«Ménager les coups, c’est haïr son enfant»

«Voici les noms des fils d’Israël, venus en Egypte» (Exode 1:1). C’est ce qui est écrit (Proverbes 13:24): «Ménager les coups de verge, c’est haïr son enfant, mais avoir soin de le corriger, c’est l’aimer» (Chémoth Rabah 1:1).

Nous apprenons ainsi que l’enfant que l’on ne réprimande pas finit par se dépraver et haïr son père. Les exemples sont nombreux dans la Torah. A l’âge de quinze ans, Ismaël commença à rapporter des idoles du marché et à les adorer, comme il le voyait faire autour de lui. «Voyant le fils d’Agar jouer...» (Genèse 21:9), ce «jeu» dérivant de l’idolâtrie (Béréchith Rabah 53:15), «Sarah dit immédiatement à Avraham : Renvoie cette esclave et son fils» (id. 10)... Avraham n’avait pas pris soin de réprimander Ismaël et ce dernier finit par se dépraver.

«Isaac préférait Esaü parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche» (id. 25:28). Esaü se déprava parce qu’il n’avait pas été réprimandé par son père: ce jour-là [où on enterra Avraham], enseigne le Talmud, il avait commis cinq péchés (cf. Bava Bathra 16b; Midrach Téhilim 9:7).

Il en fut de même pour Absalon: n’ayant pas été réprimandé par son père David, il finit par se dépraver (cf. Tan’houma, Ki Tetsé 1), menaça de tuer son propre père (cf. Samuel II, 17:2), et cohabita même avec ses concubines (Tan’houma id.) «Mais avoir soin de le corriger, c’est l’aimer» (Proverbes id.). Il s’agit du Saint, béni soit-Il, qui aime Israël, comme il est écrit: «Je vous ai pris en affection, dit l’Eternel. Je vous ai envoyé des épreuves» (Malachie 1:2). Nous voyons donc qu’Avraham a réprimandé son fils Isaac, lui a appris la Torah, l’a guidé sur le bon chemin, etc.. On peut en dire de même d’Isaac pour Jacob.

 Commentant ce Midrach, Rabbi Nathan Meïr Wokhtfögel écrit: «Nous avons généralement tendance à penser que notre père Jacob était déjà Tsadik et qu’Esaü était déjà méchant dans le ventre de leur mère. Cependant, il n’en est pas ainsi, d’après le Midrach mentionné plus haut où il est stipulé que si Isaac avait éduqué Esaü comme Jacob, ils auraient été tous deux des Tsadikim, et qu’Esaü n’était méchant que parce qu’il n’avait pas été réprimandé par son père. C’est un autre Midrach (Béréchith Rabah 63:6) qui rapporte qu’ils étaient totalement différents dans le ventre de leur mère. Commentant le verset: «Comme les enfants se heurtaient dans son sein» (Genèse 25:22), Rachi explique que, lorsque leur mère passait près d’une maison d’études, Jacob s’agitait dans le ventre maternel et voulait sortir, comme il est écrit: «Avant que je t’eusse formé dans le sein de ta mère, je t’avais consacré» (Jérémie 1:5); et quand elle passait près d’un lieu d’idolâtrie, c’est Esaü qui voulait le faire, comme il est écrit: «Dès le sein de leur mère, les méchants sont fourvoyés» (Psaumes 58:4). Il y a donc là, contradiction..

Essayons un peu de comprendre:

1. Comment peut-on concevoir qu’Isaac, attribut de jugement et de rigueur (Zohar III, 302a), tellement zélé pour le service divin, n’ait pas éduqué son fils Esaü dans le bon chemin et n’ait pas été sévère envers lui? Isaac est donc apparemment coupable, et Esaü peut se plaindre de ne pas avoir été éduqué comme il convient par son père.

2. Il est vrai que Jacob ne devint Tsadik que parce qu’Isaac lui avait fait suivre le chemin de la droiture et avait veillé jalousement sur son éducation. La Torah rapporte cependant explicitement qu’Isaac aima Esaü, mais ne mentionne pas qu’il ait enseigné la Torah à Jacob. Seule «Rébecca aima Jacob» (Genèse 25:28). On peut se poser aussi la question: Pourquoi Isaac n’inculqua-t-il la Torah qu’à Jacob?

3. En ce qui concerne l’agitation des jumeaux dans le ventre maternel, on peut dire qu’ils ne jouissaient pas encore de l’exercice du libre arbitre: ils ne pouvaient donc pas décider d’être Tsadik ou méchant. Car on ne peut jouir du libre arbitre qu’à la sortie du ventre maternel: le mauvais penchant s’introduit alors en la personne (Béréchith Rabah 34:10, cf. Genèse 8:21), comme il est écrit: «Le péché est tapi à la porte [de la matrice]» (Genèse 4:7). Le mauvais penchant porte le nom de «vieillard» parce qu’il s’introduit chez l’enfant dès sa naissance, tandis que le penchant du bien porte le nom de «jeune» car il ne s’associe à l’homme que lorsqu’il atteint l’âge de treize ans (Koheleth Rabah 4:15; Avoth deRabbi Nathan 16:2; Zohar I, 165b). Comment peut-on dans ces circonstances parler de l’agitation de Jacob et Esaü dans le ventre maternel, alors qu’ils sont encore dépourvus du penchant au bien et du penchant au mal?

4. Pourquoi notre patriarche Avraham, qui a éduqué le monde entier et l’a poussé au repentir, comme l’ont enseigné nos Sages (Béréchith Rabah 39:21) à propos du verset: «Toutes les âmes qu’ils avaient faites à ‘Haran» (Genèse 12:5), n’a-t-il pas été sévère et éduqué son fils Ismaël? De même peut-on concevoir que le Roi David, tellement plein d’intégrité et d’humilité, qui a fait revenir à Dieu les enfants d’Israël (Mo’ed Katan 16b), leur a fait suivre la voie de Dieu (Tan’houma, Nasso 28), n’ait pas veillé à éduquer son fils Absalom et l’ait laissé ainsi se dépraver?

Nous avons déjà proposé de nombreuses réponses à ces questions difficiles, notamment dans le chapitre: «De la vertu de l’éducation des enfants» (section hebdomadaire Toledoth du livre Béréchith, etc...), mais je voudrais ici suggérer, avec l’aide de Dieu, quelques réponses personnelles.

Quand on considère la grossesse de notre mère Rébecca, on ne peut pas s’abstenir de se poser une question ardue: pourquoi le Saint, béni soit-Il, a-t-il formé des jumeaux dans son ventre? N’aurait-il pas mieux valu qu’elle donne naissance d’abord à Jacob, ensuite à Esaü? Dans ce cas, nous saurions tous que le fœtus qui s’agite et ne désire sortir du ventre maternel qu’à proximité d’une maison d’étude, deviendra un Tsadik, et que celui qui ne désire sortir qu’à proximité d’un lieu d’idolâtrie, sera certainement méchant. On peut répondre que Rébecca fut obligée de les enfanter ensemble à cause de la vente du droit d’aînesse, mais sachant qu’Esaü était déjà méchant dans le ventre maternel, même né séparément, il l’aurait vendu volontiers de toute façon, comme cela s’est finalement passé (cf. Genèse 25:33). Pourquoi donc Rébecca eut-elle à souffrir de l’agitation des enfants dans son ventre? Pourquoi de même Jacob dut-il subir la proximité d’un méchant à ses côtés avec tout ce que cela comporte comme souffrance?

C’est que la Torah veut nous inculquer ici une grande leçon de morale: la femme doit particulièrement veiller à sa conduite et à ses pensées pendant la grossesse, car elles influencent grandement le fœtus (cf. Yoma 82b). Pendant les liaisons conjugales, l’homme doit également veiller à ne pas souiller l’âme de son futur enfant. Quand le mari et la femme rectifient et purifient leurs paroles, leur conduite, et leurs pensées, ils imprègnent le fœtus de sainteté. Ce dernier a déjà, dans le ventre de sa mère, tendance à la sainteté, ses membres et nerfs l’«absorbent»... Dans le cas contraire, son âme se souille, il s’enveloppe d’impureté, même si, comme nous l’avons vu, le mauvais penchant ne l’habite pas encore.

Quand Rébecca passait près des lieux d’idolâtrie, elle se souillait un peu de leur impureté, qu’elle transmettait à Esaü qui devait sortir le premier. Et c’est pour cette raison que lorsqu’elle passait à proximité de maisons de culte et d’études, Esaü ne s’imprégnait pas de leur sainteté, c’est Jacob qui la recevait. C’était là par conséquent, la raison de l’agitation des jumeaux dans le ventre maternel: chacun voulait saisir ce qui était déjà inhérent à sa personnalité. Jacob s’imprégnait du maximum de sainteté, Esaü du maximum d’impureté et cela, Rébecca n’en était pas consciente. Combien la femme doit surveiller sa conduite durant la gestation!

Il est des personnes qui adorent des idoles parce qu’elles voient les autres le faire. Elles peuvent certes facilement se débarrasser de ce désir insensé et adorer plutôt le Créateur de toute chose. Quant aux mauvais traits, il est difficile pour l’homme de s’en débarrasser, car ils ont été «absorbés» dans son sang et son corps. Mais s’il a le mérite de s’en débarrasser et de revenir vers Dieu, même les plus grands Tsadikim ne peuvent se tenir à ses côtés (Bérakoth 34b; Zohar I, 129b). Mais celui qui a des mauvais traits de caractère, ne se laisse pas influencer par le Tsadik même en étant à sa proximité. La réciproque est également vraie: le Tsadik ne se laisse pas corrompre par le méchant, car il tend toujours à la sainteté. Ainsi Jacob resta Tsadik et Esaü mécréant, car aucun n’a réussi à influencer l’autre.

Nous pouvons maintenant comprendre le Midrach au sujet d’Avraham, d’Isaac et du Roi David:

Ismaël, lui, a appris l’idolâtrie chez les autres, mais il avait hérité de qualités de son père. Avraham ne l’a donc pas réprimandé. Il s’est par la suite dépravé et nos Sages ont blâmé notre patriarche. Bien qu’«il sût que c’était la postérité d’Isaac qui porterait son nom» (cf. Genèse 21:12), toujours est-il que, ayant poussé tant de gens au repentir, il aurait dû veiller particulièrement à la conduite d’Ismaël, comme il est écrit: «...ne te dérobe jamais à ceux qui sont comme ta propre chair» (Isaïe 58:7). Malgré ses bévues, Ismaël, qui avait des qualités, fit téchouvah le jour de la mort d’Avraham (cf. Bava Bathra 16b), comme il est écrit: «Il fut inhumé par Isaac et Ismaël» (Genèse 25:9), ce qui veut dire qu’Ismaël reconnut la grandeur d’Isaac et le laissa passer devant lui.

En ce qui concerne Jacob et Esaü, nous savons qu’ils apprirent tous deux la Torah dans leur enfance (Béréchith Rabah 63:14; Yalkhout Chim’oni, Toldoth 25)... mais Isaac savait que, pendant sa grossesse, Rébecca avait entendu dire à la Yéchivah de Chem et ‘Ever que deux nations «se ramifieraient dans son sein» (Genèse 25:23) et qu’elle engendrerait un Tsadik et un mécréant. Il aurait donc dû chercher la raison pour laquelle ils s’agitaient dans le ventre de leur mère. Comme le libre arbitre n’existe qu’après la naissance, on ne peut pas concevoir que l’un soit Tsadik et l’autre méchant: c’est que Rébecca a dû passer à proximité des lieux d’idolâtrie et de maisons d’études, et que l’un des deux a dû s’imprégner d’impureté et de forces du mal, tandis que l’autre s’imprégna de sainteté. Isaac aurait donc dû réprimander Esaü pour le laver de cette impureté, au lieu de l’aimer malgré ses questions insidieuses sur le ma’asser du sel et de la paille (Béréchith Rabah 63:15). En effet, Isaac prenait Esaü pour un Tsadik qui avait triomphé des forces du mal. Notre patriarche s’est bel et bien trompé car Esaü adorait les idoles qui l’empêchèrent de reconnaître le Saint, béni soit-Il.

Enfin, si le Roi David n’a pas châtié Absalom, c’est qu’il le voyait doué d’excellents traits. A preuve, il pesa les cheveux de sa tête et en donna la contrepartie en or pour le Saint Temple... Ainsi, même quand il voyait parfois que sa conduite était déficiente, il ne le châtiait pas. David a donc mal agi, car nous savons qu’Absalom était le fils d’«une belle femme» (Tan’houma, Ki Tetsé 1) et c’est sa beauté qui fut la cause de sa naissance. Il fut donc un fils libertin et rebelle (id.): depuis sa plus tendre enfance, il avait déjà un défaut. David aurait dû encourager Absalom pour lui faire conserver ses qualités, pour neutraliser la tare engendrée par son union avec la belle femme, et puisqu’il ne l’a pas fait, Absalom finit donc par se dépraver... et se faire pendre par les cheveux (Sotah 10b). Car même la mitsvah de charité engendrée par le poids de ses cheveux, n’avait aucune valeur, du fait que son cerveau était souillé de naissance, sa mère ayant entretenu des pensées nocives pendant la grossesse.

Les questions sur les deux midrachim ont ainsi leur réponse. Comme nous l’avons vu, tout dépend de la grossesse de la mère. En dépit de sa conversion, Hagar finit par revenir aux idoles de la maison paternelle, comme nous l’ont enseigné nos Sages à propos du verset: «Elle s’en alla et s’égara...» (Genèse 21:14; cf. Pirké deRabbi Eliézer 30). C’est donc Hagar qui souilla Ismaël malgré ses qualités. On peut en dire autant d’Esaü et Jacob: la méchanceté du premier et l’intégrité du second n’étaient pas innées, mais provenaient du fait que, passant à proximité des maisons d’études et des lieux d’idolâtrie, Rébecca transmit la sainteté à Jacob et l’impureté à Esaü. C’est cette tare qui poussa Esaü à poser des questions «intelligentes» sur le ma’asser du sel et de la paille pour montrer à son père son intégrité afin qu’il ne le réprimande pas. Et il réussit, puisque Isaac crut que son fils avait transformé son mal inné en un bien réel, et c’est la raison pour laquelle il voulait le bénir... car là où se trouvent les repentants, même les plus grands Tsadikim n’ont pas leur place. Quant à Jacob, il fut réprimandé par son père qui lui apprit la Torah, afin que le bien ne se transformât pas en mal. Esaü en revanche ne fut pas châtié. Les questions qu’il posait indiquaient que c’était un Tsadik, mais ce jumeau «plein de cheveux» kéadéreth sé’ar, était en fait un mécréant notoire. On retrouve dans Sé’AROTh (les cheveux) les mêmes lettres que RiSh’OuTh (la méchanceté) (Genèse 25:25; cf. Ba’al Hatourim, Targoum Yonathan).

Les chemins de Jacob et Esaü se sont ainsi déjà séparés dans le ventre de leur mère: le Saint, béni soit-Il avait décrété qu’ils y cohabiteraient sans se rapprocher l’un de l’autre. Aucun n’a donc influencé l’autre.

Nous apprenons par là qu’on peut se trouver dans des lieux immondes tout en restant attaché à Dieu, dans la pureté et la sainteté, comme Joseph dont l’intégrité fut totale du commencement à la fin (cf. Sifré, Deutéronome 32:44; Exode 1:5; id. 39:10). A preuve, Jacob ne ménagea pas les réprimandes de ses enfants. Il le fit aussi juste avant sa mort. Ainsi, malgré leur descente en Egypte, capitale mondiale de la débauche (Chémoth Rabah 1:22), ses fils conservèrent leur sainteté, car «eux et leur descendance accompagnèrent Jacob» (cf. Exode 1:1). Bien avant cela, en sortant de ‘Haran, de la maison de Lavan, craignant que ses enfants ne soient imprégnés de la moindre impureté, Jacob leur demanda de «faire disparaître les dieux étrangers qui étaient au milieu d’eux» (Genèse 35:2). Et, contrairement à son père Isaac et Avraham qui ne châtièrent pas Esaü et Ismaël, Jacob réprimanda et punit ses enfants, ce qui leur permit, à eux et à leur descendance, de ne pas se laisser influencer par les Egyptiens, pas plus que lui n’avait subi la mauvaise influence d’Esaü, la sainteté l’ayant touché déjà dans le ventre de sa mère.

C’est notre patriarche Jacob, qui a enseigné aux tribus à ne pas se mêler aux nations, et à ne pas les imiter: l’huile d’olive ne remonte-t-elle pas toujours? Se mêle-t-elle jamais aux autres boissons? (Chémoth Rabah 36:1). Si, pendant la grossesse de la mère, où on ne jouit pas de l’exercice du libre arbitre, l’un a choisi l’impureté, à Dieu ne plaise, et l’autre la sainteté, à plus forte raison peut-on triompher du mauvais penchant quand on jouit du libre arbitre. Ainsi, l’influence de la grossesse sur l’enfant est décisive. Cependant, malgré tout il peut être parfois entraîné par un mauvais entourage et régresser spirituellement... L’homme doit par conséquent honorer ses enfants, tout en s’en méfiant (Kala Rabati 9), car ils sont parfois susceptibles de sombrer. Il doit constamment veiller à les mener sur le sentier de la rectitude.

 

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