Yehouda est un jeune lion

« Yéhouda, tes frères te reconnaîtront, ta main est sur la nuque de tes ennemis, les fils de ta mère se prosterneront devant toi. Yéhouda est un jeune lion, quand tu reviens, de ta proie mon fils tu es monté, … le sceptre ne se détournera pas de Yéhouda » (49, 8-10)

Cette bénédiction donnée par Ya'akov à son fils Yéhouda accorde à celui-ci un cadeau extraordinaire, la royauté pour toutes les générations. A tel point que, comme le dit le Ramban sur ce verset, les ‘Hachmonaïm, malgré leur piété, ont été punis en cela qu’ils n’ont plus eu aucun descendant mâle, si bien que quiconque disait « je descends des ‘Hachmonaïm » était nécessairement un esclave, tout cela parce qu’ils avaient pris la royauté pour eux-mêmes, alors qu’elle n’appartient qu’à la tribu de Yéhouda.

Quelle en est la raison, pourquoi la royauté appartient-elle justement à Yéhouda ? Rachi explique : « De ta proie – du fait que je t’ai soupçonné à propos de « Yossef a été une proie, une bête féroce l’a dévoré », c’est Yéhouda, qui a été comparé à un lion ; tu es monté – tu t’en es détourné et tu as dit « à quoi servirait-il de tuer notre frère ? » De même, au lieu de laisser tuer Tamar, il a reconnu : « elle est plus juste que moi. » »

Le Keli Yakar dit : « Yéhouda, tes frères te reconnaîtront – parce que toi, Yéhouda, tu as reconnu la vérité dans l’histoire de Tamar, comme le montre le nom Yéhouda, donc mesure pour mesure, tes frères reconnaîtront que la royauté est à toi. Parce que tu n’as pas eu honte de reconnaître la vérité, tes frères n’auront pas honte de reconnaître cette vérité qu’à toi seul convient la royauté. »

Il ajoute : « Yéhouda est un jeune lion. Bien qu’il soit comparé à un lion qui a l’habitude de déchirer ses proies, de ta proie, mon fils, tu es monté, tu n’as pas été d’accord pour que Yossef soit déchiré, mais tu es monté, tu as regardé plus haut que tes frères, ainsi qu’il est dit (Béréchit 38, 1) : « Yéhouda descendit de ses frères », ce qui signifie qu’il s’est séparé d’eux, il ne voulait pas faire partie de leur groupe. »

C’est-à-dire que Yéhouda a mérité par ses actes de sauver Yossef de la mort, et en disant « elle est plus juste que moi », il a mérité la royauté, que tous les frères lui ont reconnue. Il faut comprendre ce que tout cela signifie.

Lorsqu’il a reconnu « elle est plus juste que moi », c’était une grandeur admirable, la grandeur de celui qui reconnaît la vérité, bien que ce soit une humiliation publique, car il a dit cela devant le tribunal, devant tout Israël, sans hésiter à l’avouer. Mais pourquoi est-ce que cela devrait lui acquérir, à lui Yéhouda, justement la royauté ? De plus, comment peut-on promettre la royauté pour toutes les générations ? Celui qui est digne d’être roi, c’est lui qui doit régner, comment peut-on dire que tout roi qui règnera sortira de la tribu de Yéhouda ? Il est évident que ce n’est pas par hasard, mais délibéré, et il nous incombe de comprendre pourquoi.

De plus, avant que Ya'akov ne descende en Egypte, il a envoyé Yéhouda, comme le dit le verset : « Il a envoyé Yéhouda devant lui vers Yossef pour lui donner des instructions à Goshen. » Les Sages ont expliqué (Yalkout Chimoni 152) au nom de Rabbi Né’hémia : « Pour lui installer une yéshiva où il puisse enseigner la Torah, où les tribus puissent lire la Torah, etc. » Apparemment, pourquoi dans ce but a-t-il choisi justement Yéhouda ? S’il aspirait à la Torah, il aurait dû envoyer Issakhar, qui de tous ses fils était celui qui avait la connaissance des temps, et qui avait reçu la bénédiction de la Torah. Alors pourquoi a-t-il envoyé Yéhouda dans ce rôle ?

Il semble que la royauté ne soit pas ce que nous comprenons. La royauté est un niveau extrêmement élevé, nous devons prononcer une bénédiction particulière lorsque nous voyons un roi, et nous avons l’habitude de penser que le roi est celui qui gouverne un peuple, ainsi qu’il est dit « il n’y a pas de roi sans peuple ». Nous devons savoir qu’un véritable roi, non seulement a un statut extérieur élevé, mais intérieurement aussi, il a une profondeur spirituelle. Un roi est celui qui sait se dominer lui-même, maîtriser ses forces et ses sentiments. Le véritable roi est celui dont toutes les actions sont réfléchies et mesurées avec la plus grande exactitude.

C’est ce que nous trouvons dans les paroles des Sages au début de la parachat Vayigach (Béréchit Rabba) : « Car voici que les rois se sont rassemblés, ils sont passés (avrou) ensemble – car voici que les rois, ce sont Yéhouda et Yossef ; sont passés ensemble, l’un s’est rempli de colère (« evra ») sur l’autre, et inversement ; ils ont vu et se sont étonnés – ils manifestaient leur étonnement mutuellement. Ils ont eu peur, ils ont été bouleversés – ses frères ne pouvaient pas, etc. ; la crainte les a saisis là – ce sont les fils de Ya'akov, ils ont dit : les rois sont en jugement les uns contre les autres, nous, en quoi cela nous concerne-t-il ? Que le roi règle son jugement avec le roi. »

Les tribus voient Yossef et Yéhouda en train de se disputer, l’un pleure et l’autre pleure, ils se parlent durement l’un à l’autre, et les frères se tiennent stupéfaits. Ils ne voient pas le vice-roi d’Egypte parler avec leur frère, leur propre chair, mais « des rois sont en jugement les uns contre les autres ». Même s’il en était ainsi, pourquoi la crainte les a-t-elle saisis ?

C’est que quand ils ont été témoins de cette discussion, de cette dispute, ils ont vu des « rois », ils ont vu l’essence d’un roi, ils ont vu que chaque mot était pesé, aucun d’eux ne perdait le contrôle de lui-même, tout était avec mesure, et en voyant une pareille maîtrise de soi, la peur les a saisis. A ce moment-là, ils ont reconnu : « ce sont des rois qui sont en jugement entre eux », et bien qu’ils n’aient pas su que le vice-roi qui se tenait en face d’eux était leur frère Yossef, ils ne pouvaient pas faire abstraction d’une conduite si royale.

Maintenant, en réfléchissant, nous constatons que Yéhouda, dans sa conduite jusqu’à présent, avait prouvé que personne n’était plus digne de la royauté que lui. Quand ses frères décident qu’il faut tuer Yossef, il ne s’incline pas, la majorité ne réussit pas à lui imposer son avis, car il est clair pour lui qu’un tel acte ne convient pas, c’est pourquoi malgré la grande difficulté que cela comporte, il leur tourne le dos, « du butin, mon fils, tu es monté », jusqu’à ce qu’ils tombent d’accord avec lui. Ce même trait de caractère apparaît dans l’histoire avec Tamar. Il maîtrise parfaitement son langage et reconnaît la vérité, malgré tout ce que cela implique. Bien qu’il risque maintenant de perdre son statut aux yeux du peuple, cela ne lui fait pas peur, il dit « elle est plus juste que moi ».

Y a-t-il un roi plus grand que cela ? Y a-t-il un homme qui règne sur lui-même plus que Yéhouda ?

Ni la société, ni ce qu’en pensent les autres, rien ne le dérange ! A partir du moment où il décide que c’est ainsi qu’il convient de se conduire, c’est ainsi qu’il se conduit !

On comprend maintenant parfaitement pourquoi Ya'akov a rendu Yéhouda responsable de l’établissement d’un beit midrach. C’est d’une part parce qu’il avait cette qualité nécessaire à l’étude de la Torah et à l’élévation spirituelle, reconnaître la vérité, ce qui est indispensable dans le Beit Hamidrach ; en effet, le fait de nier et de rester sur ses positions est à la base de toutes les déviations ; quelqu’un qui ne reconnaît pas la vérité ne s’élève pas dans la Torah et dans la spiritualité, car il est parfait à ses propres yeux, et cela l’éloigne de toute qualité, il ne mérite pas la vérité de la Torah. Mais ce n’est pas seulement pour cela que Ya'akov a envoyé Yéhouda, c’est aussi parce que Yéhouda était, par nature, un roi ! Il régnait sur ses membres, il régnait sur ses désirs et ses volontés, et un tel homme est digne de fonder une yéshiva. C’est lui qui est digne de diriger et de conduire, c’est lui qui est digne de se tenir à la tête du peuple et d’être pour lui un exemple. Certes, Yossef aussi, quand il était chez Putiphar et qu’il est sorti vainqueur des nombreuses épreuves auxquelles il a fait face, était digne de la royauté, comme les tribus l’ont constaté en Egypte, encore avant de savoir qui il était. Mais il n’était pas arrivé au niveau de « elle est plus juste que moi ».

 

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