Ya’akov et Essav : La vente du droit d’aînesse

« Les enfants se bousculaient dans son sein... et les enfants grandirent, Essav était un habile chasseur.... Yits’hak aimait Essav parce qu’il était un habile chasseur... Ya’akov faisait cuire un plat... Ya’akov dit : vends-moi ton droit d’aînesse... et il vendit son droit d’aînesse à Ya’akov... et Essav dédaigna le droit d’aînesse » (Béréchith 25 :22-34).

Les rapports entre Ya’akov et Essav qui avaient déjà partagé entre eux les deux mondes dans le ventre de leur mère (Tana D’Bey Eliyahou 19) et leurs divergences ont été longuement expliqués et institués en loi (Sifri Beha’alote’ha 9 :10) : « Il est une loi immuable : Essav hait Ya’akov ». Plus nous approfondissons leur cas, plus nous nous étonnons des tribulations de ces deux frères depuis le jour de leur naissance jusqu’au jour de leur mort. Nous allons essayer de le comprendre dans la mesure du possible, après avoir formulé les questions qui se posent.

1. A propos du  verset « Ils se bousculaient dans son sein » (ibid. 25 :22), les Sages expliquent que « devant les maisons d’idolâtrie Essav tentait de venir au monde » (Béréchith Rabah 63 :7). Par ailleurs, les Sages disent (Nidah 30b) : « Avant de naître, un ange enseigne à l’enfant la Torah comme il est dit (Yov 29 :3) : Son flambeau brillait sur ma tête ». Comment Essav n’a-t-il pas eu au moins la crainte de l’ange et tentait-il de fuir pour courir vers les idoles ?

2. Pourquoi est-ce justement lorsque Rivka était au dehors que les enfants se poussaient l’un l’autre, et non pas dans la maison d’Yits’hak, où tout au moins Ya’akov aurait dû avoir le désir de sortir, attiré par la sainteté qui y régnait ? De plus, après leur naissance, la Torah ne nous raconte pas leur enfance. Pourquoi ?

3. Il est étonnant qu’Yits’hak ait eu une préférence pour Essav parce qu’il chassait pour lui du gibier (ibid. 25 :28). Si les Sages disent qu’Essav captivait les gens par ses tromperies et son double langage (Béréchith Rabah 63 :15, 97 :9), comment se fait-il qu’Yits’hak n’ait pas discerné ses mensonges ? Est-ce que Rivka ne lui en a pas parlé afin qu’il le corrige ?

4. Pourquoi Essav a-t-il exigé de Ya’akov le plat que ce dernier avait préparé pour son père, en deuil de la mort d’Avraham survenue ce jour-là (Baba Bathra 16b ; Béréchith Rabah 63 :16) ? Manquait-il de quoi manger dans la maison de son père au point de désirer ce plat de lentilles qui est, comme on le sait, une nourriture de pauvres ? Lorsqu’il lui demande ce plat, pourquoi dit-il « de ce plat rouge » (ibid. 25 :30), et non pas « de ce plat de lentilles » ? Et pourquoi la répétition du mot « rouge » - µdoah µdoah ˆm » « hzh ?

5. Ya’akov profite d’un moment de faiblesse, où son frère Essav est affamé, pour lui demander de lui vendre son droit d’aînesse en échange du plat de lentilles, comme il est écrit (ibid. 25 :31) : « Vends-moi ce jour ton droit d’aînesse ». Si Essav ne lui avait pas vendu son droit d’aînesse, est-ce que Ya’akov ne lui aurait pas donné à manger ? Il faut aussi expliquer pourquoi Ya’akov demande à Essav de lui prêter serment, comme il est dit (ibid. 25 :33) : « Jure-le moi aujourd’hui ». Essav a agi poussé par une grande faim (et cela le troublait à tel point qu’il en avait même oublié le nom du plat et l’a appelé « µdoah µdoah, de ce rouge ») et dans ce cas, comment valider ce serment fait sous la contrainte, puisque « celui qui agit sous contrainte est exempté » (Baba Kama 25b). Ce fut le cas de Rabbi Akiva (Kala Rabbati 2) qui avait fait un serment en paroles, mais l’avait annulé dans son cœur, car il était dans une situation de vie ou de mort. De même David HaMelekh, fuyant devant Shaül, se réfugie à Nov où il arrive presque mort de faim, et là, il reçoit à manger le pain sacré (dont la  consommation est interdite à celui qui n’est pas prêtre), comme il est écrit (Chmouel I, 21 :7) : « Le prêtre lui donna le pain sacré car il n’y avait rien d’autre que les pains de proposition... » et les Sages nous enseignent à ce sujet (Yalkout ad. loc. 130) qu’en cas de danger de mort, l’interdit est levé. Et alors comment Ya’akov peut-il se fier au serment d’Essav ?

Nous allons tenter de répondre à ces questions. Ya’akov et Essav, enfants, avaient un comportement adulte puisque déjà dans le ventre de leur mère ils se bousculaient comme des gens raisonnables qui savent ce qu’ils font. Leur naissance aussi était hors du commun, en dehors des lois de la nature, puisque Ya’akov, qui avait décidé de retenir son frère à tout prix, tenait dans sa main le talon d’Essav (Béréchith 25 :26) afin de l’empêcher de naître le premier, car c’est Ya’akov qui fut conçu le premier (Béréchith Rabah 63 :8) et c’est pourquoi il s’appelle Ya’akov, (du mot « ékev » qui désigne le talon).

Il est dit que « les enfants grandirent », sans nous raconter leur enfance car ils ne se conduisaient pas comme des enfants. Bien qu’ils aient ensemble étudié la Torah (Béréchith Rabah 63 :14 ; Yalkout Chimoni 110), ce n’est qu’à l’âge de la bar mitsva que la différence entre eux se fit sentir, Essav prenant un mauvais chemin, trompant les gens, et Ya’akov étant assidu dans l’étude de la Torah.

Considérons le sens du verset : « Yits’hak aimait Essav car il était un habile chasseur ». Quelle est la raison de cet amour, et quel est le rapport entre cette préférence pour Essav et l’art de la chasse ?

Citons tout d’abord le Rambam (Halakhoth Akoum 1 :3) : « Avraham fut le premier à proclamer la connaissance de D. dans le monde, comme il est écrit (Béréchith 21 :33) : « Et là, il proclama le Nom de l’Eternel, D. du monde ». Le Raavad (ad. loc.) fait remarquer que Chem et Ever ont précédé Avraham et les Patriarches qui étudiaient la Torah chez eux (Méam Loez, Noa’h 257). Comment se fait-il que Chem et Ever n’aient pas protesté contre les pratiques des gens de leur temps et brisé les idoles ? Les commentateurs (Kessef Michné ad. loc.) répondent à cela que « Chem et Ever enseignaient la voie de D. à leurs élèves, mais n’ont pas proclamé Son existence comme le fit Avraham, et c’est en quoi il leur est supérieur ». Chem et Ever restaient dans leur Yéchivah, seuls ceux qui venaient y étudier recevaient des directives quant à la vraie croyance et au service de D., et ces gens-là étaient peu nombreux. Le Migdal Oz explique : « Ils corrigeaient leurs proches et comme Ya’akov enseignaient à ceux qui venaient les écouter, mais ils ne se sont pas sacrifiés, comme Avraham qui en a fait sa vocation et en a payé le prix. C’est pourquoi la vertu de générosité sur laquelle reposent le ciel et la terre est attribuée à Avraham ». Cet auteur se réfère au commentaire des Sages (Béréchith Rabah 12 :8 ; Cho’har Tov 104 ; Zohar I, 138a) : « Telles sont les origines du ciel et de la terre lorsqu’ils furent créés », où le mot Béhibarham (quand ils furent créés) est interprété par les Sages comme s’il était écrit, b’Avraham, pour signifier que le monde fut créé pour Avraham qui fut le premier à proclamer devant tous la connaissance de D. C’est en cela qu’Avraham surpassait Chem et Ever, car c’est avec un don total de soi qu’il allait vers les gens, de ville en ville, afin de leur faire connaître la souveraineté de D., contrairement à Chem et Ever dont tous les efforts se limitaient à habiter la sainteté d’un lieu clos.

Yits’hak se figurait qu’Essav, qui se comportait dans la maison comme Ya’akov, suivait aussi la voie d’Avraham lorsqu’il était hors de la maison. En disant qu’Essav « était un habile chasseur », il voulait dire qu’Essav attrapait les gens qui prenaient le mauvais chemin et les dirigeait dans le sens de la vraie foi et du repentir. C’est pourquoi il le préfère à son frère Ya’akov qui apprenait la Torah dans les quatre coudées de la maison d’étude, sans la propager publiquement - il pensait qu’Essav suivait la voie d’Avraham.

C’est ce que Rashi explique (ibid. 25 :27) citant les Sages (Béréchith Rabah 63 :14) à propos du verset « les enfants grandirent » : « tant qu’ils étaient petits, ils ne se distinguaient pas l’un de l’autre par leurs actes... », c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune différence entre Ya’akov et Essav. L’un agissait mal en cachette, l’autre agissait bien en cachette, et personne ne les voyait.

Mais vint le jour du test. Ce fut le jour du décès d’Avraham. Ya’akov prépara un plat de lentilles pour le repas de son père en deuil, un plat qui rappelle le jour de la mort, car ce n’est qu’en se rappelant le jour de la mort que l’on se repent de ses fautes, comme le disent les Sages (Brach’oth 5a) : « Il faut sans cesse combattre le mauvais penchant à l’aide du bon penchant... et se rappeler du jour de la mort ». Ya’akov servait son père Yits’hak, et comme on le sait, celui qui est en deuil ne peut pas étudier la Torah (qui est une source de joie) (Moed Katane 15a, 21a ; Sma’hoth Ch. 7). La coutume est de manger des lentilles et « une coutume juive a force de loi » (Tossafot Mena’hoth 30b ; Mathé Ephraïm 610), afin de se souvenir, pendant ce repas, du jour de la mort, car la vie est « une roue qui tourne » (Baba Bathra 17b).

Ya’akov et Yits’hak s’affairaient aux rites du deuil lorsque Essav rentra des champs fatigué (Béréchith 25 :29), « fatigué d’avoir commis ce jour-là cinq transgressions majeures, et même tué Nimrod » (Baba Bathra 16b ; Béréchith Rabah 63 :16, 65 :12). Malgré sa fatigue et sa faim, il ne se rendit pas chez lui, mais chez son père car sans aucun doute il avait appris le décès de son grand-père Avraham  et savait que toute la famille en deuil était réunie dans la maison d’Yits’hak. Il savait aussi que dans la maison de son père, se succédaient des jours pleins de joie et des jours de tristesse et de douleur qui ont chacun leurs lois propres, et il est allé chez son père apprendre quelle nourriture doit être servie aux gens en deuil. C’est une des failles d’Essav, qui, au lieu d’aller partager la douleur de son père et le consoler, est allé « aux cuisines » voir ce qu’on y préparait à manger, c’est-à-dire qu’il y allait pour se sustenter, attiré qu’il était par la nourriture et les boissons.

Être l’aîné est une épreuve dans le service de D.

Il faut comprendre le raisonnement de Ya’akov. En cette heure difficile, alors qu’Essav rentre des champs, fatigué et affamé, après avoir tué le roi Nimrod « qui avait incité les autres à se rebeller contre D. » (Yirouvin 53a, ‘Haguigah 13a ; Zohar I, 73b), et « pris en butin les précieux vêtements d’Adam qui effrayent les animaux » (Béréchith Rabah 65 :12 ; Pirkey D’Rabbi Eliézer 24), il voit que Ya’akov prépare un plat de lentilles, qui rappelle à l’homme qu’il est mortel afin de lui donner du courage. Essav est exténué, et c’est dans cette situation que Ya’akov le presse de lui vendre le droit d’aînesse ! N’est-il pas écrit (Vayikra 19 :16) : « Ne te détourne pas du sang de ton prochain ». Peut-être Essav va-t-il mourir soudain de soif et de faim avant d’avoir le temps de vendre le droit d’aînesse ? Nous savons combien Na’houm Ich Gamzo (Ta’anith 21a) s’est mortifié pour avoir tardé à donner à manger à un pauvre qui, sous ses yeux, mourut d’inanition.

La question revient donc : Pourquoi Ya’akov a-t-il profité, justement à ce moment-là, de la faiblesse d’Essav pour lui demander de lui vendre le droit d’aînesse, sans craindre qu’entre temps Essav ne risque de mourir de faim et de soif ?

C’est qu’en fait, Essav n’était pas en danger de mort car dans ce cas, il se serait empressé de rentrer chez lui se restaurer. Il s’est rendu chez son père Yits’hak pour savoir quelles sont les coutumes en période de deuil et quels sont les plats qui conviennent à une telle occasion. Il convoita le plat que Ya’akov avait préparé, ce qui fit comprendre à Ya’akov qu’Essav avait toute sa raison. S’il demande à manger avant de visiter son père, c’est que seul son appétit le préoccupe. Ya’akov a donc saisi ce moment pour le mettre à l’épreuve et savoir s’il méritait ou non de se consacrer au service de D. par  la suite en tant qu’aîné. (voir Bamidbar Rabah 4 :6).

Même si l’on pense que jusqu’à ce moment-là, Ya’akov ignorait la méchanceté d’Essav, on peut dire qu’il l’a découverte au moment où Essav, au lieu d’aller consoler son père, a préféré, dans sa gourmandise, un plat de lentilles. Essav se faisait passer pour vertueux aux yeux du monde, « semblable au cochon qui expose ses sabots fendus et dit : voyez ! je suis pur ! » (Béréchith Rabah 65 :1). S’il avait mangé de la viande et du poisson, choses qu’une personne en deuil ne consomme pas, il aurait certainement perdu le respect des gens.

C’est pourquoi Ya’akov a choisi justement ce moment-là pour mettre Essav à l’épreuve. Ce jour-là, Essav avait tué Nimrod, dont le nom signifie qu’il avait incité les autres à se révolter (lim’rod) contre D. (‘Haguigah 13a). Les actions de Nimrod étaient contraires à celles d’Avraham et Yits’hak, car il semait, lui, la confusion dans l’esprit des gens à propos de D. (Zohar III, 73b), et donc, il semblerait à première vue qu’Essav l’avait tué pour l’amour du Ciel. S’il avait vraiment agi pour l’amour du Ciel, il est certain que sa victoire aurait constitué la preuve qu’il avait bénéficié de  l’aide et la protection de D. pour tuer et éliminer Nimrod, prototype des tyrans. De plus Ya’akov, voyant qu’Essav désirait manger de ce plat de lentilles, comprit qu’il y avait une étincelle de bonté en lui, puisqu’il participait au deuil en partageant son repas.

Si par contre Essav n’a pas agi pour l’amour du Ciel, cela prouve rétrospectivement que sa méchanceté dépasse de loin celle de Nimrod, ce qui révèle sa vraie nature. Son désir de manger de ce plat de lentilles n’était qu’un faux semblant pour tromper tout le monde.

C’est pourquoi Ya’akov, en lui donnant de ce plat, explique à Essav que « les lentilles rappellent à tous qu’ils doivent mourir » (Brach’oth 17a) et qu’il doit se repentir sincèrement de ses fautes. Comment ? En étudiant la Torah chaque jour (Mena’hoth 43b) comme il est dit dans le verset (Devarim 10 :12) : « Et maintenant, ô Israël, l’Eternel ton D. ne te demande que de craindre l’Eternel, ton D., de suivre toutes Ses voies, de L’aimer, et de Le servir de tout ton cœur et de toute ton âme ». Mais aujourd’hui qu’il est interdit d’étudier la Torah à cause du deuil (Sma’hoth ch. 7), il faut méditer profondément sur le jour de la mort afin de ne pas fauter.

Telle était la première épreuve que Ya’akov fit subir à Essav afin de savoir s’il allait accepter les coutumes ancestrales, s’il allait dire les cent bénédictions quotidiennes - surtout le jour où il avait tué Nimrod, et était capable d’atteindre les plus hauts degrés s’il prenait sur lui le joug divin pour devenir vertueux - ou s’il allait refuser cette voie.

Essav lui répondit : « Laisse-moi dévorer, je te prie, ce plat tout rouge... c’est pourquoi il fut nommé Edom (le Rouge) » (ibid. 25 :30), c’est-à-dire : Je n’ai aucune part dans ces cent bénédictions qui apportent la prospérité dans le monde, car les nations du monde se suffisent de la prospérité qu’ils reçoivent pour et par Israël (Yérouchalmi Guitin, fin du Ch. 5), et je n’ai aucune part non plus dans cette prospérité, pas plus que dans « les coutumes juives qui sont des lois ». Tout cela est indiqué dans l’expression « laisse-moi dévorer », autrement dit : « Je vais ouvrir ma bouche comme celle du chameau, et sans que je peine, tu vas la remplir » (Béréchith Rabah 63 :12) : Je ne veux que jouir de l’abondance et des bénédictions que vous faites venir dans le monde, sans m’obliger à prendre la peine de prier, de prononcer les bénédictions et d’observer toutes les coutumes.

C’est le sens de la répétition : « ce plat rouge-rouge ». Les mots ha-adom ha-adom ont la valeur numérique de cent, le nombre des bénédictions dont Essav voulait profiter sans peiner, sans faire lui-même l’effort de prier et de dire les bénédictions. C’est comme s’il avait dit « ce qui est à toi est à moi, et ce qui est à moi est à moi » - attitude qui caractérise « les habitants de Sodome et les gens méchants » (Avoth 5 :11). Tu peux prier, moi je veux jouir. Essav a transmis cette attitude à ses descendants qui sont appelés Edom, tous méchants comme lui, qui volent et pillent et jouissent des biens des autres. C’est la deuxième preuve de la méchanceté d’Essav (la première étant qu’au lieu d’aller consoler son père, il s’est rassasié, ne pensant qu’aux jouissances de ce monde).

Malgré tout, Ya’akov continue à juger Essav favorablement comme le disent les Sages (Avoth 1 :6 ; Tana D’Bey Eliyahou Zouta 16) : « Tu dois juger chaque personne favorablement ». Peut-être ce mauvais comportement (il ne partage pas le deuil, il néglige les cent bénédictions et n’observe pas les coutumes ancestrales) est-il passager, dû à la fatigue, et ses intentions sont-elles bonnes. C’est pourquoi Ya’akov le met à l’épreuve une seconde fois, cette fois par le biais du droit d’aînesse, afin de savoir si ce droit a de l’importance à ses yeux ou non. Jusqu’à l’inauguration du Tabernacle dans le désert, la prêtrise était confiée aux premiers-nés (Béch’orot 4b ; Béréchit Rabah 63 :18) et ce n’est que le jour où le Tabernacle fut inauguré qu’ils perdirent la prêtrise pour avoir participé au crime du veau d’or, et la tribu de Lévi fut chargée de tous les devoirs du service du Temple. Nous savons que les Patriarches faisaient des sacrifices (Béréchith 12 :18, 35 :7) car ils étaient des premiers-nés, consacrés à D.  Si Essav avait l’intention de servir D. et que son mauvais comportement n’était dû qu’à la fatigue, il est certain que le droit d’aînesse compte pour lui et qu’il n’y renoncera pour rien au monde. En effet, les sacrifices autant que le droit d’aînesse, sont des moyens puissants de se rapprocher de D., et Caïn n’avait tué Havel que pour s’assurer ces droits (Béréchith Rabah 22 :16).

Si vraiment Essav tient de son grand-père Avraham qui est mort ce jour-là - un grand-père qui n’a pas discuté les raisons de D. et qui était prêt à sacrifier son fils unique - il ne renoncera pas au droit d’aînesse et ne le vendra pas. Il préférera mourir plutôt que de faire une chose pareille ! Et alors, Ya’akov, voyant qu’Essav refusait de lui vendre le droit d’aînesse, aurait su qu’effectivement il avait tué Nimrod avec l’aide de D., chose que même son grand-père Avraham n’avait pas réussi à faire dans sa guerre contre les cinq rois. Et donc, il aurait été convenable et juste qu’il soit l’aîné, et il aurait été tout à fait possible à Essav de se repentir de tout cœur. D’autant plus qu’en refusant de vendre le droit d’aînesse, il aurait montré qu’il désirait servir D., comme le dit Rachi à ce sujet (ibid. 25 :32) : « Essav demanda à Ya’akov en quoi consistait ce service ? » exprimant par là qu’il était encore attaché à son droit d’aînesse. Et donc il aurait pu s’élever progressivement jusqu’à surpasser Ya’akov, et rétrospectivement, l’amour de Yits’hak se serait révélé justifié, si Essav avait été sincère, vertueux et droit.

Mais Essav a dédaigné le droit d’aînesse, il l’a méprisé (Béréchith Rabah 63 :18), il a refusé la Loi de D., les coutumes juives, et les obligations religieuses. Il s’aimait lui-même plus qu’il n’aimait son père, puisqu’au lieu d’aller le consoler il ne pensait qu’à dévorer des mets appétissants. Il était tellement avide qu’il désirait jouir non seulement de ce qui lui appartenait, mais aussi de ce qui appartenait aux autres.

Ya’akov, dans sa sagesse, révéla au grand jour la vraie nature de Essav. Si personne, auparavant, ne se rendait compte de sa méchanceté, dorénavant tous sauraient faire la distinction entre les descendants d’Avraham et les descendants d’Essav qui vivent « à la pointe de leur épée » (Béréchith 27 :40). Sa fin prouve que depuis le début il n’était qu’un voleur et un brigand, plein de ruses et de tromperies.

Il est écrit dans le Beit Israël de l’Admor de Gour (Section Toledoth, 5728, article 2) : « Vient ensuite le droit d’aînesse que Ya’akov a acquis, au moment de la mort d’Avraham. Ce moment était favorable à une telle acquisition, parce que ce jour-là le monde fut délivré de l’emprise de Nimrod. Ya’akov s’est approprié le droit d’aînesse, ce qui lui permit de s’approprier plus tard les bénédictions et de devenir, lui, l’aîné grâce à cette vente ».

Selon le Beit Israël, Ya’akov aurait éprouvé Essav afin de savoir s’il méritait le droit d’aînesse, s’il était capable de présenter les sacrifices devant D. avec l’intention de Le servir. S’il avait tué Nimrod et par là affaibli l’emprise du mal, le droit d’aînesse et les bénédictions lui seraient revenus de droit et Ya’akov n’aurait pas pu les acquérir. C’était pour Essav une occasion propice de s’élever en surmontant cette épreuve. C’est pourquoi Ya’akov lui dit : « Vends-moi ce jour le droit d’aînesse ». Un refus de la part d’Essav aurait signifié qu’il n’était pas prêt à renoncer à son privilège de présenter les sacrifices, et cela lui aurait permis de se repentir. Mais en acceptant de vendre ce droit, il ne fait que confirmer sa déchéance, et il vaut mieux lui acheter le droit d’aînesse et le priver des bénédictions afin de diminuer son pouvoir de faire le mal.

Maintenant nous comprenons que les Sages disent (Baba Bathra 16b) : « Essav a renié le principe de la résurrection des morts ». Comme nous l’avons dit plus haut, Ya’akov a expliqué à Essav que nous mangeons des lentilles uniquement pour nous rappeler le jour de la mort afin de nous repentir de nos fautes, mais Essav lui a répondu (ibid. 25 :32) : « Je vais vers la mort » - je ne crois pas qu’il y ait une vie après la mort, au contraire « il n’y a pas de Juge et il n’y a pas de Justice » (Vayikra Rabah 28 :1 ; Midrach Téhilim 47 :6). Celui qui meurt est mort pour de bon ; ainsi certains non-juifs pensent que chaque jour est un cadeau de vie et qu’il n’y a pas de vie éternelle de l’âme. C’est ce qui est dit d’Essav : il dédaigna le droit d’aînesse (ibid. 25 :34), ainsi que la résurrection (Béréchith Rabah 63 :20), ce qui montre qu’il était en pleine possession de son esprit lorsqu’il vendit le droit d’aînesse, proclama  n’avoir aucune part ni dans la Torah ni dans les lois juives, et ne pas désirer être compté parmi les descendants d’Avraham qui sont appelés Yéhoudim, à cause de la qualité de miséricorde qui les caractérise à l’instar d’Avraham (Zohar III, 302a). Essav préfère se séparer de Ya’akov et former un peuple différent, Edom, qui se caractérise par la force de son bras (voir Béréchith Rabah 63 :17), comme il est écrit : « Tu vivras à la pointe de ton épée » (Béréchith 27 :40).

La fin confirme le début, et la fin d’Essav confirme ce qu’il était dans le fond, méchant et destructeur dès le début. Malgré le fait que les deux frères ont grandi et ont été élevés dans la même maison, sous l’influence d’Yits’hak leur père, l’un des enfants était vertueux et l’autre méchant. « Essav était encadré de deux personnes vertueuses mais il n’a rien appris de leur conduite » (Yoma 38b). A plus forte raison, s’il avait grandi en compagnie de gens méchants, il aurait été encore pire, à cause de ses appétits - l’appétit de l’argent, du vol, et des plaisirs matériels, le goût du mensonge et de la tromperie, car il était un « homme des champs » (Béréchith 25 :27), et l’atmosphère du foyer n’avait eu aucun effet sur lui. « Chacun est aidé par le Ciel dans la voie qu’il choisit de suivre » (Makoth 10b ; Zohar I, 198b). Ya’akov choisit un chemin spirituel et sanctifié, Essav s’est tourné vers les choses impures.

Nous comprenons maintenant pourquoi Essav n’avait aucune crainte de l’ange qui lui enseignait la Torah dans le ventre de sa mère et qu’il voulait sortir adorer les idoles (ce sont nos questions 1 et 2). C’est que déjà dans le ventre de sa mère il avait le choix, ce n’est pas le mauvais penchant qui le dominait, mais de lui-même il avait choisi pour sa part le monde matériel (dans le partage qu’il fit avec Ya’akov), et l’ange n’a fait que le conforter dans son choix. A vrai dire, il aurait pu choisir le bien car l’enfant dans le ventre de sa mère est comme le premier Homme avant la faute. Il a mangé de l’arbre de la Connaissance, parce qu’il avait reçu le libre arbitre et non pas à cause du mauvais penchant. Nous connaissons l’avis d’Antoninus (Sanhédrin 91b ; Béréchith Rabah 34 :12) selon lequel « le mauvais penchant ne s’empare de l’homme qu’à sa naissance », un avis que Rabbi a partagé. Essav, déjà dans le ventre de sa mère, avait fait son choix, et l’ange confirma : C’est comme tu veux !

Chacun, quel qu’il soit, doit éviter de se laisser entraîner par les plaisirs éphémères de ce monde. S’il n’a pas le courage, comme Ya’akov, de dominer son mauvais penchant, il risque, malheureusement, de se laisser entraîner comme Essav.

Ya’akov et Essav voulaient naître prématurément, chacun pour des raisons propres. Ya’akov ne voulait pas rester dans le ventre de sa mère car après avoir goûté à la vie éternelle dans son étude avec l’ange, il désirait étudier dans les maisons d’étude de Chem et Ever et mettre en pratique les lois de la Torah et ses commandements. Par contre Essav désirait naître parce qu’il voulait goûter à la vie de ce monde et il méprisait son étude avec l’ange. Il voulait devenir un « homme des champs », c’est-à-dire qu’en lui brûlait déjà le penchant au vol et au brigandage. Yits’hak reconnut que « les mains sont les mains de Essav », qui accumule à pleines mains le vol et les larcins. Sa méchanceté est indiquée par les mots ich sadéh, (un homme des champs) dont la valeur numérique est la même que celle des mots ech béyado (du feu dans ses mains), c’est-à-dire que dans ses mains, en son pouvoir, se trouve le feu de l’appétit pour toutes les choses interdites.

Nous pouvons donc comprendre pourquoi c’est uniquement dehors, devant les maisons d’étude ou bien les maisons de débauche que les enfants cherchaient à naître, tandis que dans la maison d’Yits’hak ils étaient calmes.

Essav n’ignorait pas que tout homme a l’obligation de se conduire avec pudeur et sainteté, qu’il doit se détacher des vanités de ce monde et ne s’attacher qu’aux valeurs de la Torah et à ce qui conduit à la vie éternelle. Il est donc certain qu’il ressentait un grand plaisir lorsque sa mère était à la maison, dans la maison d’Yits’hak, en présence de Ya’akov et de l’ange qui lui enseignait la Torah. Mais lorsque sa mère passait devant les lieux de débauche, il n’arrivait pas à surmonter ses désirs et, ayant le plein exercice de son libre arbitre, il se débattait pour naître.

Un tel choix se présente devant tout jeune homme lorsqu’il sort de la Yéchivah. Il doit se conduire comme ses parents et ses maîtres le lui ont enseigné, de peur d’être entraîné par les multiples attraits de la rue. C’est là que commence la lutte acharnée pour savoir qui sera le plus fort, le pouvoir d’attraction du mal ou effectivement, le choix du bien.

De son côté, Ya’akov encore dans le ventre de sa mère, se sentait bien lorsqu’elle était chez elle, mais lorsqu’elle sortait il était mis à l’épreuve par son mauvais penchant qui le tirait vers l’idolâtrie, c’est pourquoi il se débattait pour naître devant les maisons de prières, car en fait, il ne voulait pas que sa mère quitte la maison, il voulait qu’elle rentre soit à la maison soit dans la maison d’étude, afin de s’éloigner autant que possible du mauvais penchant et mettre en pratique le principe : « Si ce vilain te rencontre, entraîne-le dans la maison d’étude » (Soucah 52b ; Kidouchin 30b).

Nous pouvons ajouter à cela que lorsque Rivka était à la maison, Essav ne voulait pas naître. Il ne voulait pas entrer dans ce monde où il devrait observer la Torah et ses commandements, ce dont il était dispensé dans le ventre de sa mère. C’est pourquoi il ne la dérangeait pas dans la maison. Mais lorsqu’elle sortait, il ne pouvait pas surmonter son mauvais penchant et il pensait qu’elle allait peut-être accoucher de lui ; c’est pourquoi il voulait naître devant les maisons d’idolâtrie afin de ne pas devenir prisonnier d’un monde spirituel. Ya’akov, lui, se sentait à la maison comme s’il était à la Yéchivah, il ne cherchait pas à naître, mais lorsqu’elle était dehors, il tentait de sortir pour atteindre la Yéchivah.

Tel doit être le désir de chaque Juif : une vie d’observance de la Torah, de pratique de ses commandements, une vie de sanctification et de pureté.

 

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