L'importance d’habiter dans une résidence de Torah

« Rabbi Yossi ben Kisma raconte: j’étais en route un jour et un homme vint à ma rencontre et me salua. Je lui rendis son salut et il me demanda: Rabbi, d’où viens-tu? Je lui répondis: Je viens d’une grande ville de sages et de scribes. Il continua: Rabbi ne veux-tu pas venir vivre avec nous, chez nous? Je te donnerai des milliers d’écus en or, des pierres précieuses et des perles. Je lui répondis: Même si tu me donnes tous les trésors du monde, je ne veux habiter que dans un lieu de Torah… De plus, quand on meurt, ce ne sont pas l’or et les pierres précieuses qui nous accompagnent, mais la Torah que nous avons acquise et les bonnes actions que nous avons faites » (Avoth VI:9).

Pourquoi cet homme a-t-il demandé à Rabbi Yossi Ben Kisma d’où il venait? S’il cherchait un érudit, qu’importe son lieu d’origine? Pour savoir s’il avait affaire à quelqu’un qui avait une responsabilité quelconque dans son lieu d’origine, n’aurait-il pas pu poser la question directement?

Pourquoi cet homme dit-il: « vivre avec nous, chez nous »? Une répétition qui semble superflue! Et puis, pourquoi Rabbi Yossi Ben Kisma refuse-t-il une offre si généreuse, parce qu’il ne veut vivre qu’en un lieu de Torah? Ne semble-t-il pas que toute la discussion entre les deux hommes ne concerne que le lieu d’habitation?

De plus, la réponse de Rabbi Yossi Ben Kisma est, à première vue, surprenante. Au contraire, il vaudrait mieux qu’il aille vivre dans cette ville (où il gagnera une grande fortune même si ce n’est pas son but), qu’il y enseigne la Torah, et qu’il fasse de cette ville un centre spirituel! Pourquoi refuse-t-il cette offre?

Il faut méditer surtout la réponse de Rabbi Ben Kisma: « Quand on meurt, ce ne sont ni l’or ni les pierres précieuses qui nous accompagnent », une remarque qui est sans rapport avec la demande de cet homme. Il me semble que les commentateurs de la Michnah ont déjà soulevé cette question.

Nous assistons ici à une dispute enflammée entre cet hommes et Rabbi Yossi Ben Kisma, une dispute qui se fait entendre jusqu’à nos jours et leurs voix tintent encore dans nos oreilles. Nous allons expliquer leurs arguments.

Il y a des gens qui pensent: Pourquoi nous enfermer dans un ghetto communautaire, car il n’est pas nécessaire de s’isoler, être un Juif religieux n’empêche pas de vivre une vie sociale et d’avoir de bons rapports avec la population environnante. Quel besoin avons-nous de regrouper tous ceux qui vivent selon les lois de D. en un seul lieu? Au contraire, dispersons-nous, ce qui nous donnera une plus grande influence sur notre entourage, et d’autres arguments de ce genre. C’est justement là le problème. Les gens qui soutiennent cette opinion ont oublié la Torah ancestrale et se sont soustraits à l’influence et à la sainteté que l’on tire du fait même que l’on vit dans un lieu rempli de Torah et de crainte de D. Même l’homme le plus méchant se retiendra de faire le mal sous l’influence d’un environnement sanctifié. D’autre part, un lieu sans Torah et sans crainte de D. est comme un « puits vide, où il n’y a pas d’eau » (Béréchith 37:24), « il n’y a pas d’eau, mais il y a des serpents et des scorpions » (Chabath 22a). Les mœurs et la façon de vivre d’une telle société ne font que rendre licites le lucre et la dépravation, et de tels gens ne font que « proférer des paroles vaines et tout ce qu’ils font n’est que mensonge » (Téhilim 144:8, 11). Ces gens pervers sont capables d’en venir au meurtre, comme le dit Avraham: « Il n’y a pas de crainte de D. en ce lieu et les habitants sont capables de me tuer » (Béréchith 20:11), et c’est pourquoi il dit de Sarah sa femme: « elle est ma sœur » (ibid. 20:2). En arrivant chez Avimelekh au pays des Philistins, il avait dit à sa femme Sarah: « Dis, je te prie, que tu es ma sœur » (Béréchith 12:13). Pourtant, en arrivant au pays de Canaan, nous ne voyons pas qu’il prit cette précaution! Faut-il en conclure que les Cananéens étaient meilleurs que les Egyptiens ou les Philistins ? Nous savons qu’Avraham ordonna explicitement à son serviteur Eliézer: « Tu ne prendras pas de femme pour mon fils parmi les filles de Canaan » (ibid. 24:3), parce qu’il voulait rester attaché à sa famille, et il est dit de Canaan qu’il « manie des balances frauduleuses » (Ochéa 12:8). Pourquoi Avraham est-il si méfiant envers les Egyptiens et les habitants de Guérar?

La réponse est donnée par Avraham à Avimelekh: « C’est qu’il n’y a pas de crainte de D. en ce lieu et les habitants vont me tuer ». Non pas parce que les habitants de ce lieu n’aient pas la crainte de D. mais ce lieu, en lui-même, a une mauvaise influence. Même un Juste qui a toutes les vertus ne pourrait pas se protéger contre le meurtre et autres méfaits, comme il est dit (Chemoth Rabah 1:22): « Les Egyptiens sont pleins de débauche ».

C’est pourquoi il est dit dans la Torah à propos de la terre d’Israël (Devarim 11:12): « C’est une terre sur laquelle l’Eternel ton D. veille, elle est constamment sous l’œil de l’Eternel ton D., depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin ». La Providence Divine est permanente en ce lieu, ce pays en est sanctifié et ses habitants en reçoivent une bonne influence. C’est aussi la raison pour laquelle la Terre Sainte ne peut pas supporter les fautes et les pécheurs, comme il est écrit: « Afin que la terre ne vous vomisse pas si vous la souillez » (Vayikra 18:28). Et les Sages ajoutent (Pessikta Zouta 37:1): « La terre d’Israël vomit les méchants », ce qu’on ne rencontre dans aucun autre pays.

Cela nous permet de comprendre la différence entre la terre de Canaan et l’Egypte, et le pays des Philistins. L’Egypte et le pays des Philistins sont entachés de crimes, il y manque la crainte de D. et la sainteté. Ce sont des lieux remplis de « racines d’où naissent des fruits vénéneux » (Devarim 29:17), pleins d’abominations et de péchés, car c’est un fait qu’il n’y a pas de vide dans le monde, ou bien le lieu se remplit de sainteté et de pureté, ou bien au contraire il devient le repaire du péché et de ceux qui s’y adonnent.

Nous voyons dans le cas de Ya’akov qu’un lieu saint est imprégné de la crainte de D. La Torah décrit les instants merveilleux du réveil de Ya’akov qui s’écria: « Certes D. est présent en ce lieu et je ne le savais pas! ». Et la Torah continue: « Il fut saisi de frayeur et ajouta: Que ce lieu est redoutable! Ceci n’est autre que la maison de D. et c’est ici la porte du Ciel » (Béréchith 28:17). De tels sentiments naissent de la sainteté du lieu: une frayeur terrible naît du sentiment que D. est présent en ce lieu.

Un lieu saint, non seulement incite l’homme à craindre D., mais l’amène aussi à une bonne conduite, morale et vertueuse. Comme l’explique le saint Rabbin Hourwitz de Nouvhardok, Ya’akov ressemble à un étranger errant, qui n’a pas où se reposer, qui n’a pas d’argent et pas de biens puisque Eliphaz, le fils d’Essav, l’a privé de toutes ses possessions (Séfer HaYachar Vayetsé; Méam Loez Vayetsé) et il ne demande qu’un « peu de pain pour sa nourriture et un vêtement pour se couvrir » (Béréchith 28:20). Et dans son sommeil, il entend clairement la promesse de D. « Je suis avec toi et Je veillerai sur toi partout où tu iras… Je ne t’abandonnerai pas » (ibid. v. 15). La première réaction de Ya’akov en se réveillant aurait dû être de remercier D. avec joie pour Sa promesse. Mais non! Au contraire, sa première réaction est une autocritique: « D. est présent en ce lieu et je ne le savais pas! Car si j’avais su, je n’aurais pas dormi ici, parce qu’il ne convient pas de s’endormir dans un tel lieu ». Ya’akov ressentit en ce lieu une peur faite de révérence et de crainte.

Le Midrach nous enseigne combien un lieu saint a de l’influence sur ceux qui s’y trouvent (Béréchith Rabah 64:18; Yalkout Chimoni 115): « Lorsque nos ennemis voulurent pénétrer sur le Mont du Temple, il dirent: qu’un Juif entre d’abord. Ils cherchèrent et finirent par trouver un homme du nom de Yossef Mechita qui était prêt à y pénétrer. Ils lui ordonnèrent d’entrer et lui dirent: « Tout ce que tu prendras sera pour toi ». Celui-ci entra et prit le candélabre en or. Ils prétextèrent qu’un « homme simple n’a que faire d’un tel objet » et ils s’emparèrent du candélabre. « Retourne, et tout ce que tu prendras sera pour toi ». Il refusa. Ils lui promirent qu’il serait exempt d’impôts pendant trois ans. Il persista dans son refus, disant: « Ne suffit-il pas que j’ai provoqué la colère de mon D. une fois, faut-il que je recommence? » Que firent-ils Ils le firent piétiner par un cheval de labour et cet homme hurlait: Ô malheur! Ô combien j’ai mal agi envers mon Créateur! ».

Le Gaon Rabbi ‘Haïm Chmoulevitz demande: « Qu’arriva-t-il à ce Juif pendant ces quelques minutes où il pénétra dans l’aire interdite du Temple? Comment est-il arrivé à en être tellement bouleversé? Quelques minutes auparavant, il avait osé pénétrer dans ce lieu saint où même les cruels étrangers craignaient de pénétrer les premiers. N’ayant aucune crainte de ce lieu saint et terrible, il s’était laissé soudoyer pour le profaner, au point de tomber plus bas que ces étrangers. Il faut donc se demander ce qui lui est arrivé pour qu’il refuse maintenant avec véhémence de retourner dans le Temple, et préfère mourir pour son refus dans des souffrances atroces. D’où provient ce courage indomptable? »

Et le Gaon Rabbi ‘Haïm répond: « Cela nous montre combien l’effet d’un bref instant dans un lieu saint est puissant. Car pour y être entré, pour y avoir passé un peu de temps, il en fut transformé. Pour tout l’or du monde, il ne voulait pas retourner dans le Temple, car il n’était déjà plus le même homme. C’est que le lieu lui-même purifie l’âme, et allume en elle l’étincelle de sainteté enfouie dans toute âme juive. Il fut enflammé par cette étincelle au point d’être prêt non seulement à perdre toutes les faveurs qui lui furent promises, mais aussi la vie elle-même. Un grand sacrifice de soi et un grand courage! Tel est le résultat d’un moment passé dans l’enceinte du Temple! »

Cela nous permet de comprendre maintenant la discussion entre cet homme et Rabbi Yossi Ben Kisma.

Les paroles de cet homme nous laissent perplexes: est-ce ainsi que l’on recherche un rabbin érudit pour la communauté? De plus, s’il désirait tant engager pour sa ville un rabbin, qu’il était prêt à payer une grande fortune, il est certain qu’il était riche. Pourquoi n’allait-il pas, lui, habiter dans la ville de Rabbi Yossi Ben Kisma? Troisièmement, il n’est pas de bon ton d’entamer la conversation avec un rabbin par des promesses alléchantes pour le cas où il accepterait la proposition. N’aurait-il pas été plus à propos de discuter avec lui de sujets concernant la communauté et la ville? Pensait-il pouvoir acheter Rabbi Yossi Ben Kisma?

La conduite de cet homme montre qu’il est, tout comme les gens de sa ville, plus attiré par les richesses matérielles que spirituelles, c’est-à-dire que chez eux, les valeurs sont inversées. Peu leur importe qui sera le rabbin de leur ville, pourvu qu’il y en ait un! Car de leur point de vue, tous les rabbins se valent… cet homme demanda à Rabbi Yossi Ben Kisma: De quelle ville viens-tu? Afin se mesurer l’importance qu’il accordait à sa ville et son lieu de résidence, et jusqu’à quel point il était attaché à son entourage, composé de gens érudits. Et alors, lorsque Rabbi Yossi lui répondit: « D’une grande ville de sages et de scribes », cet homme comprit qu’il louait sa ville d’origine en tant que lieu de Torah, et il tenta de le convaincre en lui offrant une grande somme d’argent, mais Rabbi Yossi répondit: Sache qu’on ne peut pas m’acheter avec de l’or, quel qu’en soit le montant, car je ne peux vivre que dans un lieu de Torah, et vous qui habitez dans un lieu sans Torah, vos valeurs sont inversées. Les problèmes spirituels sont pour vous secondaires et n’ont pas la priorité dans votre échelle de valeurs. Non seulement il vous manque le respect et le sens des valeurs de la Torah, mais vous vous éloignez de jour en jour encore plus du but auquel il faut tendre, parce que vous investissez toutes vos forces et tout votre temps dans des vanités temporelles, et votre seul but est d’accumuler de grandes richesses et rien de plus. Sachez donc que ce n’est pas la bonne voie et ce n’est pas la bonne ville. Car à l’heure de sa mort, ce n’est pas la richesse accumulée qui accompagne l’homme, mais les bonnes actions qu’il a multipliées de son vivant. Pourquoi viendrais-je chez vous enseigner la Torah, alors que vous ne désirez pas cet enseignement et que vous ne recherchez que les biens matériels?

Celui qui est entouré par des érudits en Torah, des gens sanctifiés par leurs actes, parviendra à coup sûr à redresser ses défauts, même malgré lui, et à se sanctifier, se purifier et acquérir des vertus suprêmes. Chacun doit aspirer à n’habiter que dans un lieu qui respire la Torah!

Je me souviens qu’en l’an 5743 (1983), lorsque j’ai accompagné mon père et maître, de mémoire bénie, au Maroc pour nous prosterner sur la tombe du Saint Rabbi ‘Haïm Pinto, nous avons traversé le Mélah’. Mon père me raconta quelle communauté merveilleuse vivait en ce lieu du temps de son père. Enfin, mon père s’arrêta, comme s’il voulait conclure tout ce qu’il avait dit pendant la visite, et il s’exprima à peu près en ces termes: « Grâce aux murs du Mélah’, un certain nombre de Juifs furent sauvés de la perte et de l’assimilation ». Aujourd’hui, je comprends quelque peu ce que mon père, que son mérite nous protège, voulait dire.

 

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