L’influence du caractère profond de l’homme

«Eh bien! Usons d’expédients contre eux. Autrement ils s’accroîtront encore, et alors, survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre, et nous faire sortir du pays» (Exode 1:10). «Les Egyptiens accablèrent les enfants d’Israël de rudes besognes (béfarekh). Ils leur rendirent la vie amère...» (id. 13:14).

Ces versets soulèvent au moins deux questions:

1) Que craignaient exactement les Egyptiens? Ne voyaient-ils pas que les enfants d’Israël s’étaient déjà assimilés à eux, (on les voyait partout, dans les théâtres, dans les cirques, etc...) (Yalkout Chimoni, Chémoth, 1), au point qu’ils n’étudiaient plus la Torah? Pourquoi donc cette peur? Les Egyptiens auraient dû attendre un peu et ils auraient été complètement assimilés.

2) Certains de nos Sages, comme Rabbi Elazar, interprètent béfarekh (ils les accablèrent de rudes besognes), béféh rakh «en se servant d’un langage doux, tendre» (Sotah 11b). Où est-il question ici d’une «bouche tendre»?

1) Ce que les Egyptiens craignaient, c’étaient les sentiments profonds, non dévoilés, des enfants d’Israël. Certes ces derniers avaient donné des signes extérieurs d’avilissement, mais les Egyptiens craignaient qu’ils fussent foncièrement intègres et capables à tout instant de revenir vers Dieu. «Que survienne alors une guerre» — intérieure, c’est-à-dire un combat contre la sainteté intérieure des Juifs qui l’emporterait sur l’aspect extérieure, celui de: «Je dors, mais mon cœur est éveillé» (Cantique des Cantiques 5:2). «Ils se joindront alors à nos ennemis» — c’est-à-dire à la sainteté qui s’intensifiera, et «ils sortiront du pays» — en rectifiant les étincelles de sainteté.

Nous voyons ainsi que si l’homme est foncièrement bon, il finira par connaître la délivrance.

2) Quant au péh rakh, nos Sages enseignent que «tout le bien des méchants est mauvais pour les justes» (Yébamoth 103a). Le langage doux des non-juifs constitue l’arme la plus dangereuse pour le Peuple Juif... Nous trouvons ainsi que Moïse, qui ne voulait pas toucher à l’honneur de Dieu, refusa de libérer seul les enfants d’Israël. Il savait que «Sa pitié s’étend sur toutes les Créatures», qu’«Il combine ses desseins en vue de ne pas repousser à jamais celui qui est banni de sa présence» (Samuel II, 14:14). Il dit à Dieu: «Je ne suis pas habile à parler» (Exode 4:10), «chéla’h na béyad envoie par Ta main...» (id. 13), en d’autres termes, libère-les par Ta main puissante et Ton bras étendu, et que l’on sache que c’est Toi qui as fait sortir d’Egypte les enfants d’Israël.

Telle était la vertu de Moïse qui ne voulait en aucune façon s’approprier les honneurs, et veillait jalousement à la gloire de Dieu uniquement... Le Saint, béni soit-Il, a en horreur ceux qui cherchent extérieurement à L’élever, mais qui s’élèvent aussi eux-mêmes par la même occasion. Ils aident ainsi les forces du mal à se saisir de la séphirah Hod (la gloire, la majesté), qui est numériquement équivalente à Gaavah (l’orgueil) (15). Comme nous l’ont enseigné les Sages (Mekhilta, Exode 17:16): «Car la main [de Dieu] ne sera sur Sa chaise..., le Nom de l’Eternel (Yah: 15) et Son trône ne seront parfaits qu’à l’effacement d’Amalek.» L’orgueil (gaavah: 15) d’Amalek empêche le dévoilement de Dieu dans le monde. Ceux qui considèrent leur propre honneur s’associent en fait au plus grand ennemi d’Israël. En revanche, ce que Moïse recherchait dans la plus grande sincérité, c’était la gloire de Dieu. C’est pourquoi il fut choisi pour libérer les Juifs, car celui qui veille à accroître la gloire de Dieu, se voit comblé d’honneurs (Bamidbar Rabah 4:21), et l’Eternel l’aime. Il partage aussi, si on peut dire, la gloire accordée à Dieu, comme il est écrit: «Ils eurent foi en Dieu et en Moïse son serviteur» (Exode 14:31).

Ce que les Egyptiens craignaient donc, c’était que les enfants d’Israël s’emplissent de zèle pour Dieu, et puissent ainsi rectifier et élever toutes les étincelles de sainteté. Aussi commencèrent-ils à les faire souffrir et les poussèrent à commettre des péchés, dont le plus notoire est la médisance. Commentant à cet effet les paroles de Moïse: «Ainsi la chose est connue!» (Exode 2:14), nos Sages enseignent que les enfants d’Israël n’étaient pas dignes de la rédemption du fait de leur tendance à la médisance... (Chémoth Rabah 1:30).

On peut d’ailleurs se demander pourquoi en vérité les enfants d’Israël étaient tombés si bas, et avaient atteint les quarante-neuf portes de l’impureté, risquant de rester définitivement en Egypte (Zohar ‘Hadach Yithro 39a).

C’est qu’en dehors de la tribu de Lévi (Bamidbar Rabah 3:4), ils s’adonnaient à la médisance plus qu’à la Torah

 car même un Tsadik sans Torah peut atteindre le quarante-neuvième degré d’impureté —, et ce qui les a sauvés de la cinquantième porte fatale, c’est: «VéEléh Chémoth... Voici les noms des enfants d’Israël» (Exode 1:1). Les premières lettres de Eléh Chémoth sont ECh, le feu, et la lettre Vav de VéEléh, qui a pour valeur numérique 6, fait allusion à Adam qui fut créé le sixième jour: c’est pour nous apprendre que l’homme doit adhérer à la Torah qui est le feu même, comme il est écrit: «...dans sa droite une loi de feu» (Deutéronome 33:2; voir aussi Mekhilta, Yithro 19).

Car le pouvoir de la Torah est extraordinaire. Tout comme le nom («voici les noms»), la Torah révèle l’identité, l’essence de l’homme. Tout comme la lettre vav qui ajoute à ce qui précède (Chémoth Rabah 1:2), car l’homme a la possibilité d’étendre son étude de la Torah. Le nom de notre patriarche Jacob contenait déjà de grands secrets, comme il est écrit: «Ensuite naquit son frère, saisissant de sa main le talon d’Esaü, et on le nomma Jacob» (Genèse 25:26).

Ce sont donc les noms saints que portaient les enfants d’Israël qui leur ont évité de descendre en enfer et de sombrer dans la cinquantième porte de l’impureté. Bien qu’ils n’aient pas étudié la Torah, ils ont été libérés d’Egypte parce qu’ils n’ont changé ni de langue, ni de vêtement, ni de nom et étaient foncièrement bons, même dans un pays abominable (Vayikra Rabah 32:5; Chir hachirim Rabah, 4:12; Pirké deRabbi Eliézer, 48).

Nos Sages nous ont à maintes reprises prévenus contre les résultats catastrophiques de la médisance. La médisance crée d’innombrables accusateurs contre l’homme; son immoralité sexuelle s’accroît (il peut voir des pollutions nocturnes ou kéri), et il se réincarne dans le corps d’un chien et se met à aboyer comme lui (Zohar III, 85a). Les enfants d’Israël ayant néanmoins corrigé ce péché «...pas un chien lo yéhérats ne remua sa langue contre eux» (Exode 11:7) (remarquons à cet effet la similitude des valeurs numériques de yéhérats (plus 1 pour le mot) kéri).

Ainsi, après la correction du péché, même le péh rakh des Egyptiens ne réussit pas à nuire à l’essence même des enfants d’Israël: au contraire ce langage doux se transforma en travaux pénibles et accablants qu’ils durent accomplir en Egypte pour ne pas succomber à la pourriture de ce pays...

Nous comprenons ainsi mieux le récit de Elicha’ ben Avouya (ou A’her, l’autre) que rapporte le Talmud (’Haguigah 15a;Tossafoth, Chouvou). Son père, Avouya, avait invité à la cérémonie de la circoncision les grands d’Israël, parmi lesquels Rabbi Eliézer et Rabbi Yéhochoua’. Pendant que ces derniers étaient plongés dans l’étude de la Torah, un feu descendit du ciel et les encercla. «C’est pour brûler ma maison que vous êtes venus?» s’écria-t-il contre eux. Ils répondirent: «Nous ne faisons qu’étudier la Torah qui a été donnée par le feu sur le Sinaï.» Avouya rétorqua: «Si la Torah est douée d’une telle vertu... je vouerai ce fils à la Torah.»

Deux questions surgissent de ce récit:

1) Pourquoi Avouya craignait-il de voir flamber sa maison? Il voyait bien que ce n’était pas le cas. Pourquoi se mit-il à crier?

2) Pourquoi ne promit-il de vouer le nouveau-né à la Torah que lorsqu’il vit le feu? Pourquoi cet homme apparemment intègre ne décida-t-il de le vouer à la Torah que lorsqu’il en comprit le pouvoir?

C’est qu’Avouya s’était laissé tromper par l’apparence extérieure des grands de la génération: il n’avait pas saisi leur sainteté profonde. Il considérait qu’ils lui ressemblaient: vides intérieurement et pleins extérieurement. Au moment où il vit le feu, il n’en ressentit que l’aspect extérieur qui peut brûler; il n’en saisit pas l’aspect intérieur et la sainteté sublime! Et même quand les Tsadikim expliquèrent à Avouya que c’est là le pouvoir de la Torah, et que ce feu ne peut pas nuire, il ne vit que l’aspect extérieur, et décida de ne vouer son fils à la Torah que s’il en comprenait le pouvoir... C’est ce grave défaut de ne pas approfondir ces choses et de ne voir que les choses dans leur aspect extérieur qu’il transmit à son fils Elicha’, que nos Sages accusaient de lire des livres profanes qui ne traitent que de sujets superficiels et «extérieurs» (’Haguigah 15b).

Dieu ne considère que le cœur (Sanhédrine, 106b; Zohar II, 162b). Il lit les pensées de l’homme qui, lorsqu’elles sont pures et intègres, influencent grandement son aspect extérieur. Il peut alors se rapprocher de Dieu.

 

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