L’exil et l’élévation dans le service de D.

« Lorsque Yossef arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la longue tunique dont il était vêtu, ils le saisirent et le jetèrent dans la citerne. La citerne était vide, sans eau » (Béréchith 37:23-24). « Plusieurs marchands Midianites vinrent à passer, qui tirèrent Yossef de la citerne et l’en firent sortir, puis ils le vendirent aux Ismaélites pour vingt pièces d’argent.... Réouven revint vers la citerne, et voyant que Yossef n’y était pas, il déchira ses vêtements. Il retourna vers ses frères et leur dit: l’enfant n’y est plus, et moi, où irai-je? » (ibid. 28-30).

Nombre de questions se posent à nous concernant la vente de Yossef.

1. Pourquoi les frères ont-ils décidé de le vendre? Pourquoi ne l’ont-ils pas par exemple donné en cadeau, car en fin de compte, il aurait été vendu de toute façon, selon les coutumes de l’époque?

2. Le texte nous fait entendre (comme les commentateurs le soulignent, voir entre autres le Rachbam), que ce sont les Midianites qui ont tiré Yossef de la citerne, et il faut se demander pourquoi les frères ont repris Yossef aux Midianites afin de le vendre. Ils auraient pu le laisser entre leurs mains, puisque ce sont eux qui l’avaient sorti du puits?

3. Il est écrit (Amos 2:6): « Ainsi parle l’Eternel: à cause du triple et du quadruple crime d’Israël: Je ne révoquerai pas Mon arrêt, pour avoir vendu le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales ». Et les Sages disent à ce sujet (Pirkey D’Rabbi Eliézer 38): « Les frères de Yossef se sont acheté des sandales avec les vingt pièces d’argent de la vente de Yossef ». Pourquoi ont-ils acheté justement des sandales et pas autre chose? Que nous importe de savoir ce que les frères ont fait de l’argent qu’ils ont reçu?

4. Pourquoi Réouven a-t-il tant de peine de la vente de Yossef, qu’il en déchire ses vêtements et pleure l’enfant disparu? Avait-il pour cela des raisons que les autres n’avaient pas?

Pour répondre, il faut tout d’abord expliquer le sens de la vente et de l’esclavage. Par la vente, l’homme devient esclave (l’esclave de D.) comme il est écrit dans la Torah (Vayikra 25:55): « Les Enfants d’Israël sont à Moi, Mes esclaves » et (Chemoth 21:2) « Si tu achètes un esclave hébreu », un esclave de D. C’est aussi ce que dit la reine Esther à A’hachvéroch, le deuxième soir du festin (Esther 7:4): « Nous fûmes vendus, moi et mon peuple... si au moins nous avions été vendus pour être des esclaves et des servantes, j’aurai gardé le silence... » Cet esclavage fait allusion à l’exil, car l’exil est une punition pour n’avoir pas obéi à la voix de D. qui est le Père miséricordieux, et pour avoir refusé de Le servir comme le disent les Sages (Ekhah Rabah 4:17; Zohar II, 175b): « D. nous a alors pour ainsi dire vendus à des maîtres cruels, afin que nous sachions la différence entre la domination de D. et celle d’un nouveau maître cruel ». Dans un tel exil, l’esclave ressent sa condition et son exil de la façon la plus aiguë qui soit. Par ailleurs, cet exil fait allusion à une autre sorte d’exil, l’exil vers un lieu de Torah (Avoth IV:14; Chabath 147b; Tana D’Bey Eliyahou 14), où l’homme ressent un esclavage authentique: celui d’être le serviteur de D.

En exil, où l’homme est pourchassé et souffre de dures épreuves, il a la possibilité de s’élever de plus en plus et il peut parvenir aux degrés les plus élevés. S’il affronte les épreuves, si malgré son errance d’un lieu à l’autre, il continue à observer la Torah et les commandements, et s’il surmonte les obstacles, il atteint le plus haut niveau qu’il soit donné à l’homme d’atteindre.

C’est pourquoi nous voyons que les hommes les plus vertueux sont parvenus à la grandeur, justement en s’exilant dans un lieu de Torah. C’est ainsi que l’on devient vraiment un esclave aux ordres de son maître et donc l’homme doit accepter l’exil de son plein gré, sans se plaindre. S’il ne le fait pas volontairement, D. l’exilera de force, et l’esclavage amer de l’exil lui fera ressentir D. plus vivement.

A présent, nous pouvons comprendre la vente de Yossef et le rôle de ses frères. Il est certain que leurs intentions étaient pures, et qu’ils l’ont vendu afin que ses rêves s’accomplissent. « La compétition augmente la sagesse » (car elle stimule le progrès) (Baba Bathra 21a; Zohar I, 126b); les frères sentaient que Yossef les dépassait en sainteté et c’est pourquoi ils ne l’ont pas tué mais seulement jeté dans le puits, ce qui prouve qu’ils savaient qu’il n’y mourrait pas. Et effectivement, il faut se demander pourquoi ils l’ont vendu et non donné gratuitement (ce qui répondra aux questions 2 et 3)? C’est qu’ils voulaient lui faire ressentir sa condition d’esclave et la différence entre la maison de son père et celle d’un autre maître, car c’est alors justement, qu’il devra surmonter les épreuves qui l’attendent, sans désespérer.

Il y a deux sortes d’esclaves. Ceux qui dès qu’ils sont vendus tombent dans le désespoir, et ceux qui au contraire, en devenant esclaves, font tout ce qu’ils peuvent pour plaire à leur nouveau maître afin de gagner ses faveurs, jusqu’à ce qu’il les libère.

De même, ses frères indiquent à Yossef qu’il doit s’exiler dans un lieu pervers, débauché, immoral, et s’il surmonte tous les obstacles qu’il y rencontre, il s’élèvera plus haut qu’il ne l’aurait fait dans la maison de son père. Cela montre aux générations futures qu’il est possible de parvenir à la sainteté et à la pureté en exil, et qu’il faut se garder de tomber dans le désespoir à cause de l’exil.

Comme nous l’avons déjà souligné, Yossef est resté vertueux, même en Egypte (Vayikra 32:5; Chir HaChirim Rabah 4:24), il a même circoncis les Egyptiens (Béréchith Rabah 91:5), il a veillé à la sainteté de l’Alliance au point d’être appelé un « Juste, fondement du monde » (Zohar I, 59b), et ce, justement dans un pays où règne la débauche. Il créa en Egypte un lieu de Torah, car c’est lui qui prépara le terrain pour que son frère Yéhouda puisse instituer des maisons d’étude (Béréchith Rabah 95:3; Tan’houma Vayigach 11), comme il est dit (Béréchith 46:28): « Ya’akov envoya Yéhouda en avant, vers Yossef... » Justement vers Yossef, car c’est lui qui prépara le terrain et le nettoya de ses impuretés.

Cela nous permet aussi de comprendre pourquoi les frères ont acheté des sandales avec l’argent de la vente. Le mot Naal, chaussure, peut se lire Naa-Al, l’errance qui permet de s’élever. En s’élevant, on écrase l’impureté comme les chaussures écrasent la terre et la poussière.

En apprenant que Yossef était resté vertueux dans un pays débauché, dans l’Egypte cruelle, la vie revint dans le cœur de Ya’akov (Béréchith 45:27). De plus, D. lui dit explicitement (ibid. 46:4): « Moi-même Je descendrai avec toi en Egypte et Je t’en sortirai », ce qui montre que « le but de cette descente est une élévation » (Makoth 7b), et qu’une sainteté accrue s’ensuivra. C’est pourquoi il est écrit par la suite (Béréchith 47:28): « Ya’akov vécut dans le pays d’Egypte pendant dix-sept ans », comme Rabeinou HaKadoch dit de lui-même qu’il vécut à Tzipori pendant dix-sept ans (Yérouchalmi Kétouboth 12:3;  Béréchith Rabah 96:9) et « Les dix-sept ans de Ya’akov en Egypte furent les meilleures années de sa vie ».

Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, ce qui est bon se réfère à la Torah (Brach’oth 5a). Il est impensable que Ya’akov se soit donné du repos en Egypte, puisque partout où il allait il consacrait tous ses efforts à la Torah (Béréchith Rabah 95:2; Tan’houma Vayigach 11), et déjà en Erets Israël, D. ne lui a pas permis de s’installer dans le repos. En quoi le séjour de Ya’akov en Egypte était-il bon?

Bien qu’il ait été en exil en Egypte, dans un pays de débauche (Chemoth Rabah 1:22), un lieu impur et dépravé, où il lui était difficile de vivre saintement. C’est justement là qu’il institua des maisons d’étude de la Torah. Le Or Ha’hayim souligne qu’il ressentait que la Présence Divine était descendue avec lui en Egypte pour l’aider et le soutenir, car la source de l’élévation se trouve en exil (le mot Mitsrayim composé de Tsar (la peine) et Mayim (l’eau) y fait allusion, car Ya’akov a surmonté en Egypte toutes les peines grâce à la Torah).

Justement à cause des peines de l’exil, Ya’akov a vécu les meilleures années de sa vie en Egypte, où il a surmonté les souffrances et étudié la Torah, comme il est dit: « Tu as donné la vérité à Ya’akov » (Mich’a 7:20). (Le mot Shana, ans est lié au mot Shinoune, répéter un enseignement, car pendant dix-sept ans, Ya’akov a répété l’enseignement de la Torah et le mot b/f, bon, a la valeur numérique dix-sept).

Ya’akov a atteint une plus grande connaissance de la Torah justement en Egypte où la Présence Divine ne l’a pas quitté. Et alors, dans son lieu d’errance (Naa), il s’éleva (Al) dans son service de D. C’est un exemple pour ses descendants, pour chacun de nous, qui nous enseigne qu’en fixant notre habitation dans un lieu de Torah, même en un lieu impur, la Présence de D. nous soutient et nous vient en aide. De plus, en nous exilant dans un lieu de Torah, nous pouvons progresser plus qu’en restant chez nous, si la chose nous tient à cœur. Il y a pourtant une condition préalable: il ne faut pas éveiller l’impureté de ce lieu impur. C’est pourquoi Ya’akov ne voulait pas être enterré en Egypte, comme il le dit à Yossef (Béréchith 47:29): « Je te prie, ne m’enterre pas en Egypte », et ceci « afin que les Egyptiens ne fassent pas de lui une idole » (Béréchith Rabah 96:5), ce qui montre qu’il ne désirait pas éveiller l’esprit d’impureté et d’idolâtrie. Chacun doit comprendre qu’en suivant cet exemple, il est certain de s’élever quand il est en exil.

Les frères ont vendu Yossef car ils savaient que l’exil devait avoir lieu, comme D. l’avait dit à Avraham (Béréchith 15:13) « Sache que tes descendants séjourneront dans une terre étrangère... » et donc Yossef, le plus doué de tous, était capable de leur préparer le chemin de l’exil. Yossef aussi le savait et il serait descendu de son plein gré en Egypte, ce pays impur, mais les frères pensaient que si Yossef descendait volontairement dans ce lieu impur, il risquait d’y être perdu sans espoir. Il était donc préférable qu’il y descende malgré lui, comme esclave, afin d’apprécier la différence entre la maison paternelle et celle de son nouveau maître, ce qui enseigne à toutes les générations futures qu’il est possible de s’élever même dans un lieu impur, justement en surmontant les épreuves quotidiennes. Lorsque l’homme s’élève et craint D. de plus en plus, les forces du mal en sont amoindries.

Tout cela nous permet de comprendre l’évolution de Yossef. Lorsque la femme de Poutiphar cherche à le faire fauter, il est dit (Béréchith 39:12): « Il abandonna ce vêtement dans sa main et s’enfuit au dehors ». Il aurait pu s’opposer à elle et reprendre son vêtement qui a été la cause de l’exil. C’est à cause de ce vêtement qu’il fut jeté en prison, jusqu’à ce qu’il ait été finalement nommé souverain et que ses frères descendent en Egypte. Pourquoi n’a-t-il pas repris possession de son vêtement?

C’est que Yossef ne craignait pas les malheurs, il ne voulait que surmonter les épreuves afin de s’élever dans le service de D. Cet incident lui procura la grande joie de servir d’exemple aux générations futures. La Torah loue sa conduite.

Nous en venons maintenant à Réouven qui se lamenta de la vente de Yossef. En quoi consistait son désaccord avec ses frères? Réouven était de l’avis de Ya’akov et il craignait la mauvaise influence de l’exil. Il aurait préféré un exil en Erets Israël « dont l’air inspire la sagesse » (Baba Bathra 158b). Le séjour en Erets Israël était considéré en ce temps-là comme un exil puisqu’elle n’appartenait pas encore aux Enfants d’Israël et que les Amoréens et les Cananéens y habitaient alors.

Par contre les frères pensaient autrement. Ils associèrent D. à leur serment de ne pas révéler la vente de Yossef, chose que D. a agréée (Tan’houma Vayechev 2, Pirkey D’Rabbi Eliézer 38). Effectivement D. avait décrété: « Ils seront asservis et ils souffriront » mais ensuite « ils sortiront avec de grandes richesses » (Béréchith 15:14), c’est-à-dire que l’essentiel de la rédemption et de la richesse leur viendra grâce à leurs souffrances en terre étrangère. Tout d’abord, afin de savoir quelle est la différence entre les autres maîtres et D. souverain, ensuite, pour mériter de recevoir la Torah et ses lois, malgré les difficultés et les souffrances nécessaires pour acquérir la Torah (Avoth VI:4; Brach’oth 5a). Ce n’est qu’en surmontant les souffrances de l’exil qu’ils seront capables de dominer le mauvais penchant et de pratiquer la Torah, car ils auront acquis l’expérience nécessaire pour repousser toutes les tentations.

Afin de surmonter les épreuves du mauvais penchant, de mériter l’élévation et de parvenir aux plus hauts degrés de l’entendement, il faut passer par l’exil, car l’exil prouve devant D. combien l’homme est prêt à se sacrifier pour Le sanctifier. L’homme n’atteint pas une telle élévation en restant chez lui dans la sérénité, mais justement « en terre étrangère » où il ne connaît pas de repos, où il doit pratiquer la Torah dans la peine, la sainteté et la connaissance de D.

David HaMelekh, le doux chantre d’Israël, a dit (Téhilim 116:16-17): « Ô Seigneur, je suis Ton serviteur, fils de Ta servante, puisses-Tu dénouer mes liens, à Toi j’offrirai un sacrifice de reconnaissance et je proclamerai le Nom du Seigneur ». David demande à D. de le dénouer des liens de l’exil, car il est déjà Son esclave, il a atteint la connaissance de D. et même sans exil, même délivré de ses liens, il continuera à proclamer Son Nom et à Le servir. Cela nous enseigne que l’exil nous permet d’atteindre la connaissance de D. et de nous élever dans Son service.

 

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