Eliminons l’orgueil

Commentant le verset: «Un roi nouveau s’éleva (vayakom) sur l’Egypte, lequel n’avait point connu Joseph» (Exode 1:8), nos Sages expliquent qu’il fit semblant de ne pas le connaître (Sotah 11a; Rachi id.). En effet, ils n’arrivaient pas à comprendre comment le nouveau roi pouvait se permettre d’oublier «le gouverneur de la contrée qui faisait distribuer le blé à tout le peuple du pays» (Genèse 42:6), qui sauva l’Egypte et en fait le monde entier de la famine. Comment Pharaon pouvait-il ignorer l’existence d’un personnage historique d’une telle envergure. Il a tout simplement fait semblant de l’oublier. En d’autres termes, si on lui demandait pourquoi il se préparait à mettre à exécution ses mauvais desseins contre les enfants d’Israël — la famille de Joseph — il était prêt à prétendre qu’il n’avait jamais entendu parler de lui.

Mais si on y regarde de plus près, on voit que la question reste posée. Joseph a bien sauvé l’Egypte de la famine: pourquoi donc Pharaon ne lui fut-il pas reconnaissant? Les commentateurs n’expliquent-ils pas que ce n’était pas un nouveau roi, mais qu’il ne fit que promulguer des sentences rigoureuses nouvelles (Sotah 11a; Chémoth Rabah 1:8). Pourquoi donc commença-t-il à faire souffrir la famille de Joseph et rendre le mal pour le bien? Peut-on à tel point dénigrer toute reconnaissance?

C’est qu’en vérité, Pharaon savait que Joseph avait fait beaucoup de bien en faveur des Egyptiens, mais il fit semblant de ne pas en tenir compte pour les deux raisons suivantes:

1) Pharaon ne s’est nullement intéressé au personnage de Joseph. En général, quand on entend parler des mérites de quelqu’un de célèbre qui a donné par exemple son nom à des villes ou des rues, ou dont tous les livres vantent les mérites, on tend à s’intéresser à lui et à recueillir les moindres détails sur sa vie et son œuvre. Mais Pharaon a préféré oublier jusqu’à l’existence même de Joseph alors que son nom apparaissait partout. Peut-être n’est-ce qu’une légende? se dit-il. Autrement, pourquoi n’a-t-on pas érigé une pyramide en son honneur comme on le faisait pour tous les grands rois d’Egypte? Il est vrai que les magiciens de Pharaon lui ont expliqué que Joseph «fut déposé dans un cercueil en Egypte» (Genèse 50:25) dans les profondeurs du Nil pour en bénir les eaux (Sotah 13a, Tan’houmah, Béchala’h 2), mais Pharaon qui était insensé, ne voulait même pas les entendre. On peut aussi concevoir que Pharaon savait que tout ce qu’on disait sur Joseph était juste, mais qu’il refusa de croire à sa sainteté, avec tout son peuple: ils s’est donc élevé contre les enfants d’Israël: «Tout est mensonge!» leur dit-il avant de commencer à faire souffrir la famille de Joseph. Il prétendait que toutes les bonnes actions accomplies par Joseph n’étaient que pour son profit et celui de sa famille.

2) Si Pharaon s’était intéressé à la vie et l’œuvre de Joseph, il aurait perdu tout son orgueil et son honneur aux yeux des Egyptiens... Aussi s’efforça-t-il de minimiser l’importance de Joseph aux yeux de son peuple, et de concentrer leur attention sur sa seule personne. Il s’efforça également de lui prouver que tout n’est que mensonge pour pouvoir faire du mal aux enfants d’Israël et inciter son peuple à en faire de même.

C’est donc l’ingratitude et l’orgueil (l’un dépend de l’autre) de Pharaon qui le conduisirent à tout ignorer de Joseph. Nous devons par conséquent manifester de la gratitude à quiconque nous fait du bien, car quiconque fait preuve d’ingratitude à l’égard de son prochain finit par renier le Saint, béni soit-Il, à Dieu ne plaise (Kohéleth Rabah 7:4).

L’orgueilleux reniera volontiers tout le bien que lui a fait son prochain. Il arrivera même à l’opprimer et lui faire du mal (cf. Or’hoth Tsadikim, l’orgueil), car il n’admet pas avoir été aidé par quelqu’un qui lui est inférieur. Il convient donc de rectifier cette source de tous les mauvais traits qui conduisent au dénigrement même de l’Eternel. Commentant le verset prononcé par Pharaon: «Quel est donc cet Eternel dont je dois écouter la parole?» (Exode 5:2), le Midrach (Midrach Léka’h Tov, Chémoth 1:8) explique que l’ingratitude de Pharaon à l’égard de Joseph le conduisit à renier Dieu.

L’orgueilleux ne peut «cohabiter» avec Dieu, comme il est écrit: «Tout cœur hautain est en horreur à l’Eternel» (Proverbes 16:5). Nos Sages sont allés jusqu’à dire de lui: «[Le Saint, béni soit-Il, dit]: Nous ne pouvons pas résider ensemble dans ce monde» (Sotah 5a; Erkhin 15b). Car l’orgueil n’appartient qu’à Dieu, qui est le seul à pouvoir s’enorgueillir de Ses actions, comme il est dit: «L’Eternel a régné! Il est revêtu de majesté» (Psaumes 93:1). A cet effet nos Sages enseignent cependant: «Là où on trouve la grandeur du Saint, béni soit-Il, on trouve sa modestie» (Méguilah 31a). De quoi alors peut s’enorgueillir l’homme sur cette terre? Il n’est qu’«une vile matière et finira par devenir la pâture des vers» (Avoth 3:1). Son orgueil fait disparaître la Providence Divine d’Israël; c’est comme s’il adorait des idoles (cf.Sotah 4b). Sa fin est alors très amère.

On peut dire en outre que l’orgueilleux se saisit du sceptre du Roi des Rois, et veut diriger le monde à Sa place. Il est par conséquent passible de mort, parce qu’il se révolte contre la Royauté. L’orgueil n’appartient qu’à Dieu (Orgueil (Gaavah) et Dieu (Youd Hé) ont la même valeur numérique: 15). L’homme doit donc se conduire en toute modestie. Il jouira alors de ce monde-ci comme du Monde Futur.

 

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