sainteté et la pureté, ils sont sauvés du jp, (le piège), mot formé par les lettres de pj inversées et qui représente ce que l’on rejette, et dans ce cas la lumière céleste les enveloppe et fait leur bonheur tous les jours de leur vie (c’est le sens de « ils seront unis en une seule chair »). L’épreuve du mariage est grande, mais à la condition qu’elle soit surmontée, D. prodigue toutes Ses bénédictions.

Voyez combien grand est cet homme, Avraham Avinou, « grand parmi les géants » (Béréshit Rabba 14:6). Lorsqu’il entendit l’ordre de D. « Quitte ton pays pour ton bien et ton bénéfice propre », il fut prêt à renoncer à toutes ses entreprises et toutes ses activités, sans protester et sans tarder: « Avram partit comme le lui avait dit l’Eternel » (Béréshit 12:4), « Avram partit, dirigeant ses pas vers le sud » (ibid. 9) sans savoir où le conduisaient ses pas. Et voici qu’il arriva en Terre Sainte, qu’il parcourut du nord au sud, et d’est en ouest, et il reçut la récompense de chacun de ses pas (Béréshit Rabba 39:12, Babba Bathra 100a).

« Alors il y eut la famine dans le pays et Avram descendit en Egypte » (ibid. 10). En dépit de la promesse de D., Avraham trouve en Israël une terre aride, qui ne produit rien, alors que sa voisine, l’Egypte, « qui est remplie de corruption et de débauche » (Shemot Rabba 1:22) et « qui est pleine de sorcelleries et d’impiété » (Voir Menah’ot 85a, Shemot 7:22, Rashi) abonde en produits agricoles. Avraham ne se plaint pas et il descend, contre son gré, en Egypte, cette terre impure, car il accepte les ordres de D. avec amour, et surmonte toutes les épreuves qu’il rencontre.

Telle est la façon de servir D. Le mauvais penchant instille le doute dans le cœur de l’homme, justement lorsqu’il doit, sans raison apparente, affronter nombre de problèmes. En effet, si en obéissant aux commandements de D. de tout cœur, on est atteint de souffrances et de malheurs, cela nous amène naturellement à nous interroger sur les voies de D. Il faut savoir résister aux insinuations du mauvais penchant qui nous entraîne au doute, et au contraire, affronter ces épreuves et les surmonter, et c’est ainsi que l’on sera compté parmi les soldats du Roi, car D. n’envoie à l’homme que des épreuves qu’il puisse surmonter. Celui qui accepte de telles épreuves peut sans aucun doute les surmonter et les vaincre, et cela lui permet de s’élever jusqu’à  des hauteurs insoupçonnées.

Il convient de citer l’avis du Gaon de Loppian de mémoire bénie, dans son livre Lev Eliyahou au sujet de la guerre d’Avraham contre les rois:

« Cette guerre est étonnante, car il est clair qu’elle s’est déroulée de façon surnaturelle, et ce n’est que grâce à des miracles évidents qu’Avraham fut victorieux. Selon une opinion, il est parti en guerre accompagné seulement de son serviteur Eliézer, selon une autre opinion, accompagné de trois cent dix-huit serviteurs seulement (Nédarim 32a, Béréshit Rabba 43:2). Quoi qu’il en soit, ce petit nombre d’hommes a vaincu les armées de quatre rois dont la puissance est attestée par leur victoire spectaculaire dans leur guerre contre les cinq rois qui avaient disséminé tous les peuples qui se trouvaient sur leur chemin, entre autres les Réfayim, appelés ainsi parce que quiconque les voit est affaibli (réfé) (Béréshit Rabba 26:16, Zohar III 160b), et les Aymim, qui terrorisent (ayem) tout le monde (Béréshit Rabba 26:16). Comment Avraham a-t-il réussi à les vaincre? « La poussière qu’il leur lançait se transformait en flèches et en projectiles » (Béréshit Rabba 43:4). Il est évident que tous les peuples environnants furent témoins des miracles accomplis pour Avraham. Et il faut donc s’étonner que ces peuples-là se soient justement rendus tellement coupables. Est-il pensable qu’ils aient vraiment oublié qu’il existe un Juge et qu’il existe une justice? Comment en sont-ils venus à une si grande perversion en ayant été témoins de tels miracles? »

C’est que justement, celui à qui se présente la possibilité de connaître la vérité et qui se trouve sur le chemin du repentir, risque d’être soumis à de dures épreuves, et au lieu de recevoir les bienfaits et les bénédictions de D., il ne connaît que malheurs et souffrances. En dépit de la bénédiction et de la promesse attachées à « Lech’ Lech’a » afin de lui permettre d’améliorer ses qualités et les perfectionner, il ne rencontre qu’épreuves et souffrances, destinées à mettre à l’épreuve ses forces, comme il est écrit (Dvarim 8:2): « Afin de te mettre à l’épreuve par l’adversité et pour dévoiler ce que tu as dans le cœur, si tu es prêt à obéir à Ses commandements ou non » et (ibid. 16): « Afin de t’éprouver par l’adversité pour te combler de biens pour le reste de tes jours ».

Le roi de Sodome en voyant de ses propres yeux pareils miracles et merveilles, et la victoire totale d’Avraham, lui dit: « Donne-moi les captifs et garde pour toi les biens » (Béréshit 14:21). Il renonçait à tous les trésors et à tout le butin. Mais en fin de compte, il est lui-même retombé dans sa terrible hérésie et a opprimé son peuple, au point que le nom de son pays est devenu le symbole de la cruauté et de la tyrannie, et d’une humanité ayant perdu l’image de D. au cours de l’Histoire.

Il est étonnant que les gens de Sodome et de Gomorrhe, nonobstant de si grands miracles, soient tombés si bas (H’aguiga 5b). Pourquoi? Parce qu’ils n’ont pas surmonté les épreuves infligées par D., et par conséquent ne se sont pas élevés. L’affection exprimée par le roi de Sodome envers Avraham était intéressée. Elle était fondée sur les miracles et il est dans la nature de l’homme, lorsque les miracles cessent ou sont effacés de la mémoire, de retomber dans l’hérésie - ainsi l’amour du roi de Sodome a disparu « lorsque ce qui l’a motivé a disparu » (Avot 5:20).

Celui qui fait un retour à D. doit se garder de retomber dans ses doutes et les laisser l’envahir. Il doit savoir que s’il doit aimer D. ce n’est pas en tenant compte des miracles passés ou futurs qu’Il réalise pour lui, car l’amour risquerait alors de disparaître avec sa cause. Au contraire, il doit fortifier son attachement à D. avec une énergie renouvelée, sans condition préalable et sans recherche de gratifications.

Avraham représente l’antithèse des gens pervers de Sodome et Gomorrhe. Il aimait D. d’un amour désintéressé, et chaque fois qu’il recevait un ordre de D., il obéissait sans arrière-pensée et sans considérer les avantages personnels qu’il en tirerait. Il savait que « seul D. est le Maître de la cité (Béréshit Rabba 39:1), c’est à Lui qu’il faut adresser ses prières et c’est Lui qu’il faut servir, Lui seul est le Créateur de la lumière et des ténèbres, Il fait régner la paix, rien ne Lui est caché, rien n’échappe à Son regard et Lui seul dirige le monde. Lorsque Avraham parvint à un tel degré de foi solidement ancré, rien au monde ne put l’en détourner. C’est ce qui est écrit (Neh’emia 9:7-8): « C’est Toi... qui as choisi Avraham... Tu as trouvé son cœur fidèle... » Dans toute circonstance et à chaque évènement il est resté pur dans sa foi, dans le sens de: « sois entier »!

Avraham, dont les Sages disent qu’il est « le premier de tous les hommes vertueux » (Shir HaShirim Rabba 4:15), « le premier des Patriarches » (Béréshit Rabba 59:9), « le premier des circoncis » (Ptih’a Esther Rabba 10), « Avram est le même homme qu’Avraham, vertueux du début jusqu’à la fin » (Méguila 11a) car il était le fidèle serviteur de D.

La dernière épreuve, le sacrifice d’Yits’hak, était la plus difficile de toutes. « D. dit à Avraham: Je te prie, ne me déçois pas dans cette épreuve » (Tanh’ouma Vayera 22). Pourquoi une telle prière? Est-ce qu’Avraham a besoin que D., pour ainsi dire, le supplie?

Avraham, qui a rassemblé et multiplié les adeptes de la Torah, qui les a amenés à se placer sous la protection divine, qui les a habitués à proclamer le Nom de D. (Sotah 10b, Béréshit Rabba 43:7), qui a converti nombre de fidèles au Judaïsme et a expliqué à tous qu’ils doivent abandonner leurs idoles et ne servir que D., doit-il sacrifier son fils? Est-ce justement lui, qui de ses propres mains, va devoir détruire l’avenir du peuple juif en sacrifiant son fils unique, son bien-aimé? Cette épreuve est effectivement des plus difficiles!

Dans son livre Lev Eliyahou, le Gaon de Loppian écrit: « Cela ressemble à un roi qui dirait à son premier ministre, celui qu’il aime et qui a éduqué et élevé les fils du roi: voici, je te donne en cadeau cette épée aiguisée, mais à la condition expresse que tu décapites tous les fils du roi dont tu prends soin. Si tu ne m’obéis pas, cette épée te transpercera le cœur... Il est certain que ce ministre rétorquera au roi: Je suis prêt à mourir de bon gré d’une mort prématurée, et à me transpercer moi-même le cœur avec ma propre épée, pour ne causer aucun mal aux fils du roi que j’aime tant et ne pas les décapiter. Bien plus, mon refus prouve au roi mon amour pour lui, et peut-être n’est-ce que pour éprouver ma fidélité que le roi me donne un pareil ordre. Si j’échoue et que j’obéis à l’ordre du roi, il me décapitera moi, en disant: « C’est ainsi que tu aimes le roi! » Il en est de même pour Avraham. Comment peut-il sacrifier son fils de ses propres mains, se priver de descendance, et causer tant de peine autour de lui?

Mais c’est le mauvais penchant qui insinuait que l’épreuve du sacrifice était destinée à le récompenser si en fin de compte, il n’obéissait pas. Avraham, le serviteur de D., ne tient pas compte de tous les calculs qui vont à l’encontre de l’ordre de D., et il rejette de tels raisonnements, apparemment justifiés et évidents. Au contraire, il s’empresse d’obéir car il place sa confiance en D., sachant qu’Il ne veut pas l’entraîner à faillir en lui ordonnant de faire quelque chose qui serait contraire à Sa volonté. D. qui connaît le fond des cœurs et des pensées, sait qu’Avraham ne désire que sanctifier Son Nom dans le monde, Il connaît sa fidélité, et en fait, Il ne lui a pas ordonné de « sacrifier » son fils, mais seulement de le « présenter sur l’autel », « tu l’as présenté sur l’autel, maintenant détache-le » (Béréshit Rabba 56:8).

Pour conclure, disons que la Mishna (Avot V:3) qui détaille les épreuves d’Avraham cache un sens profond. « Avraham fut éprouvé dix fois et il a surmonté toutes les épreuves, afin de nous enseigner le grand amour de D. pour lui. » « Les actes des pères sont des modèles pour les enfants » (Sotah 34a) et nous devons prendre modèle sur Avraham et comme lui, surmonter les épreuves. De plus, D. savait que le satan allait plus tard accuser les Enfants d’Israël à la Mer des Joncs, en disant qu’eux aussi, comme les Egyptiens étaient des idolâtres (Shoh’ar Tov 15:5). C’est ainsi que D. fit précéder la maladie du remède (Méguila 13b) et Il a éprouvé Avraham dix fois, dans le but de faire bénéficier ses enfants du mérite des miracles en Egypte et à la Mer des Joncs. Avraham dut être éprouvé, non pas pour lui-même mais pour nous, afin de préserver notre propre avenir. C’est le sens de « afin de nous enseigner le grand amour de D. envers lui », car D. l’a éprouvé pour faire savoir aux accusateurs combien Avraham était aimé de D. La Mishna, en disant « il les a toutes surmontées », veut nous faire savoir qu’il est dans la nature humaine de fuir et d’éviter les souffrances, et elle veut souligner qu’Avraham n’a pas considéré que les épreuves l’affaiblissaient, mais plutôt qu’elles le fortifiaient. C’est le sens du mot nissayion, épreuve, qui est de la même racine que le mot ness, étendard, comme dans le verset: « Levez l’étendard sur les nations » (Ishaya 62:10), « Redressez-vous, soyez glorifiés » (Zohar I:140a et b). De même, les épreuves que chaque homme subit ont toutes pour but de l’élever de plus en plus haut, à des degrés toujours supérieurs de spiritualité.

(Ce chapitre reproduit le discours prononcé dans la maison du Rabbin Akiva Klein de Montréal, au cours des Sheva Brach’ot de sa fille, le cinquième jour de la Parasha Lech’ Lech’a 5751)

 

 

Article précédent
Table de matière
Paracha suivante

 

Hevrat Pinto • 32, rue du Plateau 75019 Paris - FRANCE • Tél. : +331 42 08 25 40 • Fax : +331 42 06 00 33 • © 2015 • Webmaster : Hanania Soussan