Le repentir par amour de D.

« Réouven revint au puits et voyant que Yossef n’y était plus, il déchira ses vêtements » (Béréchith 37:29). Rachi rapporte le Midrach (Béréchith Rabah 84:18): « Il n’était pas présent lors de la vente, occupé qu’il était à jeûner pour avoir attenté au lit paternel. Et alors D. lui dit: Personne n’a jamais fauté et regretté sa faute comme toi, tu es le premier homme à s’être repenti de sa faute. Je jure qu’un de tes descendants sera le héraut du  repentir. Il s’agit du prophète Ochéa, qui dit « Armez-vous de paroles suppliantes et revenez vers D. » (Ochéa 14:3).

1. Les commentateurs remarquent que bien avant Réouven, Adam et son fils Caïn se sont repentis, comme il est dit (Béréchith Rabah 22:28): « Caïn se retira de devant D. » (Béréchith 4:16). Adam le rencontra et lui demanda: Quelle fut ta sentence? Il lui répondit: Je me suis repenti et j’ai obtenu un accord à l’amiable. Adam s’exclama: telle est la puissance du repentir! Et il s’écria (Téhilim 92:1-2): « Cantique du jour du Chabath, comme il est bon de louer D... » C’est donc que le repentir date de bien avant Réouven.

2. Les Sages disent qu’Ochéa introduisit ses paroles par un appel au repentir, ce qui est étonnant car, bien avant lui, les prophètes ont exhorté au repentir comme (Ichaya 55:6): « Cherchez le Seigneur pendant qu’Il est accessible » et (ibid. 6:10): « Que son cœur comprenne, qu’il s’amende et qu’il soit guéri », et (Yérémia 3:22): « Revenez, ô enfants rebelles! » et (ibid. 4:1): « Si tu reviens Israël, reviens à Moi... » Il faut donc se demander pourquoi donner la priorité au prophète Ochéa?

Les Sages ont dit (Baba Kama 92a): « Moshé a demandé grâce en faveur de Yéhouda, et il dit: Maître du monde, n’est-ce pas Yéhouda qui a permis à Réouven de regretter sa faute (pour avoir attenté au lit paternel - Rachi)? » Les Tossafoth commentent cette section du Talmud: « Le regret de Réouven précéda l’aveu de Yéhouda, mais Réouven n’a pas fait d’aveu public avant d’avoir vu Yéhouda le faire, lorsqu’il dit: Elle est plus juste que moi ».

Sur la base de cette remarque des Tossafoth, nous pouvons dire que Yéhouda a été le premier à faire des aveux publics, de même le repentir de Réouven est différent de celui d’Adam et de Caïn. Nous allons expliquer en quoi.

Raba dit: Soyez prêts à écouter les paroles des Sages... et ne soyez pas comme ces étourdis qui fautent et qui apportent un sacrifice expiatoire sans se repentir... » (Brach’ot 23a). Cela nous montre que quelqu’un peut dépenser de l’argent, acheter un animal coûteux pour le sacrifier, prendre la peine de l’amener au Temple en expiation de sa faute... et malgré tout, son repentir est insensé s’il pense que l’argent suffit à obtenir le pardon de sa faute. C’est comme s’il pensait acheter le pardon de D. Bien que son effort soit louable, puisqu’il reconnaît sa faute et veut l’expier en apportant un sacrifice, il est tout de même considéré comme sot, parce qu’il ne comprend pas le sens et le but du repentir et du sacrifice. En effet, celui qui apporte un sacrifice doit faire l’aveu de sa faute (Rambam, Hala’hoth Téchouvah 1:1), et il doit même considérer que c’est lui qui devrait être sacrifié à la place de cet animal et qu’il mérite qu’on lui fasse tout ce qui est fait à cet animal (Ramban, début de Vayikra). C’est uniquement dans Son infinie bonté que D. accepte le sacrifice en échange et à la place de la personne elle-même. L’homme doit prendre la décision de ne pas répéter sa faute, « et D. qui connaît tout ce qui est caché, témoigne de lui qu’il ne répétera jamais sa faute » (Rambam, Hala’hoth Téchouvah 2:2).

Caïn commit une telle étourderie. D’une part il dit à D. : « Mon crime est trop lourd à porter » (Béréchith 4:13) ce qui montre qu’il avait connaissance de la gravité de son crime. Par ailleurs, il est dit de lui (ibid. 4:16): « Caïn se retira de devant l’Eternel », et les Sages soulignent (Béréchith Rabah 22:28): « Comme quelqu’un qui trompe D. » et (Midrach ad. loc.): « Rav Bérekhyia au nom de Rabbi Elazar, fils de Rabbi Chimon dit: Il s’est retiré comme quelqu’un qui ment et trompe son maître ».

Les Sages ajoutent (Yébamoth 21a): « La punition des fautes commises dans les poids et mesures est plus sévère que celle de la transgression de relations interdites ». C’est parce que le repentir comprend trois aspects: l’aveu explicite de la faute, le regret d’avoir commis une transgression, et la décision de ne plus fauter à l’avenir (Rabbeinou Yona a longuement expliqué cela dans son livre sur le repentir, auquel il est conseillé au lecteur de se référer). L’aveu, la reconnaissance de la faute, est la première étape du repentir, et cela explique pourquoi la punition des fautes commises dans les poids et mesures est plus sévère que celle sanctionnant les relations interdites, car il est difficile à l’homme de se repentir d’une faute qu’il ignore. Au moment de la transaction, il lui est difficile de réaliser qu’il commet une faute car à ce moment-là, il ne pense qu’au gain qu’il va tirer de cette affaire. Cette préoccupation l’aveugle, et il ne surveille pas de près ses intentions. Il lui sera donc difficile de parvenir à la première étape du repentir qui est la reconnaissance de la faute, et il ne veut pas admettre qu’il a commis (par exemple) un vol. Les Sages ont dit que « personne ne s’accuse lui-même » (Yébamoth 25b; Ketouboth 18b; Sanhédrin 9b), et s’il pense qu’il n’a pas commis de faute, « il est jugé pour avoir dit: Je n’ai pas fauté... » (Yérémia 2:35). Il n’en est pas de même concernant les relations interdites, car dans ce cas, l’homme sait parfaitement qu’il commet une faute, ce qui est déjà une atténuation de sa punition, et son regret représente aussi un espoir qu’il ne fautera plus à l’avenir.

Cela explique la différence entre le repentir de Réouven et celui de Caïn. Il est vrai qu’Adam et Caïn ont constaté le pouvoir du repentir, et qu’ils ont reconnu leur faute, mais leur repentir n’était pas parfait car ils se sont contentés d’avouer leur faute, sans plus. Ils n’ont pas ressenti de regret et ils ne se sont pas purifiés par des jeûnes. Il est écrit (Téhilim 92:2): « Il est bon de rendre grâce à D. » ­ rendre grâce dans le sens de reconnaître ses fautes, car D. exige cet aveu. Les Sages ont dit (Tan’houma 96:6): « Il n’est d’autre repentir devant D. que l’aveu ». Par contre Réouven a ajouté à cette conception du repentir la notion que les défauts d’intention sont aussi punis, car il n’a porté atteinte au lit de son père qu’après la mort de Ra’hel, en ne pensant qu’à la justice et à l’honneur dus à sa mère. Il voulait réparer l’affront commis envers elle (Pessikta Zouta Vaye’hi 49:4): « Une servante prendrait-elle la place de la maîtresse de maison? » Il est très difficile de sentir et de reconnaître qu’il y a là une faute, mais Réouven, bien qu’il ait agi pour venger l’honneur de sa mère, a reconnu qu’il avait mal agi, surtout en tant qu’un des chefs des tribus d’Israël, dont la position rend la faute encore plus grave. Et donc, c’est Réouven qui le premier a exprimé la gravité des manquements personnels, et un tel repentir amène la rédemption, comme il est dit: « Le fils de David ne viendra que lorsque tous les défauts seront corrigés » (Aroukh Midot, au nom des Sages).

Réouven a été le premier à regretter sa faute de tout son cœur et de toute son âme. Il jeûna et porta le deuil de longs jours pour se faire pardonner (Béréchith Rabah 84:18; Bamidbar Rabah 13:17). Le Midrach fait dire à D.: « Je jure qu’un de tes descendants sera le héraut du repentir. Il s’agit d’Ochéa ». Nous avons remarqué qu’il y eut, avant Ochéa, des prophètes exhortant le peuple à se repentir. La réponse à cette objection se trouve dans le Midrach lui-même (Pessikta Rabati 44): « Tous les prophètes appellent le peuple juif à se repentir, mais pas de la même façon qu’Ochéa. Yérémia a dit (4:1): « Si tu reviens Israël, reviens à Moi... », Ichaya a dit (55:6): « Cherchez le Seigneur pendant qu’Il est accessible », mais ils n’ont pas enseigné qu’il fallait faire l’aveu de ses fautes. Ochéa lui, les exhorte à se repentir et il enseigne comment obtenir le pardon: « Armez-vous de paroles suppliantes et revenez vers D. » (Ochéa 14:3). La supériorité d’Ochéa, descendant de Réouven, consiste en ceci: non seulement les avoir amenés à reconnaître leurs fautes et à les regretter, mais aussi purifier leur âme et exprimer leur regret et leur repentir. Il avait appris cela de son ancêtre Réouven, qui fut le premier à se repentir de la sorte.

A cela, nous pouvons ajouter une autre explication proposée par Isma’h Israël: « Il y a deux sortes de crainte: la crainte de D. et la crainte de la faute. Pour les différencier, il faut dire qu’il est des hommes qui ne se retiennent de fauter que par peur de la punition et dont le repentir provient de la crainte du jugement. Il en est d’autres qui se retiennent de fauter essentiellement parce qu’ils craignent la faute elle-même et les dommages qu’elle cause au corps et à l’âme, car la faute entache l’âme. Ce repentir-là provient de l’amour. Celui qui se repent par amour de D. ne veut pas se tenir devant le Roi vêtu de haillons, entaché et sali de fautes. Il se repent par amour, car il a la crainte de la faute, et il craint le mal causé par la faute elle-même.

De là, on compte deux catégories de pénitents: l’un se repent par crainte de la punition qui le menace, « Il confesse ses fautes et y renonce, et obtient le pardon » (Michley 28:13). L’autre se repent après réflexion sur la faute elle-même. En voyant comment il est entraîné par des futilités et des occupations sans avenir, comment sa recherche de plaisirs le fait tomber de plus en plus bas parce qu’il en a fait une habitude, il a honte de sa chute et de sa déchéance et il se ressaisit, il se prive, il se met en peine, afin de corriger ses mauvaises habitudes et de purifier son âme, et il obtient le pardon. Un tel repentir est motivé par l’amour.

Le repentir d’Adam et de Caïn n’était pas parfait, et la preuve en est que jusqu’à ce jour, nous, les Enfants d’Israël, sommes occupés à corriger la faute d’Adam. Les Sages ont dit (Yirouvin 18b; Zohar III, 76b; Bamidbar Rabah 14:24): « Adam a jeûné, il s’est séparé de sa femme et il s’est mortifié pendant cent trente ans ». Faut-il donc comprendre que, comme Réouven, il s’est mortifié pour corriger sa faute? Et pourtant, son repentir n’était pas parfait, car justement pendant ces cent trente années, il donna naissance à des démons et à des esprits comme le disent les Sages (ibid.), c’est donc qu’il n’avait pas corrigé les imperfections de son âme. Le Ari zal, dans son Séfer HaGuilgoulim (rédigé par son élève Rabbi ‘Hayim Vital) écrit: « Le fils de David ne viendra pas avant que le meurtre de Havel ne soit corrigé ». Cela montre que le repentir d’Adam et de Caïn n’est pas parfait, jusqu’à ce jour.

Par contre, le repentir de Réouven était différent, il s’est repenti par amour, par crainte de la faute. Il craignait les imperfections et les souillures de son âme, et un tel repentir, accompagné de mortifications, a un grand pouvoir de purification et peut effacer les marques qui entachent l’âme. Cela nous permet de comprendre les propos de nos Sages (Yoma 86b) concernant celui qui se repent par amour: « Ses fautes volontaires sont considérées comme des mérites ». Telle est la qualité du repentir de Réouven qui a ouvert un chemin que tous peuvent suivre.

 

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