Les Justes vivent une vie de Torah

Maintenant nous pouvons comprendre que les Sages disent (Béréchith Rabah 84:1): « Ya’akov désirait vivre une vie tranquille mais le malheur de Yossef le saisit… la plénitude réservée aux hommes vertueux dans le monde à venir ne leur suffit-elle pas pour qu’ils désirent aussi vivre une vie tranquille en ce monde? »

Il est difficile de comprendre que Ya’akov, l’élu d’entre les Patriarches, ait pu vouloir vivre tranquillement en ce monde. Désirait-il le repos uniquement pour pouvoir se reposer? Et s’il désire vivre tranquillement dans le but de s’élever et de mieux servir D. et non pas pour son propre confort, pourquoi le lui refuser?

Ya’akov est toujours vivant de même que la Torah est vivante (Midrach Michlei 10), elle est « un arbre de vie pour ceux qui s’y attachent » (Michlei 3:18), et « les Justes sont considérés comme vivants même après leur mort » (Avoth DéRabbi Nathan 34:10). Ya’akov est un homme de vérité, comme il est écrit « Tu as donné la Vérité à Ya’akov » (Mich’a 7:20), et « la Torah est appelée Vérité » (Yérouchalmi Roch Hachanah III:8). La mort n’avait aucune emprise sur Ya’akov. Il servait D. dans les conditions les plus difficiles, il ne connaissait ni le sommeil – qui est un soixantième de la mort – ni la mort, car la Torah l’aidait à ne pas connaître le goût de la mort. A partir du moment où il aspirerait à une vie tranquille, cette tranquillité pourrait l’amener au repos, et le repos au sommeil, et le sommeil à la mort. C’est pourquoi D. dit : « Le repos qui lui est réservé dans l’autre monde ne lui suffit-il pas? » C’est-à-dire durant toute sa vie, il s’efforce d’entrer vivant dans l’autre monde sans connaître le goût de la mort, et maintenant, il veut déjà y renoncer? Le malheur de Yossef le saisit afin de l’empêcher de vivre tranquille et serein, pour que la mort n’ait pas d’emprise sur lui et qu’il reste vivant éternellement.

Quel est exactement « le malheur de Yossef » qui le saisit? Ya’akov savait par prophétie que si aucun de ses fils ne mourait de son vivant, ce serait pour lui signe qu’il méritait l’autre monde (Rachi, Méam Loez Béréchith 37:35; Tan’houma Vayigach 9), dans le sens où il est dit: « tu sauras de ton vivant à quel monde tu appartiens ». Et voilà que son fils Yossef disparaît, peut-être est-il mort, ce qui indiquerait qu’il n’est pas parfait et qu’il va perdre sa part de l’autre monde. Quelle est la raison d’un tel malheur? Lorsque ses fils lui annoncent que « Yossef est toujours vivant » (Béréchith 45:26), « la vie revint dans le cœur de Ya’akov leur père » (ibid. v. 27) car il sut alors qu’il n’avait rien perdu, que tous ses fils avaient été saintement conçus, et « il est revenu à la vie », dans le sens qu’il ne connaîtra pas la mort et méritera le monde à Venir.

C’est justement grâce au malheur de Yossef que Ya’akov le comprit. Il est écrit: « Tels sont les engendrements de Ya’akov, Yossef » (Béréchith 37:2), et les Sages expliquent (Béréchith Rabah 84:6): « tout ce qui arriva à Ya’akov arriva à Yossef ». De plus Ya’akov étudiait beaucoup avec Yossef, « il lui enseigna tout ce qu’il savait » (Béréchith Rabah 84:8) et c’est justement Yossef qui l’a sauvé, car lorsque Ya’akov fut pris du désir de vivre tranquille en ce monde (ce qui l’aurait amené à dormir et à mourir), le malheur de Yossef l’empêcha de dormir tant il craignait la sévérité du décret. Maintenant, en apprenant que Yossef est vivant et que lui, Ya’akov, mériterait le monde à Venir, il fut saisi d’un bonheur immense et dit: « Il suffit! Mon fils Yossef vit encore! (Béréchith 45:28), c’est-à-dire: J’ai un grand mérite que mon fils Yossef soit vivant, car c’est grâce à lui que j’ai tant souffert, et je n’ai perdu ni ma vie dans l’autre monde, ni ma vie en ce monde, mais je reste vivant, dans le sens où il est dit: « Les engendrements de Ya’akov, Yossef ».

Maintenant nous pouvons expliquer et comprendre pourquoi les souffrances s’accumulent sur l’homme, au point qu’il en vient à se demander: Pourquoi D. agit-Il ainsi envers moi? D’autant plus qu’il s’agit d’un homme qui possède une grande crainte de D. et qui ne désire qu’accomplir Sa volonté. Pourtant, « nombreuses sont les pensées de l’homme, mais c’est la volonté de D. qui se réalise » (Michlei 19:21), et « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas Mes voies » (Ychaya 55:8), et « tout ce que D. fait, Il le fait pour le bien» (Bach’oth 60b; Zohar I, 181 a), car D. – qui est la source de tous les faits – a d’autres projets pour le bien de l’homme. Bien que l’homme ne comprenne pas pour quelle raison il lui arrive tant de malheurs et tant de souffrances, il doit les accepter avec amour car « D. ne cherche pas à prendre l’homme en faute » (Avodah Zarah 3a), et il va sans dire qu’Il ne désire pas lui causer de souffrances. S’Il le fait parfois souffrir, ce n’est que pour son bien, afin de lui épargner d’autres souffrances plus grandes et plus douloureuses. A-t-il à se plaindre des voies de D.?

Le Midrach Chemouel (Pirkei Avoth VI:3) écrit: « Les gens accomplis, et surtout les érudits qui visent la perfection de l’intelligence, ne sont pas à l’abri des dangers de la vie mais de leurs effets néfastes, et ils ne se plaignent pas de leur sort. Au contraire, ils acceptent les peines de bon cœur, car il savent que ces souffrances-là n’atteignent et ne détruisent que le corps, mais pas l’esprit, et ils acceptent les malheurs avec amour… »

Pour toutes ces raisons, les Sages ont ordonné (Brach’oth 44a): « Il faut bénir D. dans le malheur tout comme on Le bénit dans le bonheur», car il ne fait pas de doute qu’un malheur conduit à un bonheur encore plus grand, et même si pour le moment on n’en ressent pas le bienfait, on doit dès à présent en remercier D. car lorsque le mauvais moment sera passé, on sentira le bienfait qui nous a été réservé, et donc on doit dès à présent « agir avec amour et être heureux de nos peines » (Yoma 23a), car « D. réprimande celui qu’Il aime » (Michlei 3:12).

La preuve nous est donnée par Ya’akov qui fut accablé par le malheur de Yossef au point que tous disaient avec étonnement: Pourquoi lui arrive-t-il un tel malheur? Car toute sa vie il a étudié la Torah avec une grande assiduité malgré les terribles souffrances subies (Tan’houma Vayichlah 8), exceptées les quelques années de sérénité passées en Egypte. Pourquoi est-il puni par le malheur qui frappe son fils Yossef qu’il aime tant?

Il est vrai que Ya’akov ne récriminait pas contre les voies de D., comme disent les Sages (Tan’houma Buber Toledot 14): « Lorsque Ya’akov pratiquait un commandement dans la peine, il ne se plaignait pas contre les décrets divins ». Il est certain qu’il craignait de n’être pas parfait, qu’il acceptait les souffrances avec amour, et qu’il passait en revue ses actes, comme le disent les Sages (Brach’oth 5a): « Si quelqu’un se voit accablé de malheurs, qu’il examine ses actes, s’il les a examinés et n’en a pas trouvé la cause, qu’il attribue les malheurs à un abandon de la Torah ». Il est certain que D. souffrait de devoir causer de la peine à Ya’akov, mais Il avait Ses raisons. Il ne voulait pas que Ya’akov vive tranquille en ce monde, afin de lui faire mériter le monde à Venir, afin de lui donner et ce monde et l’autre monde, sans lui faire connaître le goût de la mort. Et donc, le malheur qui lui arriva était pour son bien, afin qu’il reste vivant, même après avoir quitté ce monde.

Cela nous permet d’expliquer un autre enseignement de nos Sages (Rachi Béréchith 37:33; Tan’houma Vayéchev 2): « Les frères de Yossef ont associé D. dans le serment d’excommunication qu’ils ont prêté contre celui qui révélerait à Ya’akov l’affaire de la vente, et D. a consenti». Pourquoi? Sur la base de ce que nous avons dit plus haut, il est clair que D. avait Ses raisons de vouloir que Ya’akov ressente cette grande douleur, afin qu’il mérite de rester vivant en ce monde et dans l’autre. C’est pourquoi D. a agrée le serment d’excommunication.

Malgré tout, il reste un point obscur. Concernant le verset: « Cette fois je peux mourir puisque j’ai vu ta face, puisque tu es toujours vivant » (Béréchith 46:30), Rachi explique au nom du Midrach (Tan’houma Vayigach 9): « Je pensais que j’allais mourir deux fois, une fois en ce monde et une fois en l’autre, parce que la Présence Divine m’avait quitté, et je pensais que D. me demanderait compte de ta mort, mais maintenant que tu es toujours vivant, je ne mourrai qu’une seule fois ». Ce qui signifie que tout au moins en ce monde, Ya’akov va mourir.

Ce n’est qu’une façon naturelle de parler. Ya’akov était tellement heureux de n’avoir commis aucune faute qui l’amènerait à perdre le monde à Venir, qu’il acceptait de mourir au moins une fois, en ce monde. Mais l’intention de D. était de lui faire mériter de ne mourir ni en ce monde ni dans l’autre et de rester éternellement vivant. Ce sens est indiqué dans les paroles mêmes de Ya’akov, où le mot rav, (littéralement beaucoup, et traduit ici: il suffit!) est interprété par Rachi: « J’ai encore beaucoup de joies et de bonheur, c’est-à-dire en ce monde et dans l’autre ».

Pour conclure ce que nous avons dit, celui qui étudie la Torah avec assiduité, malgré toutes ses tribulations et toutes les souffrances qui peuvent le saisir, est soutenu par D. qui renouvelle ses forces et lui donne la longévité en ce monde et dans l’autre, ce qui permet de surmonter la lassitude et la mort, et de quitter ce monde sans douleur, comme ce fut le cas pour Moché, Aharon, Miriam, qui sont morts « dans un baiser » (Baba Bathra 17a; Midrach Hagadah ‘Houkat 20:27; Moed Katane 28a) et « les Justes sont appelés vivants même après leur mort » (Brach’oth 18a). « Ceux qui espèrent en D. acquièrent des forces renouvelées… ils courent et ne se fatiguent pas » (Ychaya 40:31).

Mais est-ce que les Sages ne disent pas que « la Torah affaiblit les forces de l’homme » (Sanhédrin 26b), alors que nous voyons que Ya’akov, non seulement ne fut pas affaibli, mais que ses forces furent accrues et qu’il n’avait pas besoin de dormir?

Et pourtant, il n’y a aucune contradiction. La Torah affaiblit les élans pour les choses matérielles, elle affaiblit les désirs et les appétits, tandis que les forces physiques restent intactes, et au contraire, celui qui est plongé dans la Torah réalise que « en elle est sa vie » (Vayikra 18:5). Il est dit aussi: « La Torah n’est préservée que chez celui qui se sacrifie pour elle » (Brach’oth 63b), c’est-à-dire que la Torah annule l’égoïsme et les appétits matériels, mais elle laisse les forces physiques intactes. C’est pourquoi l’ange de la mort n’a pas d’emprise sur Ya’akov et ne lui fait pas peur. Seul D. est au-dessus de l’homme qui a renoncé au matérialisme et qui s’est entièrement sanctifié par sa dévotion (c’est le sens profond de la « mort dans un baiser »). Il est dit que la Torah affaiblit les forces de l’homme, c’est-à-dire sa nature terrestre, mais lui-même en est purifié et il devient semblable à un ange divin en ce qu’il est pur et saint, et alors il ne peut pas mourir, et il est vivant en ce monde et dans l’autre.

 

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