L’acquisition de la Torah par l’union du corps et de l’âme
« Alors Yéhouda s’avança vers lui, lui disant: de grâce, mon seigneur! Que ton serviteur fasse entendre sa parole aux oreilles de mon seigneur, et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur, car tu es l’égal de Pharaon » (Béréchith 44:18).
Ce verset est difficile à comprendre. Pourquoi décrit-il aussi longuement la façon dont Yéhouda aborde Yossef? Et pourquoi est-ce Yéhouda qui aborde Yossef, et non pas un autre des fils de Ya’akov? Si c’est parce que Yéhouda s’est porté garant de Benyamin, comme il le dit à Yossef (ibid. 44:32): « Ton serviteur a répondu de cet enfant à son père », il faut se demander pourquoi la garantie de Yéhouda fut acceptée et pas celle d’un autre de ses frères?
Avant la descente de Ya’akov en Egypte, nous lisons: « Ya’akov envoya Yéhouda en avant vers Yossef, pour qu’il lui prépare l’entrée en Gochen » (ibid. 46:28). Les Sages disent à ce sujet (Béréchith Rabah 95:3): « Afin de lui préparer une maison d’étude d’où sortira la Torah ».
Pourquoi est-ce justement Yéhouda qui reçoit la mission d’aller au-devant préparer une maison d’étude, et non pas un autre des fils de Ya’akov?
Pour répondre, il faut citer le Zohar (I 206b): « Rabbi Elazar dit: Pourquoi est-ce Yéhouda qui s’avança vers Yossef? Il convient que ce soit justement lui, parce qu’il s’était porté garant, comme il est dit (Béréchith 44:32): « Ton serviteur a répondu de cet enfant à son père ». Il y a là un sens caché. Ils auraient dû s’avancer l’un vers l’autre, car Yossef est le Juste et Yéhouda le Roi, mais c’est Yéhouda qui s’est approché de Yossef. Ce rapprochement a apporté nombre de bienfaits dans le monde, il a généré la paix entre les tribus, la réconciliation entre Yéhouda et Yossef, et rendu le souffle de vie à Ya’akov, comme il est dit (ibid. 45:27): « La vie revint au cœur de Ya’akov leur père », ce qui montre que leur rapprochement était nécessaire à tous les points de vue possibles ».
Ces paroles du Zohar sont merveilleuses.
1. Il est évident que Yéhouda doit s’avancer. N’est-il pas le garant de l’enfant?
2. Pourquoi est-ce justement le Roi qui doit s’approcher du Juste, si bien que seul Yéhouda pouvait s’approcher de Yossef? Et quel est le secret qui explique pourquoi Yéhouda s’avance vers son frère Yossef?
Chaque homme est formé de deux parties. La première est le souffle de vie qui habite son corps qui est la Royauté, par lequel il domine tout ce que D. a créé dans le monde et sans lequel il lui est impossible d’agir, que ce soit en bien ou en mal. C’est ce qui est indiqué figurativement dans le verset (Esther 5:1): « Esther se revêtit de ses atours de reine ». L’autre partie de l’homme est son âme, l’aspect divin en lui, appelé le Juste (et c’est le sens du nom Menaché, le fils de Yossef, dont les lettres sont les mêmes que celles du mot Néchama, l’âme). Ces deux aspects correspondent au ciel et à la terre, comme le disent les Sages (Béréchith Rabah 8:11): « L’homme tient du monde d’en-Haut et du monde d’en-bas », possédant à la fois un corps et une âme, il tient de la Royauté et du Juste.
Chacun sait que le corps, qui est matériel, est attiré par les choses matérielles de ce monde et ses plaisirs, sans plus. Mais l’âme, toute spirituelle, est attirée par les choses spirituelles, car elle vient du Trône de Gloire et elle est originaire des mondes supérieurs. Pour que ces deux aspects, la Royauté et le Juste qui sont le corps et l’âme, soient liés l’un à l’autre et coexistent amicalement, fraternellement, et pacifiquement, pour que tous deux puissent ensemble servir D., chacun a des devoirs envers l’autre, et chacun bénéficie de l’autre. Le corps physique bénéficie de ce monde matériel en pureté et sainteté, sans aucun usufruit, et tous ses gestes sont motivés par l’amour du Ciel, comme le disent les Sages (Avoth 2:17): « Que le but de toutes tes actions soit de plaire à D. », et alors le corps se sanctifie et devient auxiliaire de la sainteté de l’âme. De son côté, l’âme profite de l’abondance et de l’illumination qu’elle reçoit d’en-Haut, ce qui lui permet de s’élever toujours davantage. Mais ce n’est possible que si la paix et l’harmonie règnent entre le corps et l’âme, lorsque le corps est subordonné à l’âme, c’est-à-dire lorsque la Royauté se plie devant le Juste.
Le premier verset de notre section: « Yéhouda s’avança vers lui » fait allusion à ce rapport. C’est justement Yéhouda, c’est-à-dire le corps (qui indique la Royauté, comme Yéhouda) qui s’approche de Yossef le Juste, l’âme. Il se soumet à lui et lui dit « mon seigneur », c’est-à-dire: toi, l’âme sainte qui se trouve en moi, tu es appelée « Juste » et donc je dois me soumettre devant toi et t’appeler « mon seigneur », car tu es primordiale et je suis moi, secondaire. Et le verset continue: « Que ton serviteur fasse entendre sa parole aux oreilles de mon seigneur », moi, le corps, je suis ton serviteur, et toi l’âme, tu es le maître, et je désire te faire une demande: « Que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur, car tu es l’égale de Pharaon », c’est-à-dire: jusqu’à présent j’ai fauté envers toi et je t’ai causé du tort, mais je le regrette. Ne te mets donc pas en colère contre moi et ne me quitte pas à cause de mes fautes. Pourquoi? « Car tu es l’égale de Pharaon », c’est-à-dire que toi, l’âme, tu appartiens à D. qui rétribue fidèlement (le mot Pharaon (Par’o et le mot Péra’one, rétribution, ont la même racine), et « D. est fidèle au pacte de bienveillance en faveur de ceux qui L’aiment et obéissent à Ses lois jusqu’à la millième génération, mais Il punit Ses ennemis directement... » (Devarim 7:9-10), et Il attend et espère que l’homme regrette ses fautes comme il est écrit (Yé’hezkiel 33:11): « Je ne souhaite pas que le méchant meure, mais qu’il renonce à sa voie et qu’il vive! » et (Malakhi 3:7): « Revenez à Moi et Je reviendrai à vous! » De même, l’âme doit être pure comme D. est pur puisqu’elle est la partie divine de l’homme.
Cela nous permet de comprendre pourquoi Ya’akov envoya au devant justement Yéhouda pour établir une maison d’étude d’où sortirait la Torah. Yéhouda, dont il est dit (Béréchith 49:8): « Yéhouda, tes frères te rendront hommage, ta main fera ployer le cou de tes ennemis, les enfants de ton père s’inclineront devant toi », représente la Royauté, le corps, et c’est lui qui ira en terre de Gochen vers Yossef le Juste, fondement du monde (Zohar I, 59b), qui est l’âme. C’est grâce à la rencontre entre le corps et l’âme qu’ils peuvent s’asseoir ensemble pour étudier la Torah et servir D. sincèrement et de tout cœur.
La bénédiction de Ya’akov à Yéhouda nous enseigne que lorsque le corps s’approche de l’âme et se plie devant elle, l’homme peut s’élever de plus en plus haut, même si le corps a été séparé de l’âme pour quelque temps. Il est écrit (Béréchith 49:9): « Tu es un jeune lion Yéhouda, quand tu reviens, ô mon fils, avec ta capture! Il se couche... c’est le repos du lion et du léopard: qui oserait le réveiller? » Rachi explique: « Avec ta capture » - Je t’ai soupçonné parce « qu’une bête féroce l’a dévoré! Yossef, Yossef a été mis en pièces! » (Béréchith 37:33) et Yéhouda est comparé au lion. « Tu reviens, ô mon fils... » - Tu t’es retiré et tu as dit: « Quel avantage si nous tuons notre frère? » (ibid. v. 26) ».
Comme nous l’avons dit, Ya’akov dit à Yéhouda (qui représente la Royauté et le corps): Je t’ai soupçonné d’avoir tué Yossef le Juste qui représente l’âme... mais lorsque tu as dit « quel avantage », tu as signifié et prouvé que tu n’as pas tué Yossef, au contraire, tu as commencé à faire la paix et à te réconcilier avec lui, avec l’âme (l’expression « quel avantage » indique le début de la réconciliation et de la paix). Grâce à ce début de réconciliation, en t’approchant de lui, tu as réuni le corps et l’âme et tu as probablement réussi par là à amener la prospérité dans le monde, et le préparer à recevoir le Messie, notre sauveur. Un tel rapprochement et une telle réconciliation sont « le repos du lion et du léopard: qui oserait les réveiller? » Autrement dit, lorsque le corps et l’âme sont ensemble soumis à D., dans une même intention, le mauvais penchant ne se réveille pas, il ne peut pas placer des embûches. Grâce à la réconciliation et à la paix entre l’âme et le corps, l’homme peut faire venir l’époque de la rédemption. L’essentiel est que le corps se soumette à l’âme, la partie divine en l’homme.
A présent, prêtez l’oreille et écoutez une explication merveilleuse. Comment le corps et l’âme peuvent-ils, effectivement, vivre ensemble? Le corps a des besoins matériels et des tendances physiques, tandis que toutes les aspirations de l’âme sont spirituelles, il est donc impossible qu’ils vivent ensemble, d’autant plus que le corps ne veut que parcourir la terre, là où ses yeux et ses désirs le conduisent, même vers ce qui est interdit, dans le sens où il est dit: « L’œil voit, le cœur désire, et le corps commet la transgression » (Rachi, Chela’h 15:39). Il s’adonne entièrement aux plaisirs de ce monde, tandis que l’âme n’est attachée qu’à D., béni soit-Il.
Pourtant, grâce à la connaissance de la vérité, le corps peut se plier et se soumettre à l’âme. Précisément par la connaissance de la vérité, car « la vérité, c’est la Torah » (Yérouchalmi Roch HaChana III:8; Tana D’Bey Eliyahou Zouta 21). Ce n’est que grâce à la Torah que le corps et l’âme peuvent vivre ensemble, et c’est elle qui les unit.
Il est donc aisé de comprendre pourquoi Ya’akov envoya Yéhouda vers Yossef pour instituer une maison d’étude. Yéhouda, qui représente la Royauté (comme le dit le Zohar), et le corps (comme nous l’avons dit), fut envoyé vers Yossef qui est le Juste (comme le dit le Zohar) et l’âme (comme nous l’avons dit). Si Yéhouda, qui représente le corps, institue une maison d’étude et s’occupe de Torah, il se soumettra à l’âme. De cette façon, Ya’akov aussi s’occupera de Torah, et nous savons que l’attribut de Vérité est attaché à Ya’akov, comme il est écrit (Mich’a 7:20): « Tu as donné la vérité à Ya’akov », et cette Vérité, c’est la Torah. « Tu as donné la vérité à Ya’akov », signifie que la Torah retourne vers lui, et que le cœur de l’homme battra toujours pour elle, pour qu’il ne l’oublie jamais, comme le disent les Sages (Baba Metsya 85a): « Dorénavant, la Torah cherche à retourner dans son lieu d’habitation », c’est-à-dire dans le cœur de l’homme. « Chaque jour, une voix se fait entendre du Mont ‘Horev, elle proclame et se lamente: Malheur aux créatures pour leur mépris de la Torah » (Avoth 6:2; Chemoth Rabah 41:9; Kala 8). Le Baal Chem Tov explique: « Cette voix se fait entendre chaque jour dans le fond du cœur de chaque homme qui a abandonné la Torah », ce qui indique que la Torah cherche à pénétrer le cœur de l’homme. Effectivement, lorsque l’homme approfondit sa connaissance de la Torah, le corps et l’âme peuvent vivre ensemble et s’élever dans le service de D, Le servir avec amour et crainte, sincèrement et de tout cœur.
Si nous méditons les paroles du Zohar citées au début de notre section, nous constatons que le fait même que le corps se rapproche de l’âme et se soumette à elle, procure à l’homme la victoire sur le mauvais penchant et lui permet de s’améliorer, comme nous allons le montrer.
Les Sages ont dit (Avoth V:22): « Celui qui possède les trois qualités suivantes est un disciple d’Avraham, les trois vices opposés caractérisent les disciples de Bilaam l’impie. La générosité, l’humilité et l’abnégation caractérisent les disciples d’Avraham; l’envie, l’orgueil et l’ambition, ceux de Bilaam ». Certains commentateurs font remarquer que les premières lettres des mots Ayin Tova (un bon œil, c’est-à-dire la générosité), Néfèsh Némouka (un esprit de soumission) et Rouah Shéféla (une âme petite, c’est-à-dire l’abnégation) forment le mot NaAR, un jeune garçon.
Quel est le sens du rapprochement du corps et de l’âme (de Yéhouda et de Yossef) d’après le Zohar? Le Zohar écrit (ibid. p. 206a): « C’est le rapprochement de ce bas-monde (qui est assimilé à la femelle, à la vitalité, et qui est appelé Yéhouda) vers le monde d’en-Haut (qui est le fondement divin, le souffle, et qui est appelé Yossef), afin que tout soit uni ».
C’est dire que la vitalité du corps physique doit soutenir et faire la paix avec le souffle et l’âme qui sont divins pour qu’ils soient unis dans le service de D., béni soit-Il, et contre le mauvais penchant, qui comme on le sait est « tapi sur le seuil » (Béréchith 4:7), et qui s’installe « comme un étranger dans le corps de l’homme » (Chabath 105b).
Le Zohar explique clairement pourquoi Yéhouda s’avance vers Yossef. Yéhouda doit se rapprocher de Yossef parce qu’il s’est fait le garant de l’enfant, c’est-à-dire que le corps est garant du NaAR, de l’enfant, qui sont les premières lettres de Nefesh, Ayin, Rouah ces trois vertus - un œil bienveillant, un esprit soumis et une âme modeste - et les qualités essentielles exigées de l’homme - des qualités qui sont le secret de la réussite. L’union du corps et de l’âme est le secret et le fondement de la création tout entière, cette union garantit la paix entre les tribus, c’est-à-dire dans le monde entier, la paix entre Yéhouda et Yossef, entre le corps et l’âme, la paix avec Ya’akov leur père, qui indique D. Lui-même, comme il est dit (Méguilah 18a; Béréchith Rabah 98:4) « D. a appelé Ya’akov E-l » . Nous savons que le nom Ya’akov représente sept fois la valeur numérique du Nom de D.
Nous pouvons maintenant comprendre les paroles de nos Sages (Nédarim 32b): « Rami Bar Aba demande: quel est le sens du verset (Kohélet 9:14): Une petite ville, avec peu d’habitants? » (La suite du verset dit: « Un roi puissant marcha contre elle, l’investit et éleva autour d’elle de grandes redoutes. Mais il se trouva dans cette ville un homme pauvre doué de sagesse: c’est lui qui sauva la ville par son esprit »). « La petite ville représente le corps, les quelques habitants sont les organes, le grand roi qui entre dans la ville et l’investit, c’est le mauvais penchant... il y rencontre un homme pauvre et sage, c’est le bon penchant, qui a sauvé toute la ville grâce à sa sagesse, ce sont le repentir et les bonnes actions ».
Nous avons là trois concepts: le mauvais penchant, le bon penchant, et le corps. D’une part le mauvais penchant incite l’homme à fauter et il l’attaque avec force, d’autre part le bon penchant, pauvre mais sage, tente de ramener l’homme dans le droit chemin. Le corps, habité par ces deux tendances est comparé à une petite ville qui doit vaincre l’ennemi. Comment? En quoi le corps est-il finalement responsable des actes de l’homme, puisqu’il n’est qu’un lieu d’habitation, une ville, et rien de plus? Pourtant, comme nous l’avons dit plus haut, le corps est responsable en tant que garant, « ton serviteur s’est porté garant de l’enfant », le bien-être du corps et sa santé morale ne proviennent que de son union avec le bien et l’âme, qui s’opposent au mauvais penchant.
Cela nous permet d’expliquer (d’une autre façon) le début de cette section et toutes ses implications.
Yéhouda a conseillé de vendre Yossef en Egypte, en disant « quel bénéfice... vendons-le aux Ismaélites » (ibid. 37:26), c’est-à-dire que le corps abandonne l’âme à l’impureté, à la perversité du pays. Lorsque la coupe est découverte dans la sacoche de Benyamin (et le mot Gaviaa, coupe, compté avec le nombre de lettres, a la même valeur numérique que le mot Gouf, le corps), Yossef dit: « Qu’avez-vous fait? », c’est-à-dire que l’âme accuse le corps de l’avoir abandonnée et jetée « au fond du puits ». Et alors Yéhouda - le corps, s’approche de Yossef - l’âme, lui disant: « Mon seigneur », comme s’il se parlait en quelque sorte à lui-même, à son âme, en ces termes: « tu es mon maître », il convient que je m’adresse à toi cette fois aussi, et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur, car tu es l’égale de Pharaon, c’est-à-dire, de même que toi, mon âme, tu m’as attiré vers les choses saintes, de même le Satan, Pharaon (symbole du mal) habite en moi et c’est lui qui m’attire vers les choses impures, c’est lui qui me pousse à fauter et à commettre des actes interdits, D. nous en préserve.
Mais lorsque le corps s’approche de l’âme et se soumet à elle, il peut effectivement se corriger grâce à la sagesse du bon penchant, à la Torah, au repentir et aux bonnes actions. Le corps n’attend pas l’âme mais fait le premier pas vers les choses saintes, car il est garant. Tel est le sens caché du verset: « Nous ferons et nous entendrons ». « Nous ferons » avec le corps, et « nous entendrons » avec l’âme. Lorsque l’âme s’élève, le corps aussi se renforce et s’élève vers la spiritualité, et c’est ainsi que le mauvais penchant est vaincu, que la Torah devient une propriété personnelle, et que l’homme se transforme tout entier en « esclave de D. », de tout son cœur et de toute son âme.