« Les jours d'Israël approchant de leur terme » (Béréchit 47, 29)

Les Richonim et les A’haronim se sont demandé comment Ya’akov savait qu’il était sur le point de mourir. Le Ramban explique ce verset de la manière suivante : lorsque la fin d’Israël (Ya’akov) a approché, il a appelé son fils Yossef. Il était alors dans la dernière année de sa vie. Il n’était pas malade, mais se sentait pourtant particulièrement fragile et sans forces. Il savait qu’il ne vivrait plus longtemps, il a donc mandé son fils Yossef. Ce n’est que lorsque ce dernier est retourné en Egypte que Ya’akov est tombé malade. Yossef est alors revenu avec ses fils afin qu’il les bénisse. De la même manière, il est dit au sujet de David : « Les jours de David approchant de leur fin ». Puis ce verset est suivi de : « Je suis près d'aller où va toute chose terrestre. » Il avait donc conscience de son état, comme l’écrit Rabbeinou Bé’hayé.

Cependant, il est intéressant de considérer l’avis du Or Ha’Haïm, qui propose une toute autre explication : « Ya’akov a ressenti certaines choses que l’on perçoit avant sa mort. Nos Maîtres disent en effet (I Zohar 217, 2) que l’on perd son ‘tselem Elokim’ (image divine) trente jours avant son décès. L’histoire de Rabbi Chimon Bar Yo’haï, qui a vu que le visage de Rabbi Its’hak ne reflétait plus le ‘tselem Elokim’, est d’ailleurs racontée à cet endroit. De manière générale, cette connaissance est inaccessible aux humains, sauf aux tsaddikim qui ressentent et perçoivent toute la spiritualité. »

Le Or Ha’Haïm soulève une difficulté concernant les termes du verset « Les jours… approchant… » : le terme ‘approcher’ est-il adéquat lorsque l’on parle de ‘jours’ ? Il répond : « il faut le comprendre à la lumière de la conception du Ari zal développée dans son livre ‘Kehilat Ya’akov’ » : les âmes sont divisées en plusieurs étincelles qui sont elles-mêmes réparties entre les différentes réincarnations. Le nombre d’étincelles correspond au nombre de jours de vie de la personne. Les jours où elle accomplit des mitsvot, l’étincelle de cette personne correspondant à ce jour-là est réparée. Cependant, les jours où l’homme n’accomplit pas de mitsvot, l’étincelle correspondant à ce jour-là reste défectueuse. Le Or Ha’Haïm conclut : « Ce passage éclairera l’homme intelligent dans sa compréhension des textes. »

Le tribunal céleste : toutes les nuits

Expliquons ses paroles : la nuit est le moment pour chacun d’aller dormir, de se reposer du labeur de la journée. Cependant, seul le corps dort, mais l’âme, parcelle de D., ne se repose pas. Elle va rendre des comptes sur son activité de la journée. En effet, le matin nous récitons « Je te remercie, Roi vivant, de m’avoir rendu mon âme », car au matin, dans Sa grande miséricorde, Hachem nous la restitue. Au moment où elle se trouve devant le tribunal céleste, les actes que l’homme a accomplis durant cette journée sont examinés. S’il est méritant car il s’est investi dans la Torah, a accompli des mitsvot et des bonnes actions, heureux est-il et son sort est enviable : l’étincelle correspondant à cette journée mérite de monter vers sa source céleste. Par contre, s’il n’a pas agi ainsi, un jour manquera à son âme : de retour dans le monde, elle ne pourra pas réparer ce qu’elle aurait pu faire ce jour-là, car celui-ci est perdu. C’est pourquoi nos Maîtres ont institué que si l’on n’a pas terminé son programme d’étude dans la journée, on s’efforcera de le faire avant de dormir, car le lendemain il s’agit déjà d’un nouveau programme.

Tel était le niveau de nos ancêtres, qui remplissaient leurs jours et profitaient de chacun d’eux pour en exploiter le potentiel. Ainsi on dit à leur sujet qu’ils « avançaient en âge » (‘baïm bayamim’ : venaient en âge) : chaque journée était rentabilisée au maximum, chaque jour et l’étincelle qui lui était propre. Ils étaient tous remplis, améliorés, selon leur objectif et leur signification cachée.

Un Tanna avait dit dans Avot (2, 4) : « Ne dis pas ‘quand j’aurai du temps j’étudierai’, de peur que tu n’aies jamais le temps. » En effet, si l’on affirme servir son Créateur « quand on aura le temps », on risque de perdre cette occasion, et de ne jamais étudier, car ce jour sera alors perdu et le lendemain sera investi dans une autre mission. L’étincelle de ce jour-là s’éteindra et fera place à celle du lendemain, nouvelle et particulière.

« Certains acquièrent leur monde en un instant »

On comprend donc ce qu’affirment nos Maîtres à plusieurs endroits du Talmud, et dans des midrachim : « même de parfaits tsaddikim ne peuvent se tenir là où les pénitents se tiennent. » C’est également ce qui est écrit dans le traité Avoda Zara : « Rabbi a pleuré et dit ‘certains acquièrent leur monde en un instant.’ » En effet, celui qui fait techouva peut ‘rattraper’ en un instant tous les jours qu’il a manqués. En une seule fois, il mérite de réparer toutes les étincelles des jours passés, notion qui n’existe pas même chez les tsaddikim parfaits. Ces derniers, qui économisent peu à peu pour gagner beaucoup, réparent les étincelles et les élèvent jour après jour, heure après heure.

En y réfléchissant davantage, on se rendra compte que c’est exactement la raison pour laquelle les premières générations vivaient plus longtemps. Le Or Ha’Haïm écrit à ce sujet : « A la doléance des hommes ‘Que nous a fait D. ? Quel changement considérable s’est opéré entre nos générations et les précédentes ! Adam a vécu 930 ans, ses enfants et petits-enfants 800 et 700 ans, alors que de nos jours, on atteint au maximum les 100 ans !’, la réponse nous saute aux yeux. » Dans le passé, ils étaient capables de réparer et de remplir leurs jours en réalisant le potentiel de chacun d’eux. Une longue vie leur était donc accordée. Mais du fait de la puissante décadence des générations, les ressources de forces se sont épuisées et si l’on vit longtemps, on transformera cet avantage en perte car on détériorera les jours au lieu de les améliorer. D. a donc réduit nos années de vie pour que nous puissions accomplir la tâche qui nous est donnée, et réparer nos jours.

Il l’a lui-même expliqué à l’aide d’une parabole : « Cela ressemble à un roi qui distribue de belles pierres à des artisans pour qu’ils les travaillent et les embellissent afin de fabriquer des objets précieux comme des trésors royaux. Il décide que quiconque s’adonnera à cette tâche avec zèle et application comme il l’a ordonné méritera d’acquérir ces belles pierres en guise d’ornements. Il donne donc à chacun un grand nombre de pierres : à l’un trois cent mille, à l’autre trois cent cinquante mille... Puis il fixe la durée nécessaire pour cette tâche, soit un jour par pierre, et annonce qu’il enverra quelqu’un les récupérer au moment prévu. Le temps imparti s’étant écoulé, le roi convoque donc ses artisans qui se rassemblent face à lui en lui rapportant ce qu’il leur avait confié. Mais ils n’ont pas réparé et embelli les pierres… au contraire, ils les ont salies et détériorées et ils les rendent à présent abîmées ! Le roi se met alors fortement en colère contre tous ces ouvriers. Il les remplace par leurs propres enfants en leur montrant la punition qu’avaient reçue leurs pères et en les prévenant de ne pas agir comme eux. Puis il continue à régner, tout en allégeant la quantité de travail de ses ouvriers. Pour leur bien, il ne leur livre plus de trente à quarante mille pierres… en espérant qu’ils y feront attention puisque la tâche leur est plus accessible. Il en est de même pour Hachem, Roi d’Israël : Il distribue de belles pierres, qui sont les âmes appelées ‘pierres précieuses’. Les moyens qui nous sont octroyés sont la Torah et les mitsvot : en les expliquant et en les accomplissant comme il se doit, en s’obstinant à vouloir faire le bien et à s’éloigner du mal (I Zohar, 82), nous donnerons à notre âme une valeur supérieure, elle éclairera de la lumière de la Torah et nous lui préparerons un trône, ce qui correspond aux objets en or cités plus haut dans la parabole, et elle acquerra aussi une couronne royale. Hachem a donc commencé par confier une lourde mission aux premières générations en leur octroyant des âmes élevées composées de nombreuses parties. Chacune d’elles correspond à un jour de vie. Par exemple, Il a donné à Adam plus de trois cent mille parties, [qui sont effectivement le nombre de jours qu’il a vécus (930 ans)] et plus ou moins autant pour toutes les autres personnes de ces générations. Mais lorsqu’ils ont commencé à se débaucher, Hachem s’est mis en colère contre eux et a établi à leur place Noa’h et ses fils. Dès lors, Il a allégé le lourd travail qu’Il leur donnait pour que la fin soit plus proche et que les hommes tremblent à l’idée de ce moment. En voyant que les gens n’étaient pas à la hauteur, Il a réduit de plus en plus la durée de leur vie… et de nos jours, à cause de nos fautes, nous vivons environ soixante-dix ans, soit à peu près vingt-cinq mille jours. Pourtant, nombre de nos coreligionnaires ne réalisent même pas correctement cette simple tâche qui nous incombe. »

A la fin de ce développement, il écrit : « La signification du verset ‘les jours d’Israël approchant de leur terme’ nous paraît à présent plus claire : les particules de son âme qui montaient chaque jour s’approchaient du Trône de gloire, comme dit le verset ‘Tu ajoutes du souffle’, qui dénote la notion de mourir. Ya’akov a ressenti que le temps du perfectionnement était arrivé, et il a fait appeler son fils Yossef. »

En effet chaque jour, une certaine étincelle de l’âme de Ya’akov montait au ciel et s’y trouvait réparée. Elle restait cachée sous le trône céleste où était gravée l’image de Ya’akov. C’est pourquoi à la fin de ses jours il éprouvait une certaine faiblesse, il sentait que ses forces l’abandonnaient, et que les étincelles de son âme avaient achevé leur mission et leur rôle sur terre.

Ceci est une leçon profonde, qui doit nous imprégner au plus profond de nous-mêmes : chaque jour qui nous est donné par le Créateur est un cadeau spécifique pour chacun d’entre nous. Une journée est une perle précieuse et merveilleuse. Or l’année est constituée de 365 jours, soit 365 perles brillantes et magnifiques que nous avons le devoir de tailler, polir, nettoyer et faire briller. Pourtant, au lieu de cela, nous prenons ces diamants, ces perles, et les utilisons pour nos besoins personnels, nous les souillons par des futilités, de la médisance, du commérage et toutes sortes de transgressions ! C’est terrifiant ! Nous détruisons chaque jour une perle supplémentaire !

Qui n’en serait saisi de frayeur ? Si nous voyions quelqu’un au bord d’un fleuve tenant dans sa main un sac précieux plein de diamants et que nous le surprenions tous les jours en train de jeter un diamant dans le fleuve, nous le prendrions pour un fou. Quiconque est animé d’un peu de compassion s’approcherait de lui pour le réprimander de ses actions, car cet homme ne se rend manifestement pas compte de la valeur considérable de ces diamants. Cependant, nous-mêmes, nous nous tenons ici, jour après jour, et jetons le plus merveilleux cadeau que le Créateur nous ait donné : la vie (« Il renouvelle chaque jour dans Sa bonté la création du monde »). Nous la jetons de manière indigne, nous la gaspillons et la salissons. Comment est-ce possible ? Comment pouvons-nous faire une chose pareille ?

 

 

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