L’importance d’un commandement  mineur

Commentant le verset (Béréchith 32:25): « Ya’akov resta seul et un homme lutta avec lui jusqu’à l’aube », Rabbi Elazar dit (‘Houlin 91a): « Ya’akov s’est attardé pour ramener de menus objets, de petits ustensiles, ce qui montre que les hommes vertueux font plus cas de leurs biens que de leur personne, et cela parce qu’ils ne possèdent rien de volé ».

Dans cette même section, le Talmud rapporte l’opinion de Rabbi Yits’hak: « Cela nous enseigne qu’un homme sage ne sort pas la nuit tout seul » (puisque Ya’akov resté seul cette nuit-là de l’autre côté du fleuve, fut attaqué). Pourquoi Ya’akov s’est-il mis en danger pour aller chercher de menus objets? N’aurait-il pas dû veiller sur lui-même plus que sur ces objets? De plus, est-il possible qu’un homme comme Ya’akov oublie de rassembler ces menus objets, puisque nous savons que « Les hommes vertueux font plus cas de leur biens que de leur personne »? Comment se fait-il qu’il les ait oubliés de l’autre côté du fleuve?

La préférence que les hommes vertueux accordent à leurs biens vient de ce qu’ils savent que leur corps n’est qu’un instrument qui leur permet de servir D. Les Sages enseignent (Brach’oth 18b) que « Les méchants sont appelés morts même de leur vivant », parce qu’ils n’utilisent pas les forces qu’ils ont pour servir D. et leur corps est comme mort, même de leur vivant. Ce n’est pas le cas des hommes vertueux qui même après leur mort sont appelés vivants (ibid.), car ils progressent continuellement dans le service de D., sans aucune arrière-pensée et tous leurs actes célèbrent Sa gloire. Leurs possessions leur sont plus chères que leur corps car elles leur donnent le moyen de faire beaucoup de bien, comme par exemple aider le prochain, le soutenir matériellement, racheter les otages, enseigner la Torah. Leur seul but est d’accomplir la volonté de D., ils ne possèdent rien qui provienne d’un vol, leurs biens ne sont pas entachés de fraude, et tout ce qu’ils possèdent est justement acquis.

Les hommes vertueux savent aussi que sans argent, ils n’auraient pas la possibilité d’accomplir des choses qui exigent une dépense, et ils failliraient à beaucoup d’autres commandements, comme par exemple acquérir les quatre plantes qui composent le loulav de la fête de Soucoth, ou les matzoth de la fête de Pessa’h. Chaque centime compte, et « la loi est la même concernant une petite ou une grande somme » (Sanhédrin 8a). L’argent leur donne la possibilité de faire des choses qu’ils ne pourraient réaliser autrement, et de plus, il leur permet de subvenir à leurs besoins, de se consacrer au service de D. et de s’élever spirituellement comme il convient.

Cela nous permet de comprendre que Ya’akov est retourné ramasser ces menus objets sans valeur mais précieux, parce qu’il les avait souvent utilisés dans un but sacré et il n’avait aucune raison de les abandonner. Il pouvait continuer à les utiliser, les donner aux pauvres, ou les vendre et distribuer l’argent aux nécessiteux, c’est pourquoi il est retourné de l’autre côté du fleuve, seul et la nuit, pour chercher ces menus objets.

Nous constatons que Ya’akov s’inquiète de son prochain, qu’il pense sans cesse à aider les autres, car telle est sa raison d’être, comme celle de tous les Patriarches qui sont « le support de la Présence Divine sur terre » (Béréchith 82:7). Tous se sont efforcés en ce monde d’aider les autres autant spirituellement que matériellement, leurs actions ne visaient qu’à satisfaire leur Créateur, et Ya’akov est allé tout seul la nuit pour chercher des objets apparemment sans valeur, car la moindre bonté est si importante à ses yeux qu’il est prêt à risquer sa vie! Que Ya’akov soit prêt à risquer sa vie pour faire quelque chose dont le bénéfice n’est pas évident à nos yeux nous remplit d’étonnement. Cela nous permet d’imaginer avec quel enthousiasme il accomplissait des commandements plus importants et plus stricts... Nous n’avons aucun moyen de savoir comment nos Patriarches vivaient leur vie quotidienne, mais nous tirons une grande leçon de leur aptitude au don de soi et de leur esprit de sacrifice. Les Sages nous enseignent (Avoth II:1): « Observe strictement autant les préceptes qui sont en apparence peu importants que ceux qui sont sévères, car tu ignores la récompense attachée à l’observance de chacun d’eux ». Il n’y a pas de critère pour déterminer quel précepte est plus important que l’autre, car un geste aussi facile que celui de soulager la peine du prochain peut avoir des conséquences énormes.

Ajoutons à cela que tous les ustensiles des hommes vertueux - même de menus objets sans valeur - sont aussi importants à leurs yeux que les « objets du culte », surtout ceux dont Ya’akov se servait, qui avaient une sainteté particulière. Il les utilisait pour servir D., c’est pourquoi il s’est risqué, seul et de nuit, pour les ramener. Il craignait qu’Essav ne les trouve et ne les profane par un mauvais usage, c’est pourquoi il choisit de se mettre en danger pour empêcher Essav de répandre le mal dans le monde par leur utilisation impropre. D., qui connaît le fond des cœurs et des pensées, savait que les intentions de Ya’akov étaient pures et Il lui donna la force et le courage de vaincre l’ange d’Essav qui lutta avec lui toute la nuit (‘Houlin 92a), car cet ange aussi était venu profaner la sainteté de Ya’akov. Avec l’aide de D., Ya’akov combattit bravement et  non seulement il vainquit l’ange, mais il reprit ses « objets de culte » afin qu’ils ne tombent pas entre les mains de quelqu’un qui en eût fait un mauvais usage, et il les sauva de la profanation par des mains impures.

Les hommes vertueux attachent plus de prix à leurs possessions qu’à leur propre personne car leur but est de veiller à ce que leur argent et leurs biens ne tombent pas entre les mains de ceux qui les profaneraient par un mauvais usage et ils veulent les priver de cette possibilité.

Nous devons faire preuve d’un grand esprit de sacrifice pour sanctifier le Nom de D. dans le monde, et nous devons savoir qu’il est interdit de minimiser la valeur d’un commandement quel qu’il soit et d’en retarder l’exécution. Au contraire, il faut l’exécuter tout de suite, même si un tel acte semble avoir peu d’importance et que l’on n’en voie pas le bénéfice. On ne connaît pas la récompense de chaque commandement, même des moindres, et il faut les pratiquer tous dans l’intention de répondre à la volonté divine.

Qui est plus grand que Ya’akov qui, à chaque instant de sa vie était plongé dans la Torah, en pratiquait les commandements et accomplissait de bonnes actions, et qui a divisé ses gens en deux camps en disant (Béréchith 32:9): « Si Essav attaque l’un des camps et le met en pièces, l’autre camp sera sauvé » (et pourra continuer à servir D.). Malgré cela, il a risqué sa vie pour ces menus objets en sortant la nuit, afin de pouvoir par la suite venir en aide à autrui. Les hommes vertueux, même lorsqu’ils sont absorbés dans la méditation spirituelle, n’oublient pas les autres et se mettent en danger pour pouvoir les aider, et c’est une grande leçon pour chacun de nous.

Nous pouvons donner une autre explication:

Les hommes pieux essayent de servir D. justement en faisant des choses difficiles dans des conditions difficiles, afin de se mesurer au mauvais penchant qui les talonne sans cesse, car c’est justement dans cette lutte qu’ils expriment leur grand amour de D. Ils mettent en œuvre toutes leurs forces pour servir D. en surmontant le mauvais penchant et ses tentations, et en cela ils s’élèvent dans la Torah, la crainte de D., la sainteté et la pureté.

Combien merveilleuses - et probantes - sont les paroles de David HaMelekh, le doux chantre d’Israël et « la quatrième roue du Char Céleste (Zohar I, 99a)! A propos du verset de la Torah (Vayikra 26:3): « Si vous suivez Mes lois... », les Sages (Vayikra Rabah 35:1) citent le verset des Psaumes: « J’ai révisé ma conduite et je suis revenu vers Tes statuts » (Téhilim 119:59), et ils expliquent: « David a dit: Maître du monde! Chaque jour je pensais à ce que j’allais faire, que j’irais à tel endroit, que je visiterais telle maison, mais mes jambes me conduisaient vers les maisons de prière et les maisons d’étude... » En fin de compte, David HaMelekh se rendait chaque jour dans les maisons de prière et les maisons d’étude pour y servir D. de tout son cœur et de toute son âme. Il faut se demander pourquoi il disait tout d’abord « chaque jour je pensais à ce que j’allais faire »? Pour quelle raison et dans quel but David HaMelekh perdrait-il un temps précieux à penser à des choses futiles (comme se promener en tel lieu ou aller visiter telle maison) qui n’ajoutent rien au service de D.? Au moment de réaliser ses projets, il n’en faisait rien, et il se rendait dans les lieux où il pouvait chanter les louanges de D. Pourquoi, vraiment, pensait-t-il tout d’abord à des choses vaines? Y avait-il un bénéfice quelconque à concevoir de telles pensées?

Justement! David HaMelekh, qui vouait à D. une grande dévotion, se mettait lui-même à l’épreuve. Il ne se contentait pas de lutter sans cesse contre le mauvais penchant, il le provoquait continuellement, chaque jour il pensait à telle ou telle faute et le mauvais penchant éveillait en lui un grand désir de commettre cette transgression, et justement à ce moment-là, au moment où il semblait que David allait se soumettre aux conseils du mauvais penchant et commettre cette faute, il surmontait de toutes ses forces ce désir, et allait vers la maison d’étude se consacrer à la Torah. David HaMelekh servait D. de la façon la plus difficile qui soit, en faisant des efforts énormes, et il dominait en permanence le mauvais penchant.

Ce sont des choses étonnantes. Il est rapporté (Chmouel I, 19:18) que David s’enfuit de devant Shaül qui voulait le tuer, et il est dit: « David prit la fuite pour être sauvé et il arriva chez Chmouel à Rama. Il lui dit tout ce que Shaül lui avait fait, et il allèrent, avec Chmouel, s’installer à Nayiot ». (Rachi explique qu’il s’agit d’une maison d’étude). En ce lieu, David et Chmouel étudiaient ensemble. « Rav Houna, fils de Rabbi Yossi, dit que cette nuit-là, lorsque David s’est enfui de devant Shaül, il apprit du prophète Chmouel ce qu’aucun élève du meilleur niveau n’est capable d’apprendre en cent ans... » (Yalkout Chimoni ad. loc.). Cela nous laisse perplexes! David était à ce moment-là en danger de mort, la menace qui planait sur lui était terrifiante, et il aurait été naturel qu’il ne pût se concentrer, mais il surmonta la peur et le danger, et se plonga dans l’étude de la Torah. Il acquit cette nuit-là ce qu’un étudiant du meilleur niveau apprend en cent ans. Ce qu’il a appris en cette nuit valait tout ce qu’il avait appris et allait apprendre durant toute sa vie (puisqu’il n’a vécu que soixante-dix ans), ce qui nous montre combien il était attaché à la Torah et plein de dévotion, justement en ces circonstances et en ces temps tellement difficiles - car telle était sa façon de servir D.

Il en est de même pour Ya’akov. Il savait que l’ange d’Essav désirait l’attaquer et lui faire la guerre, le calomnier et l’accuser, et c’est pourquoi Ya’akov l’a provoqué. Il laissa intentionnellement quelques menus objets derrière lui, afin de donner à l’ange d’Essav le sentiment qu’il pourrait se les approprier, s’en servir comme bon lui semble, et lui faire croire qu’il pourrait vaincre Ya’akov s’il le prenait en faute (puisqu’il est interdit d’abandonner des objets qui peuvent servir). C’est justement à ce moment-là, lorsque la situation était des plus tendues, que Ya’akov retourna chercher ces objets sans mettre en danger un seul de ses hommes, puisqu’il partit tout seul. Et alors, il priva le Satan de sa proie. Il lutta contre lui toute la nuit jusqu’à l’aube, et ce faisant, il le vainquit définitivement et il reprit toute la sainteté que le Satan s’était appropriée. Ya’akov Avinou, tout comme David HaMelekh, servait D. en provoquant le mauvais penchant.

Les hommes vertueux, lorsqu’ils servent D., ne permettent pas au mauvais penchant de prendre le dessus, au contraire, ils l’affrontent et lui font croire qu’ils sont prêts à commettre une faute ou transgresser un commandement de D., uniquement pour le tromper et lui porter un coup fatal. D. les aide à vaincre le mauvais penchant car Il sait que leurs intentions sont bonnes, et Il connaît le fond de leur cœur.

Il en fut de même pour Rabbi Akiva. Sur le point de mourir, il était rempli d’une joie sublime. Ses élèves lui demandèrent: « Notre Maître! tu vas à la mort et tu es heureux?! » Il leur répondit: « Toute ma vie, j’étais préoccupé par le commandement: « Tu aimeras l’Eternel ton D. de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » (Devarim 6:5), je ne savais pas quand j’aurais l’occasion de le faire et maintenant que j’en ai l’occasion, je ne le ferais pas avec joie? » (Brach’oth 61b). David, Ya’akov, Rabbi Akiva, se trouvaient dans des situations extrêmes. Nous, qui nous trouvons dans une situation moins difficile, ou même aisée et propice au service de D., nous devons pratiquer même les commandements qui nous semblent difficiles avec une joie intense, et exprimer cette joie aux yeux du monde entier afin de sanctifier le Nom de D.

C’est une leçon pour chaque Juif. Si Ya’akov a combattu et vaincu l’ange d’Essav grâce à sa Torah et à la pratique ponctuelle des commandements, cela nous enseigne que chaque Juif a la capacité et le pouvoir de surmonter le mauvais penchant s’il remplit les devoirs que la Torah lui impose. Ya’akov a combattu l’ange d’Essav jusqu’à la pointe du jour, et ce « jour », c’est la Torah puisqu’elle est appelée lumière (Michley 6:23), la lumière du jour, comme le dit le prophète (Ichaya 58:8): « Lorsque la lumière poindra comme l’aube, ta guérison sera prompte ». De plus, la lumière symbolise les actes des hommes vertueux (Béréchith Rabah 1:6), ce qui montre que la lumière de la Torah permet à l’homme de s’élever (comme le jour se lève). La Torah lui donne le courage de lutter et mieux il la comprend, mieux il est armé dans sa lutte quotidienne contre le mauvais penchant.

Le Satan lui-même avouera devant la Cour céleste qu’un tel a lutté contre lui et l’a vaincu, et il deviendra Israël c’est à dire Yashar E-l, droit devant D. comme il est écrit (Béréchith 32:29): « Tu as lutté contre des puissances célestes et humaines, et tu es resté fort » grâce à la Torah que tu as acquis durant ta vie. C’est elle qui t’a permis de vaincre le mauvais penchant et de mériter les grands bienfaits réservés aux hommes de bien dans le monde à Venir.

Comment faut-il se comporter?

La loi est la même concernant une petite ou une grande somme. Il ne faut donc pas mépriser les choses qui ont peu de valeur, car toute somme permet de faire le bien et d’aider son prochain.

 

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