La peine de Ya’akov - Il n’est de vie que la Torah

« Israël s’établit dans le pays d’Egypte, dans la province de Gochen, ils en prirent possession, ils y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement. Ya’akov vécut dans le pays d’Egypte pendant dix-sept ans. La durée de la vie de Ya’akov fut de cent quarante-sept ans » (Béréchith 47:27-28).

Rabbi Yo’hanan dit (Sanhédrin 106a): le mot Vayéshév, il s’établit, exprime la peine, comme par exemple: « Israël s’établit à Chittim. Là, le peuple se livra à la débauche avec les filles de Moab » (Bamidbar 25:1) et (Béréchith 37:1-2): « Ya’akov s’installa dans le pays des pérégrinations de son père... et Yossef débitait des médisances sur leur compte... » et (Béréchith 47:27-29): « Israël s’établit dans le pays de Gochen... et les jours d’Israël approchaient de leur terme... »

Il faut expliquer ce commentaire point par point.

1. Est-ce que le séjour d’Israël en terre de Gochen était vraiment pénible alors qu’il est dit (Or Ha’hayim; Baal HaTourim Vaye’hi) que justement « les dix-sept années de Ya’akov en Egypte furent les meilleures de sa vie », et (Tana D’Bey Eliyahou Rabah 5): « La fin de sa vie est bonne... » ou encore (Yérouchalmi Ketouboth 12:3; Béréchith Rabah 96:9): « Rabbi a appliqué ce verset à lui-même, disant: Rabbi s’installa à Tzipori pendant dix-sept ans » - ce qui contredit l’opinion de Rabbi Yo’hanan.

Le verset: « Israël s’installa dans le pays des pérégrinations de ses pères », indique qu’il vivait dans la peine, et les Sages remarquent (Béréchith Rabah 84:3): « Ya’akov désirait s’installer tranquillement lorsqu’il fut frappé par le malheur de Yossef ». Mais notre verset indique que les années de Ya’akov en Egypte furent heureuses et sereines puisqu’il est dit à propos du séjour des Enfants d’Israël en Egypte: « Ils l’occupèrent, y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement » (Béréchith 47:27). Il est dit ensuite: « Les jours d’Israël (Ya’akov) approchaient de leur terme », ce qui indique que toutes ces années furent bonnes et sereines. Pourquoi considérer que le terme Vayéchev exprime la peine?

2. Pourquoi la répétition « dans le pays d’Egypte, dans la province de Gochen »? Nous savons que Gochen est en Egypte. Qu’est-ce que la Torah veut nous faire comprendre par cette répétition?

C’est que le fait même de s’installer dans la tranquillité conduit à l’oisiveté, mère de toutes les fautes, comme le disent les Sages (Ketouboth 59b): « L’oisiveté conduit à l’ennui et à la perversion » et (Brach’ot 64a): « Les hommes sages ne connaissent pas de repos, ni en ce monde ni dans l’autre ». Il en est de même des hommes vertueux (Béréchith Rabah 84:3). S’ils prenaient du repos, ils en viendraient à l’oisiveté et ne seraient plus aussi vertueux; or ce n’est que dans l’autre monde que le mauvais penchant n’a plus d’emprise. De plus, la tranquillité en ce monde semble être une récompense pour les bonnes actions accomplies, et « il n’y a pas de récompense en ce monde pour l’obéissance aux commandements » (Kidouchin 39b; ‘Houlin 142a). Les Justes ne doivent pas désirer recevoir leur récompense en ce monde, mais uniquement dans l’autre monde, où ils « sont assis couronnés... » (Brach’ot 17a; Zohar III, 236b).

Nous apprenons de Ya’akov un principe de base valable pour toutes les générations, à savoir que les Enfants d’Israël ne doivent pas rechercher la tranquillité en ce monde, même si elle leur est accessible, car Ya’akov aurait pu s’installer dans la tranquillité mais il ne l’a pas fait parce que cette tranquillité aurait été considérée comme sa récompense et « il n’y a pas de récompense en ce monde ».

Nous trouvons dans le Talmud (Ta’anith 25a) un récit à propos de la femme de Rabbi ‘Hanina ben Dossa. Elle aspirait à un peu de confort en ce monde et à moins de peines car ils étaient très pauvres. Rabbi ‘Hanina pria, sa prière fut agréée et voici qu’une main du Ciel leur tendit un pied de table en or. La nuit, la femme de Rabbi ‘Hanina vit dans un rêve tous les Justes assis au Ciel autour d’une table à trois pieds tandis qu’elle et son mari étaient assis à une table à deux pieds. Au réveil, elle se plaignit auprès de son mari: « Est-il possible que tous aient une table à trois pieds et que nous avions une table à laquelle il manque un pied? Prie donc qu’on nous reprenne le pied de table en or en ce monde! » Sa prière fut agréée. Le sens de ce récit est qu’une vie tranquille en ce monde amoindrit d’autant la plénitude réservée dans l’autre monde.

Rabeinou HaKadoch était extrêmement riche. Avant de mourir, il témoigna n’avoir jamais tiré la moindre jouissance des choses de ce monde (Ketouboth 104a; Tana D’Bey Eliyahou Rabah 26) et nous savons les grandes douleurs physiques qu’il subit durant sa vie (Baba Metsya 85a; Béréchith Rabah 96:9). Le Talmud nous dit (Yoma 35b) que Rabbi Elazar ben H’arsoum servira de témoin contre les gens riches car sa grande richesse ne l’a pas empêché d’étudier la Torah...

Le confort conduit à l’oisiveté et à la faute, surtout en Terre Sainte où la tranquillité risque d’éveiller le mauvais penchant. C’est surtout sur une terre sainte comme Israël qu’il faut s’efforcer de ne pas rester oisif et de pratiquer la Torah, d’autant plus « qu’il n’y a pas de Torah comme celle de la Terre d’Israël » (Béréchith Rabah 16:7; Sifri Ekev). Les Sages ajoutent (Yirouvin 19a): « Une des entrées de l’enfer se trouve face à Jérusalem », c’est-à-dire qu’à Jérusalem et en Israël en général, le pouvoir du mauvais penchant est considérable et il faut le dominer par un attachement permanent à la Torah et au service de D. dans la sainteté qui convient à la Terre d’Israël « qui est plus sainte que tous les autres pays » (Kélim 1:6; Bamidbar Rabah 7:8), « Un pays sur lequel l’Eternel veille et qui est constamment sous l’œil du Seigneur, d’un bout de l’année à l’autre » (Devarim 11:12). Si l’on n’est pas plongé dans la Torah et que l’on se complaît dans la tranquillité, le mauvais penchant nous détournera du service de D., et une fois qu’il a attrapé l’homme dans ses filets, il l’éloigne du bon et droit chemin.

« Depuis le temps de notre Maître Moché jusqu’à l’époque de Rabban Gamliel, on n’étudiait la Torah que debout, mais après sa mort les gens se sont affaiblis et n’étudiaient plus la Torah qu’assis » (Méguilah 21a) et « Lorsque Rabban Gamliel est mort, la grandeur de la Torah fut perdue » (Sotah 49a). Tant que Rabban Gamliel était en vie, les gens étudiaient la Torah debout, avec effort. Cette coutume fut maintenue jusqu’à la période de la destruction du Temple et de l’exil, tant était grande l’influence de Rabban Gamliel sur sa génération. Mais après sa mort, personne n’eut un tel ascendant sur ses contemporains et c’est pourquoi, la génération s’étant affaiblie, cette coutume s’est perdue.

Si, sur une terre sainte comme la Terre d’Israël, Ya’akov a subi le malheur de Yossef pour avoir voulu vivre dans la tranquillité, à plus forte raison en Egypte, il ne fallait pas s’installer dans le confort. La province de Gochen était riche et prospère, comme il est écrit (Béréchith 47:6): « Etablis ton père et tes frères dans la meilleure province », la plus riche de toute l’Egypte. Il ne fait aucun doute que le mauvais penchant est puissant et il faut se garder de rechercher le confort, mais s’occuper de Torah et servir D. afin d’être protégé comme par une muraille contre les tentations environnantes.

Concernant le verset (Béréchith 46:28): « Ya’akov envoya Yéhouda en avant vers Yossef », les Sages disent (Béréchith Rabah 95:3; Tan’houma Vayigach 11): « Afin d’installer une maison d’étude d’où la Torah se répandrait dans le monde ». Il n’a pas attendu d’arriver lui-même en Egypte et il a fait les préparatifs à l’avance, afin que ses enfants trouvent immédiatement un lieu de Torah où ils puissent aller étudier dès leur arrivée, sans perdre un seul instant.

Maintenant nous voyons combien Rabbi Yo’hanan a raison de dire que l’expression « il s’installa en Egypte » exprime la peine. Il s’agit de la peine dans l’étude de la Torah, comme il est dit: « La récompense est à la mesure de la peine » (Avoth 5:25; Zohar III, 278b). Le verset loue Ya’akov qui, même dans un pays de débauche comme l’Egypte, et même dans une province agréable comme celle de Gochen, a persévéré dans la voie de la Torah et le service de D., sans se donner de repos.

Ce que nous avons dit explique aussi la répétition « au pays d’Egypte, en terre de Gochen », qui nous indique les qualités de Ya’akov. Le verset dit: « Ils en prirent possession, ils y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement », ils crûrent dans la Torah et en prirent effectivement possession, dans le sens où il est dit: « Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’en saisissent » (Michley 3:18).

Combien Rabbi Yo’hanan a raison de dire que la peine se réfère à ce qui est dit par la suite: « Les jours d’Israël approchaient de leur terme » car, à toutes les peines subies pendant ces dix-sept ans, s’ajouta une peine supplémentaire: Ya’akov sentit qu’en terre d’Egypte il était possible de servir D. de façon grandiose en luttant sans cesse contre le mauvais penchant et il était heureux de servir D. fidèlement, justement en Egypte, dans la province de Gochen. Ces années-là furent les meilleures de sa vie, des années d’élévation dans le service de D. avec des forces toujours croissantes. C’est pourquoi, lorsque ses jours arrivèrent à leur terme, il ressentit un grand chagrin, car il aurait voulu continuer à servir D. dans la peine et les souffrances et il était peiné de voir qu’il allait quitter ce monde et que le service de D. allait prendre fin pour lui.

Nous apprenons ici un principe fondamental. Justement en exil, l’homme peut parvenir à des sommets élevés dans le service de D. S’il n’en tire pas parti, il y perd lourdement. Ya’akov enseigne à toutes les générations qui se trouvent dans cet exil amer, comment s’élever et parvenir à la correction voulue. Il est bon de le faire à temps, afin de ne pas quitter ce monde avec le regret d’avoir failli à sa tâche.

Par la suite, il est écrit (Béréchith 49:1): « Ya’akov fit venir ses fils et leur dit: Rassemblez-vous, je veux vous révéler ce qui vous arrivera dans la suite des jours ». Les Sages expliquent à ce sujet (Pessa’him 56a): « Ya’akov voulait leur révéler la fin des temps, mais la prophétie lui échappa ». La date de la fin des temps lui échappa mais il révéla tout de même quelque chose à ses enfants. En leur disant « rassemblez-vous », il leur donna deux conseils qui protègeront les Juifs durant leur long exil. Premièrement, d’être unis comme un seul corps, deuxièmement, d’augmenter l’étude de la Torah. Le mot Asfou, a aussi le sens de « ajouter », et les Sages disent (Ta’anith 31a): « Celui qui persiste (Mossif), augmente (Yossif) ». L’étude de la Torah et leur unité protégeront les Enfants d’Israël contre le mauvais penchant qui ne peut pas détourner les multitudes de Juifs attachés à la Torah et n’a d’emprise que sur quelques personnes faibles et isolées. Les Sages ont dit (Kidouchin 30b): « Si vous vous occupez de Torah (unis), le mauvais penchant n’a pas d’emprise sur vous », et ils ajoutent (Ketouboth 66b): « Lorsque Israël obéit à la volonté de D., aucune nation et aucun peuple ne peuvent le dominer », et D. a dit à Moché (Vayikra Rabah 25:1): « Dis au peuple de s’occuper de Torah et il n’aura rien à craindre des autres peuples ». L’unité a un grand pouvoir, comme il est écrit à propos du verset (Ochéa 4:17): « Ephraïm est collé aux idoles, qu’on le laisse! », c’est-à-dire: « Même lorsqu’ils adorent les idoles, s’ils sont unis, ils sont invincibles ». La rédemption finale ne viendra que grâce à l’unité des Juifs, comme le disent les Sages (Tan’houma Nitsavim 1; Yalkout Chimoni Amos 549): « La rédemption d’Israël n’aura lieu que lorsqu’ils seront unis » et c’est uniquement grâce à la Torah qu’ils peuvent l’être. Il est possible que ce sont ce que les Sages ont voulu signifier (Ta’anith 11a; Tana D’Bey Eliézer Zouta 1) lorsqu’ils disent: « Celui qui souffre des souffrances de la communauté (c’est-à-dire qui en est solidaire) méritera de participer à la consolation de la communauté et de voir la rédemption » et (Tana D’Bey Eliézer Zouta 17): « Quiconque se donne de la peine en ce monde pour étudier la Torah... D. place sur sa tête une auréole de bienveillance ».

Concernant le verset lui-même, notons que le mot yjyw se décompose en deux parties: vay  et h’ay, c’est-à-dire que toutes les années de Ya’akov en Egypte étaient vay,  remplies de peine, comme nous l’avons dit plus haut, et pourtant ces dix-sept années (la même valeur numérique que le mot tov,  bon) furent toutes bonnes, car il avait vaincu le mauvais penchant et s’était élevé dans la Torah par ses efforts constants. Il fut peiné lorsque sa vie approcha de son terme. Ceci est très édifiant.

 

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