La Torah, essence de la connaissance

Commentant le verset «Puis l’Eternel considéra les enfants d’Israël et Il sut...» (Exode 2:25), le Rav de Sokhotchov, auteur du Avné Nézer, demande dans son ouvrage Néoth Hadéché: «Que veut dire exactement la phrase: «L’Eternel sut?» Que devait savoir Dieu? Il répond en bref que les enfants d’Israël avaient atteint en Egypte les quarante-neuf degrés d’impureté (Zohar ‘Hadach, Yithro 39), et ils n’étaient même pas conscients de leur situation et ne pensaient pas du tout à quelque délivrance. C’est pourquoi l’Eternel les pourvut de la connaissance: («L’Eternel sut» devient alors: «L’Eternel leur fit savoir») qui leur permit de prendre conscience de leur situation. Cela pouvait alors les libérer spirituellement.

Quelle est donc cette connaissance que Dieu leur octroya? Avant de répondre à cette question, comment se fait-il, demandent nos Sages, que les enfants d’Israël aient sombré dans l’impureté, alors qu’ils portaient un intérêt particulier à la pureté sexuelle, qui est l’un des fondements du judaïsme? (Vayikra Rabah 32:5; Chir HaChirim Rabah 4:12).

Nous voyons de nos jours beaucoup de Juifs qui accomplissent certaines mitsvoth et pensent qu’ils ont respecté toute la Torah. Il y en a même qui affirment: «Je n’ai personnellement rien à me reprocher. J’ai la conscience tranquille: je ne vole pas, je ne mens pas, je suis honnête, etc...» On peut dire que ces pensées sont vraiment dignes du Satan, car s’ils étaient doués de la connaissance, ils sauraient que la Torah ne comprend pas moins de six cent treize mitsvoth, et qu’eux n’en choisissent que quelques-unes et délaissent le reste.

C’est ce que firent également les enfants d’Israël en Egypte et, sans la compassion Divine qui éclaira leur connaissance et leur fit prendre conscience de leurs péchés et de leur erreur de ne pas accomplir toutes les mitsvoth, ils auraient franchi la cinquantième porte de l’impureté. Seule cette connaissance donnée par Dieu, cette capacité de distinguer le bien du mal, les a sauvés de l’abîme...

Pourquoi donc sont-ils restés dans cet état du quarante neuvième degré d’impureté même après que Dieu les eut pourvus de la connaissance?

C’est que, croyons-nous, celui qui n’étudie pas assidûment la Torah et le moussar, ne peut acquérir une connaissance parfaite de son Créateur et ne peut vraiment atteindre la pureté et la sainteté. Il peut certes arriver à faire la différence entre le bien et le mal mais cette connaissance de Dieu ne s’acquiert que par l’étude. C’est ce qui arriva aux enfants d’Israël en Egypte: le manque d’étude et d’accomplissement des mitsvoth les confina dans les quarante-neuf degrés d’impureté à un tel point que, pendant les trois jours de ténèbres, quatre cinquièmes des méchants d’Israël disparurent (Chémoth Rabah 14:3; Tan’houma Bo 3) et que l’ange des Egyptiens plaida devant Dieu: «Je ne vois aucune différence entre les Egyptiens et les enfants d’Israël! Eux aussi adorent les idoles» et sont dans l’impureté (Zohar II, 170b; Tan’houma 15:5). C’est pour cette raison que Dieu leur prescrivit d’autres commandements: le sang de Pessa’h et celui de la circoncision (Yalkhout Chimoni Bo, Ezechiel 454), ainsi que la néoménie et le Chabath (Mekhilta Bo, 12:1). C’est ce supplément de mitsvoth qui les sauva de la servitude d’Egypte. Car — c’est connu — (cf. Torath Cohanim, Lévitique 26:3), seule l’étude assidue de la Torah éclaire les yeux de l’homme; la lumière qui l’imprègne le ramène dans le droit chemin (cf. Talmud Yérouchalmi ‘Haguigah, chap. 1:7; Ekha Rabah, Introduction chap. 2) et il est désormais capable de «contempler la splendeur de l’Eternel et de fréquenter Son sanctuaire» (Psaumes 27:4).

Ainsi, nous comprendrons mieux la signification de la proclamation de Yithro, prêtre de Midian: «Je reconnais à cette heure que l’Eternel est plus grand que tous les dieux» (Exode 18:11). Ne Le reconnaissait-il pas auparavant, au début de la parachah où il est écrit: «Yithro... apprit tout ce que Dieu avait fait en faveur de Moïse et des enfants d’Israël» (id. 1). Il apprit l’événement de la traversée de la Mer Rouge et de la victoire contre Amalek. Il savait donc tout bien avant et c’est la raison de sa venue vers les enfants d’Israël. Pourquoi dit-il: «Ce n’est qu’à cette heure que je reconnais...?»

C’est que pour le don de la Torah, «Tout le peuple voyait les voix.» Que veut dire exactement le verset? La voix s’entend, mais ne se voit pas! On peut dire que, tout comme l’enfant reconnaît tellement la voix de son père qu’il lui semble la voir, les enfants d’Israël ont reconnu la voix de l’Eternel et l’ont «vue» parce qu’ils font partie intégrante de la Divinité (Vayikra Rabah, 9:1; Bamidbar Rabah 19:3). Cette génération pourvue de la connaissance réelle connut un regain de sainteté en corrigeant les quarante-neuf degrés d’impureté; ils acquirent les quarante huit vertus qui permettent d’acquérir la Torah (cf. Pirké Avoth 6:6) Comme l’explique Rabbi Israël Salanter, c’est le quarante neuvième jour qu’ils revinrent réparer toutes les vertus.

Quand il vit les dix plaies infligées aux Egyptiens, Yithro ne fut pas particulièrement étonné, parce qu’il considérait peut-être que les Egyptiens avaient été châtiés pour avoir accablé les enfants d’Israël des travaux les plus pénibles, de jour comme de nuit (Exode 1:13), beaucoup plus que l’Eternel le leur avait prédit. «Sache-le bien, avait-il dit à Avraham, ta postérité séjournera sur une terre étrangère, où elle sera asservie et opprimée durant quatre cents ans» (Genèse 15:13). Mais quand il entendit parler du passage de la Mer Rouge, où tous les Egyptiens avaient été noyés, il comprit que le Saint, béni soit-Il, fait preuve de miséricorde à l’égard des enfants d’Israël, même quand Il est irrité (Zohar II, 176a, III, 65a). Bien qu’eux aussi aient adoré des idoles, aient failli franchir la cinquantième porte de l’impureté, et n’aient pas encore acquis la connaissance vraie, Il les aimait d’un amour authentique. Cet amour devait d’ailleurs s’intensifier après le don de la Torah. Yithro entendit aussi parler de la bataille d’Amalek, corollaire du relâchement dans l’étude de la Torah et dans l’accomplissement des préceptes divins (Sanhédrin 106a; Tan’houma, Béchala’h 25)... C’est que Dieu n’aime le Peuple d’Israël que pour son étude de la Torah, et sa rédemption dépend des mitsvoth qu’il accomplit. Aussi, craignant que leur étude insuffisante de la Torah ne rétrécisse leur connaissance de Dieu, l’Eternel leur envoya Amalek pour les effrayer et les réveiller de leur torpeur. C’est ce qui se passa d’ailleurs, comme il est écrit: «Tant que Moïse tenait son bras levé, Israël avait le dessus» (Exode 17:11).

Donc, Yithro entendit et vint. Dans sa grande sagesse et son intelligence, il avait compris la portée du passage de la Mer Rouge et de la bataille d’Amalek, qui l’avaient imprégné de la vraie connaissance... Mais ce n’est qu’après être venu chez Moïse pour recevoir la Torah et après avoir vu à quel niveau spirituel avaient accédé les enfants d’Israël, qu’il dit: «Je reconnais MAINTENANT (’atah) que Dieu est grand...» Il s’est servi de ce terme qui marque le repentir (Béréchith Rabah 21:6; Tan’houma, Béchala’h 15) pour montrer qu’il venait d’accéder à la connaissance réelle et totale de la toute puissance de Dieu qui conduit à la téchouvah. C’est ce qu’avaient également fait les enfants d’Israël: lorsqu’ils commencèrent à accomplir les mitsvoth et à progresser dans l’étude de la Torah et la crainte du Ciel, ils parvinrent seulement alors à la reconnaissance totale du Créateur de l’univers, et purent se laver complètement de leur souillure (Zohar II, 94a; III 162b).

Nous voyons donc combien la Torah éclaire la voie de ceux qui se trompent (Talmud Yérouchalmi, ‘Haguigah, 1:7) et combien nos Sages ont raison de dire: «Si tu m’abandonnes un jour, je t’abandonnerai deux jours» (id. Bérakhoth, fin; Sifré, ‘Ekev 11:22; Zohar III 36a). Comme nous le lisons dans les prières, l’Eternel «donne la sagesse à l’homme»: le mauvais penchant s’efforce constamment de le faire chanceler pour qu’il ne distingue pas le bien du mal. Il l’assaille de mauvaises pensées et lui fait croire qu’il lui suffit d’accomplir un nombre restreint de mitsvoth. Sans la grâce Divine qui lui donne l’intelligence de s’élever, on se demande à quoi il serait arrivé, Dieu nous préserve.

Nous devons par conséquent nous souvenir toute notre vie de la sortie d’Egypte: «Il faut que tu te souviennes, tous les jours de ta vie, du jour où tu as quitté le pays d’Egypte» (Deutéronome 16:3). Rappelons-nous que les enfants d’Israël savaient que le Créateur est omniprésent et omnipotent, et qu’ils reconnaissaient leurs fautes, mais qu’ils ont quand même sombré dans l’impureté parce qu’ils n’étudiaient pas la Torah. Car même le croyant qui s’abstient d’étudier la Torah est susceptible de «tomber des hauteurs sublimes au plus profond des abîmes» (’Haguigah 5b) sans se rendre compte de sa chute. Il leur a fallu Amalek pour les sortir de leur torpeur.

C’était aussi l’erreur de Pharaon qui proclamait: «Quel est cet Eternel dont je dois écouter la parole en laissant partir Israël?» (Exode 5:2). Or, nous savons que le roi d’Egypte avait entendu parler de l’existence de Dieu; il connaissait bien les enfants d’Israël et Celui qu’ils servaient. Il connaissait aussi Joseph qui, durant son exercice, avait obligé les Egyptiens à circoncire leurs enfants (Béréchith Rabah, 91:5); il savait bien que le Nil ne montait que grâce à la bénédiction de notre patriarche Jacob (Bamidbar Rabah 12:2; Tan’houma, Nasso 26). Comment donc a-t-il pu dire: «Je ne reconnais point l’Eternel»?

C’est que Pharaon dirigeait les forces du mal: il avait déjà accédé à la cinquantième porte de l’impureté. Il avait dit à Moïse et Aharon: «Mi: qui est l’Eternel?» Mi, dont la valeur numérique est cinquante: les cinquante portes de l’impureté, qui l’éloignaient considérablement de Dieu... La perversité de Pharaon éveilla chez Dieu l’attribut de din (jugement). C’est pourquoi il est écrit: «Et Elokim sut.» Ce n’est pas YKVK, attribut de miséricorde, qui est mentionné, mais celui de la rigueur (Zohar III, 30b).

Nous comprenons maintenant pourquoi nos Sages ont enseigné qu’on ne reçoit la récompense des mitsvoth que dans le Monde Futur (Kidouchine 39b). N’est-il pas à craindre que l’homme, ne voyant pas de récompense à ses œuvres, tombe dans le désespoir, Dieu nous préserve? Mais en vérité la récompense des efforts déployés par l’homme est la satisfaction personnelle qu’il en retire. Est-il une récompense plus grande pour l’homme que celle de reconnaître l’essence de son Créateur? Commentant à cet effet le verset de la Michnah (Pirké Avoth 4:1): «Qui est vraiment riche? Celui qui est satisfait de son ’helek (sort).» Le riche est celui qui se réjouit du ’helek Eloka mima’al (du côté divin de son identité) (Avoth deRabbi Nathan 23:1; Tan’houma, Matoth 7).

C’est ce qu’a dit Dieu à Avraham (Béréchith 15:14): «Ils quitteront cette terre birekhouch gadol avec de grandes richesses». Dans BiReKHouSh, on trouve les lettres du terme BiSKHaRo (récompense). Quelle est la richesse? C’est la récompense des enfants d’Israël qui accédèrent à la reconnaissance totale de Dieu. Y en a-t-il de plus grande? C’est la seule chose qu’ait demandée le Roi Salomon: «Accorde donc à ton serviteur un cœur intelligent...» (Rois I, 3:9). C’est cette sagesse qui conduit l’homme à toutes les vertus, et à laquelle on accède par l’étude assidue de la Torah.

L’amour de Dieu pour les enfants d’Israël

«Or Moïse faisait paître les brebis de Yithro son beau-père... Il avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu à la montagne de Dieu, au mont ‘Horev... et le buisson était en feu et cependant ne se consumait point. Moïse se dit: «Je veux m’approcher: pourquoi le buisson ne se consume-t-il point...» Et Dieu lui dit: «N’approche pas d’ici, ôte tes chaussures car l’endroit que tu foules est un sol sacré» (Exode 3:1-5). Le dialogue entre l’Eternel et Moïse concernant la mission de ce dernier auprès de Pharaon pose quelques questions demandant éclaircissement.

1) Comment peut-on concevoir qu’après tous les signes reçus de Dieu, Moïse se soit obstiné à refuser d’accomplir la mission de libérer d’Egypte les enfants d’Israël... «Qui suis-je, dit-il, pour aborder Pharaon?» (Exode 3:11). Un esclave peut-il se permettre de refuser de se conformer à la volonté de son maître? Ne savons-nous pas déjà que Moïse était plein de miséricorde et ne pouvait un instant rester indifférent au sort de ses frères dont l’Eternel avait vu les souffrances (id. 3:7-8). Ne savons-nous pas que, ayant tué l’Egyptien pour sauver une seule âme d’Israël, il avait fui tous les honneurs et cherché asile à Midyan? (id. 2:15). Il avait même pitié des animaux, comme le rapportent nos Sages à propos du chevreau assoiffé qu’il poursuivit dans le désert pour lui donner à boire (Chémoth Rabah 2:2). Comment se fait-il donc qu’il ait tergiversé si longuement? «De grâce, Seigneur! finit-il par dire, donne cette mission à quelqu’un d’autre» (id. 3:13), c’est-à-dire à Aharon, son frère, qui avait l’habitude de se rendre chez Pharaon. Comment cela est-il possible?

2) Si Dieu l’avait choisi pour cette mission, c’est que la fidélité de Moïse Lui permettait de le croire capable de libérer les enfants d’Israël. De plus, Il lui en garantissait la réussite. Le refus obstiné de Moïse était en outre susceptible de retarder la rédemption des enfants d’Israël, si proches déjà de la cinquantième porte de l’impureté (Zohar ‘Hadach Yithro 39a). Il retardait aussi par là même, le don de la Torah, l’entrée en Erets Israël et l’édification du Temple.

3) Moïse refusa d’accomplir sa mission parce qu’il prétendait que les enfants d’Israël n’avaient aucun mérite pour qu’il les fît sortir d’Egypte. Dieu répondit que la Torah, qu’ils étaient destinés à recevoir trois mois après leur sortie, leur permettrait de se libérer de l’asservissement. Qu’arriverait-il s’ils perdaient ce mérite? (Chémoth Rabah 3:4). Le temps pressait donc...

4) L’Eternel ne se serait-Il pas révélé à Moïse s’il ne s’était pas rapproché du buisson (cf. Exode 3:4)? Pourquoi en outre le buisson ne s’est-il pas consumé: la mission de Moïse de libérer les enfants d’Israël aurait-elle échoué? Pourquoi en somme l’Eternel avait-Il besoin de tout ce processus? Pourquoi, Dieu s’est-Il révélé à Moïse par un signe alors qu’il ne l’avait pas fait pour nos Patriarches?

C’est que Moise sentait et savait que l’existence même du Peuple d’Israël tient du miracle. Nous n’avons qu’à rappeler à cet effet comment il fut sauvé des eaux par Batiah, la propre fille de Pharaon, nourri par sa propre mère, et élevé dans le palais du tyran (Chémoth Rabah 1:26), ennemi personnel de Moïse. Les astrologues de Pharaon l’avaient prévenu de la naissance d’un garçon destiné à sauver les enfants d’Israël (id. 1:18; Sotah 12a). Tout cela ne tient-il pas du miracle?

Moïse comprit que le buisson pouvait être comparé aux enfants d’Israël qui, grâce à leur foi en Dieu, ne font que croître et se multiplier, alors qu’ils sont entourés d’ennemis de toutes parts... (cf. Exode 1:12). Ce qui étonna le plus Moïse, c’est qu’ils n’avaient pas encore reçu la Torah, habitaient un pays plongé dans l’immoralité, la dépravation et la débauche (Chémoth Rabah 1:22), mais ne s’assimilaient pas pour autant et restaient des Juifs fidèles à leur Créateur, dont ils attendaient le salut?

Moïse se rapprocha donc du buisson pour sonder l’essence des enfants d’Israël, pour essayer de comprendre l’origine de leur force intérieure. Hassené (valeur numérique: 120), c’est soixante-dix plus cinquante. Le nombre 70 fait allusion aux soixante-dix nations qui veulent mener les enfants d’Israël au cinquantième degré d’impureté qui n’offre aucune issue. Mais elles n’y réussissent pas...

C’est pourquoi l’Eternel se révéla à Moïse précisément dans le buisson. Il voulait lui faire comprendre que même si parmi les enfants d’Israël certains étaient pervers et proches du cinquantième degré d’impureté, Dieu les purifierait par les souffrances des soixante dix nations, et leur ferait expier leurs péchés. Ils reviendraient alors certainement à Lui (cf. Sanhédrin 97b, Pessikta Zouta Tetsaveh 27:2), car Il n’agirait que dans leur intérêt (Tana débéElyahou Rabah 13; Tana débéElyahou Zouta, 11).

C’est que les souffrances sont tellement précieuses pour le Juif, que même s’il succombe aux klipoth, Dieu l’aide à se relever. «Il combine Ses desseins en vue de ne pas repousser à jamais celui qui est banni de Sa présence» (Samuel II, 14:14). Le Juif finit par percevoir la voix de Dieu qui l’appelle: «Moché! (qui veut dire «Sors!») Moché!» c’est-à-dire «Sors de la klipah; débarrasse-toi des forces du mal!» Le Juif qui ne désire que le bien, répond alors: «Me voici: Hinéni — Je suis là, je suis prêt.» Remarquons à cet effet la similitude des valeurs numériques des termes hinéni et sénéh (115). Dieu réside alors en lui, comme il est écrit: «Je résiderai au milieu d’eux» (Exode 25:8). C’est que Dieu prend conscience de toutes nos souffrances; Il sait que nous transgressons Ses commandements malgré nous, que nous ne désirons que nous conformer à Sa volonté. Seul, le mauvais penchant, ce «ferment de la pâte» nous en dissuade (Bérakhoth 17a).

Il sait aussi que ce sont les nations qui nous pervertissent, que ce sont elles qui nous empêchent de vivre en paix. Ce sont les Grecs qui dirent aux Juifs: «Ecrivez sur la corne d’un bœuf que vous n’avez aucune part dans le Dieu d’Israël» (Béréchith Rabah 2:5). Ils voulaient leur supprimer le Chabath, Roch ‘Hodech et la circoncision (Méguilath Ta’anith, fin du chap.2). Et Pharaon, roi d’Egypte, fomentait des dissidences entre les Juifs, en obligeant les surveillants juifs à battre leurs frères pour qu’ils achèvent au plus vite leur tâche de ramassage de chaume et de paille (Exode 5:14). Mais les surveillants juifs eurent pitié de leurs frères, et ils ne furent battus que par les commissaires égyptiens. Citons enfin le cas des Romains qui pavèrent des routes, construisirent des marchés et des bains publics pour leur satisfaction personnelle, tout en empêchant les Juifs d’étudier la Torah (Chabath 33b).

Pourquoi Dieu demanda-t-il à Moïse d’ôter ses chaussures juste au moment où il était sur le point de s’approcher du buisson? Pourquoi ne l’a-t-Il pas averti auparavant?

C’est que Dieu voulait lui faire comprendre qu’Il lui pardonnait volontiers: s’il n’avait pas pris soin de se déchausser avant de s’approcher du buisson, c’est qu’il ignorait la sainteté du lieu. Aussi lui révéla-t Il la Providence Divine... Il en est de même des enfants d’Israël: s’ils commettent des péchés, c’est par ignorance ou parce qu’ils ont été momentanément habités par un «vent de folie» (cf. Sotah 3a). Ils se repentiront assurément après leur rédemption (cf. Chémoth Rabah 23:11). S’ils irritent leur Créateur, c’est qu’ils sont accablés des travaux les plus pénibles en Egypte, et ils ne distinguent pas leur droite de leur gauche; ils n’ont pour l’instant même pas le temps de penser à la téchouvah. L’Eternel ne les abandonne donc jamais (Cf. l’ouvrage du Rebbe Sar Chalom de Belz sur le verset de l’Exode 5:22).

C’est ce que Dieu a dit à Moïse: «Tout comme Je ne te châtie pas parce que tu t’es approché du buisson avec tes chaussures, ignorant qu’il t’est défendu de le faire, Je ne châtie pas les enfants d’Israël. Maintenant que tu sais que tu te trouves dans un endroit sacré, Je t’ordonne d’ôter tes souliers...» A leur sortie d’Egypte, les enfants d’Israël se débarrasseront de toute évidence eux aussi de toutes leurs impuretés, surtout quand ils seront passés devant cette montagne où ils recevront la Torah (id. 3:4) et se sanctifieront.

Ce que nous venons de dire doit être d’un réconfort évident pour notre génération. «Le fils de David ne vient, enseigne le Talmud, que dans une génération parfaitement irrépréhensible ou entièrement coupable» (Sanhédrin 98a). Peut-on concevoir une telle génération? Les enfants d’Israël étaient méritants, en ce sens qu’ils étaient dignes de recevoir la Torah, et seules les persécutions des Egyptiens les firent succomber aux quarante-neuf portes de l’impureté... Dieu continua cependant à résider parmi eux, car, comme nous l’avons vu, ils observaient un certain nombre de mitsvoth et veillaient particulièrement à la pureté familiale (cf. Vayikra Rabah 32:5).

On peut dire que notre génération non plus n’est pas coupable; le mérite de la Torah nous protégera du mauvais penchant qui se renforce de jour en jour. Dieu nous juge du bon côté et réside assurément parmi nous, au milieu de nos impuretés (Lévitique 16:16). Car, même lorsqu’ils sont impurs, les Juifs sont habités par la Providence Divine (Torath Cohanim 16:43). Dieu nous préservera par le mérite des Tsadikim de notre génération, car nous ne sommes pas coupables: seules les nations nous affaiblissent dans notre culte divin en introduisant constamment en nous le venin du mauvais penchant... car il n’est pas de servitude plus dure que celle de l’âme.

Par conséquent, quand Moïse comprit la grandeur des enfants d’Israël, malgré leur fléchissement, il les jugea favorablement, à l’exemple de Dieu, et résida parmi eux, partageant leur détresse. Il en arriva à la conclusion qu’il n’était pas digne de les sauver, et que seul Dieu Lui-même pouvait accomplir cette sainte mission. Lui seul serait responsable de leur rédemption et s’en glorifierait à jamais... Moïse craignait d’attenter à l’honneur du Rédempteur authentique, exclusif.

Dieu comprit donc l’essence de la modestie de son messager: s’il refusait de se conformer à Sa volonté, c’est qu’il était sincèrement jaloux de l’Eternel. C’est pourquoi le Saint, béni soit-Il, ne s’irrita pas contre lui. Au contraire, Il lui montra des miracles et des prodiges, et lui fit comprendre qu’il s’était conformé à Sa volonté, que c’était lui qu’Il avait choisi comme messager, et désigné pour donner la Torah aux enfants d’Israël. Car, on le sait, il n’est pas donné à tout le monde d’entendre la voix de Dieu (cf. Exode 20:19). Moïse, lui, en était capable.

«Tous les enfants d’Israël ne monteront pas sur la montagne, dit Dieu à Moïse, mais tous passeront par cette montagne. Toi seul pourras y monter.» Mais Moïse refusa. C’est ce qu’explique Rachi, qui commente le verset: «Qui suis-je pour aborder Pharaon et pour faire sortir d’Egypte les enfants d’Israël?» (id. 3:11). «Qui suis-je pour parler aux fils de rois» (cf. Chabath 67a; Bava Metsia 113a; Zohar III, 28a). Les fils de rois, c’est-à-dire les enfants d’Israël. «Il vaudrait mieux que ce soit Toi qui T’en charges. Je puis certes parler à Pharaon et libérer d’Egypte les enfants d’Israël mais pourquoi serait-ce moi, et non Toi qui accomplirais ce miracle?» «Tu as raison, lui répondit l’Eternel, mais toi seul es capable de monter sur la montagne pour leur donner Ma Torah. C’est un grand privilège aussi bien pour toi que pour eux. Ceci te servira à prouver que c’est «Moi qui t’envoie» (id. 3:12). En d’autres termes, toi seul es en mesure d’accomplir Ma mission et de sauver Mes enfants d’Egypte. Ils doivent s’habituer à toi car tu devras leur donner bientôt la Torah qu’ils devront accepter parce qu’elle représente le seul mérite de leur sortie d’Egypte.

Nous voyons ainsi le grand amour que Moïse portait à ses frères asservis. S’il refusa d’accomplir la mission divine, c’est qu’il estimait que tout le monde était capable d’escalader la montagne pour se rapprocher de Dieu, mais l’Eternel lui fit comprendre qu’il faut déployer d’immenses efforts pour accéder à ce niveau.

Moïse comprit alors qu’il ne se sentait pas supérieur aux enfants d’Israël, et qu’il préférait que Dieu les délivrât Lui-même. Tout le monde accéderait ainsi au même niveau, et aucun ne pourrait se vanter de sa propre supériorité. C’est que Moïse craignait que des intérêts personnels n’entrent en jeu...

C’est pourquoi Dieu lui répondit: «N’y a-t-il pas ton frère Aharon, le Lévite... et quand il te verra, il se réjouira dans son cœur» (id. 4:14) même si Je t’ai choisi comme messager, toi son frère cadet. En d’autres termes, tu ne seras pas Mon seul messager, Aharon t’aidera et Moi Je guiderai tes lèvres et les siennes... il parlera pour toi au peuple... Aucun intérêt personnel n’entrera alors en jeu. C’est alors seulement que Moïse accepta la mission divine.

Il convient par conséquent de s’effacer devant Dieu, et de se conformer à Sa volonté pour l’amour exclusif de Son Nom sans aucun signe d’orgueil et dans la joie. C’est la voie que nous a tracée Aharon «qui aimait la paix et la poursuivait, qui aimait les hommes et les incitait à l’étude de la Torah» (Avoth 1:12).

Moïse, lui, craignait, par sa modestie, qu’Aharon, qui était son aîné, ne se sente lésé par sa nomination. C’est pourquoi Dieu le tranquillisa. Son frère se réjouit de la nouvelle et mérita de porter le ’Hochen Michpath, le pectoral. Aharon s’effaça également devant Dieu et devant son frère, car il savait que le messager de Dieu remplit les fonctions de Dieu (Kidouchine 41a).

Nous voyons là l’humilité de Moïse et d’Aharon qui s’effacèrent l’un devant l’autre, car ils savaient qu’ils n’étaient que de simples messagers de Dieu, comme il est écrit: «C’est ce même Aharon, ce même Moïse» (Exode 6:26); «l’un équivalait à l’autre» (Chir HaChirim Rabah 4:5, Mékhilta 12:1) — aspects de «Moïse et Aharon étaient parmi ses prêtres» (Psaumes 99:6). Tous deux fuyaient l’orgueil et les honneurs, et malgré tout le respect et l’admiration que leur portaient les enfants d’Israël, ils ne cessaient de proclamer que la gloire est l’apanage de l’Eternel... Il convient donc de veiller jalousement à l’honneur de Dieu et de se considérer comme un esclave devant Lui sans intérêt personnel, fausse modestie ou orgueil qui peuvent dériver d’une étude mal intentionnée de la Torah... C’est grâce à l’étude de la Torah qu’on accède à ce niveau de modestie et d’effacement total devant Dieu, car la Torah ne réside que chez celui qui est humble (cf. Ta’anith 7a). Celui qui fait de la Torah un instrument de travail et une couronne pour s’enorgueillir (Avoth 4:5; Nédarim 62a) blasphème la Torah et toute la Création. Car, on le sait, la Torah a précédé la Création (Zohar I, 204a; Téroumah 161b).

 

 

Article précédent
Table de matière
Article suivant

 

Hevrat Pinto • 32, rue du Plateau 75019 Paris - FRANCE • Tél. : +331 42 08 25 40 • Fax : +331 42 06 00 33 • © 2015 • Webmaster : Hanania Soussan