L’étude de la Torah en exil

« Ya’akov demeura dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Canaan » (Béréchith 37:1). Rachi rapporte le Midrach (Béréchith Rabah 84:1): « Ya’akov désirait s’installer dans la tranquillité, c’est alors qu’il fut atteint par le malheur de Yossef ».

1. Il est difficile de croire que Ya’akov ait pu faire l’erreur de vouloir vivre dans la tranquillité. Car il est dit de Ya’akov qu’il est « un homme intègre, assis dans les tentes » (Béréchith 25:27), c’est-à-dire « dans les maisons d’étude de Chem et Ever » (Béréchith Rabah 63:15). Le mot Tam, intègre, est formé des mêmes lettres que le mot Mèth, « mort » dans le sens de peine, et il est dit (Brach’oth 63b; Chabath 83b): « Seul celui qui peine pour apprendre la Torah en retient les enseignements ». Et si Ya’akov « s’est mis à mort » dans la maison d’étude, sans se donner de repos, comment est-il possible de dire qu’il recherchait la tranquillité, et pourquoi serait-il frappé d’un tel malheur et d’une telle punition? D’autant plus que les Sages disent de lui (Yoma 28b): « Ya’akov s’est fait vieux et se trouvait dans la maison d’étude », c’est donc que jusqu’à un âge avancé, il n’a cessé d’étudier la Loi avec dévotion. Comment peut-on dire de lui qu’il aspirait à la tranquillité?

2. Il est possible de croire que Ya’akov désirait la tranquillité afin de se consacrer entièrement à l’étude, et s’il en est ainsi, pourquoi serait-il puni pour avoir voulu étudier dans le calme, libre de tout souci?

L’étude de la Torah consiste en deux choses: d’une part l’effort dans l’étude, comme il est écrit (Vayikra 26:3): « Si vous suivez Mes Lois »: les Sages déduisent qu’il s’agit de l’effort dans l’étude (Torat Kohanim ad. loc.), d’autre part, la poursuite de l’étude en exil, comme le disent les Sages (Avoth 4:14; Chabath 147b; Tana D’Bey Eliyahou Rabah 14): « Exilez-vous dans un lieu de Torah ». Celui qui s’exile afin d’étudier ailleurs, montre combien la Torah lui est chère, puisqu’il a pris la peine de venir jusque-là pour étudier. Effectivement, la plupart des étudiants s’exilent afin d’étudier, et ils en voient les résultats car ils retiennent ce qu’ils ont acquis dans la peine.

Ya’akov a fauté en recherchant à ce moment la tranquillité, car sa vie durant, il s’était exilé pour étudier dans les tentes de Chem et Ever. Concernant le verset (Béréchith 33:18): « Ya’akov arriva intègre dans la ville de Che’hem... » les Sages commentent (Chabath 33b; Béréchith Rabah 79:5): « Indemne dans son corps, dans ses biens et dans sa Torah », ce qui montre qu’il s’exila dans un lieu de Torah afin de parfaire ses vertus et de progresser. Et voilà qu’il désire s’installer tranquillement dans le pays des pérégrinations de son père, et étudier sur place la Torah, dans le repos et la sainteté! Quelqu’un comme Ya’akov doit être un modèle de conduite pour ses enfants et pour tous ceux qui étudient la Torah. En fait, Ya’akov est appelé le plus parfait des Patriarches parce qu’il avait acquis la Torah dans la peine et qu’il s’était retiré dans un lieu de Torah.

La volonté de Ya’akov de s’installer tranquillement est une erreur, car ses descendants vont vouloir eux aussi s’installer et étudier dans le confort, et alors la priorité ne sera plus à la Torah. Même si Ya’akov lui-même n’avait pas besoin de s’exiler car il savait dominer son mauvais penchant et ainsi il n’en serait pas venu à abandonner la voie de la Torah, ses enfants, ses descendants et tout le peuple juif rechercheront la tranquillité et ne feront pas les efforts nécessaires pour adhérer à la Torah. Telle n’est pas la voie de la Torah, elle ne s’acquiert pas dans le confort mais par l’effort. « Il faut manger du pain avec du sel, boire de l’eau avec mesure, coucher sur la dure, accepter une vie de privations s’il le faut, afin de pouvoir s’adonner à l’étude de la Torah » (Avoth 6:4).

Yossef fut exilé de la maison de son père pendant le même nombre d’années que Ya’akov lui-même avait été absent, contre son gré, de la maison de son père (Méguilah 17a). C’est justement à travers Yossef qu’il fut puni, car c’est à lui que Ya’akov avait transmis l’essentiel de sa sagesse (Béréchith Rabah 84:8), et tout ce qui arriva à Ya’akov arriva aussi à Yossef (Bamidbar Rabah 14:16). Yossef fut exilé afin de réaliser la Torah justement en exil, où il fut rudement éprouvé. Yossef surmonta les épreuves, et il parvint à une grande élévation, comme le disent les Sages à plusieurs reprises. Citons-en quelques unes:

« Yossef eut le mérite de sanctifier secrètement le Nom de D. en exil, et une des lettres du Nom de D. fut ajoutée à son nom » (Sotah 10:36; Me’hilta Bo 12) comme il est écrit: « C’est un témoignage qu’il établit pour Yossef en Egypte » (où Yossef est écrit Yehossef) (Téhilim 81:6), « Yossef expose au grand jour les fautes des méchants, car si quelqu’un voulait plaider devant le Tribunal Céleste: j’étais troublé par les tentations, j’étais trop beau... il lui sera répondu: étais-tu plus troublé et plus beau que Yossef? » (Yoma 35b). La grandeur de Yossef est prouvée par le fait que « Moché transporta personnellement ses ossements et s’occupa de son enterrement » (Sotah 9b). Il est dit par ailleurs que « les douze tribus auraient pu naître de lui » (Sotah 36b) et que « les descendants d’Essav ne tomberont qu’entre les mains des descendants de Yossef » (Baba Bathra 123b), de plus « il a observé le Chabath avant que D. ait ordonné ce commandement » (Béréchith Rabah 92:4; Bamidbar Rabah 14:9) comme il est écrit (Béréchith 39:11): « Il arriva en ce jour qu’il était venu à la maison faire sa besogne », or si ce jour était Chabath, quelle besogne avait-il à faire? C’est qu’ »il est allé à la maison pour réviser ce que son père lui avait appris » (Yalkout Chimoni Vayechev 146).

Pour avoir dominé la tentation, il acquit toutes les perfections (Yalkout Chimoni Téhilim 817). Comment a-t-il réussi? Il s’était exilé dans un lieu de Torah où il étudiait jour et nuit, il s’efforçait de connaître les lois de la Torah afin de les pratiquer, et il eut le mérite d’être imité par toutes les générations futures.

Lorsque l’on se trouve en bonne compagnie on est, par la force des choses, entraîné à se conduire correctement et avec droiture. La vraie mise à l’épreuve a lieu lorsque l’on est loin d’un environnement correct et sans soutien contre les tentations. Dans un tel cas, si l’on réussit à suivre les voies de la Torah, on s’élève aux plus hauts degrés et l’on jouit d’une grande prospérité. L’exil a donc deux avantages, celui d’accentuer l’importance de l’étude de la Torah puisqu’on s’est exilé pour étudier, et en exil l’homme prend l’habitude de surmonter de lui-même son mauvais penchant puisqu’il n’y a personne pour l’aider à le faire. Là, il s’efforce de mettre en pratique tout ce qu’il a appris dans la maison de son père ou à la Yéchivah. S’il pratique les commandements en exil et se garde de céder aux tentations (comme Yossef qui n’a pratiqué ce qu’il avait appris de son père qu’après avoir quitté le foyer), il fait ses preuves. C’est aussi la raison pour laquelle Ya’akov ne fut pas puni dans son corps ou dans ses biens pour avoir voulu étudier dans la tranquillité, mais par le fait que Yossef fut exilé en Egypte, car Ya’akov aurait dû vouloir que ses fils s’exilent dans un lieu de Torah où ils pourraient perfectionner leurs vertus, et non pas rester à la maison où ils ne pourront le faire comme il convient.

Nous pouvons à présent expliquer ce que disent les Sages (Brach’oth 5a): « Si quelqu’un se voit assailli par des souffrances, qu’il révise ses actes, s’il les a révisés et n’a pas trouvé de cause à ses souffrances, qu’il les attribue à l’abandon de la Torah ». C’est que toutes les souffrances viennent de ce que l’on abandonne la Torah. Un tel abandon « cause la diphtérie dans le monde et la mort des jeunes enfants » (Chabath 32b, 33b). Lorsque l’on est atteint de souffrances, il faut tout d’abord vérifier si l’on n’a pas abandonné la voie de la Torah. Si l’on a vérifié ses actes et constaté que l’on n’a pas abandonné la Torah, il n’y a pas lieu d’attribuer ces souffrances à un abandon de la Torah ».

Dans ce cas, les souffrances ne sont causées ni par les fautes commises puisqu’on s’est conduit correctement, ni par un manque d’assiduité dans l’étude puisque l’on étudie, mais parce que l’on ne fait pas assez d’efforts, que l’on ne s’est pas exilé dans un lieu de Torah, et c’est en cela que l’on a « abandonné » la Torah.

Lorsque Ya’akov fut frappé par le malheur de Yossef et bien d’autres souffrances (Tan’houma Miketz 10), il passa en revue ses actes et il put constater qu’il était resté entier dans son corps, dans ses biens et dans sa Torah. Le malheur de Yossef l’a frappé parce qu’il ne s’est pas exilé dans un lieu de Torah et n’a pas envoyé ses enfants se perfectionner, et c’est pourquoi Yossef fut exilé de la maison de son père.

Si l’homme ne s’exile pas de lui-même vers un lieu de Torah, les circonstances l’amèneront à s’exiler, car à défaut d’exil il en viendrait à abandonner la Torah, D. nous en préserve.

Nous pouvons ajouter que du temps des Patriarches, les étincelles de sainteté rendues impures par Adam n’avaient pas encore été régénérées et c’était la tâche des Patriarches d’opérer cette correction. Il fallait donc que Ya’akov descende en Egypte afin de corriger ces étincelles de sainteté et de les restituer à leur origine supérieure (Or Ha’hayim Béréchith 49:9, entre autres). Si Ya’akov était resté en terre de Canaan et avait étudié dans la tranquillité, ces étincelles de sainteté n’auraient pas été rassemblées, elles seraient restées éparpillées en Egypte. Ce n’est qu’après les avoir corrigées, après avoir chassé de ce monde le règne du mal, que Ya’akov aurait pu s’installer dans la tranquillité. Il restait en Egypte de ces étincelles, et Yossef devait précéder Ya’akov en Egypte afin de commencer à préparer cette œuvre. Ce n’est qu’ensuite que Ya’akov et toute sa famille descendront en Egypte pour poursuivre le travail de correction des étincelles de sainteté, comme il est dit (Zohar II, 189b): « Israël était en Egypte comme une rose parmi les ronces, pour fleurir et faire fleurir les étincelles, les jets de fleurs, et les restituer à leur source ». Ce n’est que par l’exil, avec toutes les difficultés de se trouver dans un pays qui n’est pas le sien, que l’on peut affiner ses qualités et parvenir à la perfection. Comment? Uniquement en s’exilant vers un lieu où l’on n’est pas connu, et là, s’élever dans l’acquisition de la Torah, de quarante-huit façons (Avoth VI:5; Kala 8), étudier la Torah dans la souffrance, et ainsi se corriger et amener le monde entier à se soumettre à la souveraineté de D. Amen.

 

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