«Je serai ce que Je serai.» L’amour d’autrui

Commentant le verset «Je serai ce que Je serai» (Exode 3:14), l’auteur de Néfech ‘Haïm (chap.1 #7), rapporte l’enseignement du Midrach (voir Chenéh Lou’hoth Habrith, Michpatim, Cha’aré Ha’Avodah de Rabénou Yona #42): Le Saint, béni soit-Il dit à Moïse: «Ehyeh acher Ehyeh Je serai ce que Je serai. Tout comme tu te conduis avec Moi, Je Me conduirai avec toi» (voir Rambam qui rapporte la Hagadah, Ménorath HaMaor, chap. sur la charité). Le Roi David dit de même: «L’Eternel est à ta droite, comme ton ombre tutélaire» (Psaumes 121:5): Si tu lui montres un visage souriant, ton ombre te sourit; si tu pleures, elle pleure; si tu lui montres un visage sévère, elle te montrera un visage sévère; si tu vis, elle vit devant toi. Le Saint, béni soit-Il agit de la même façon.

Pourquoi est-ce précisément quand les enfants d’Israël étaient opprimés en Egypte que Dieu a tenu ces propos à Moïse pour qu’il les leur transmît? Dieu a-t-Il vraiment agi envers eux «mesure pour mesure»? Il ne l’a pas fait car même s’ils ont péché contre Lui, c’était contre leur gré. Ce sont, nous l’avons vu, les Egyptiens qui les ont obligés à travailler le Chabath, et à adorer des idoles (Chémoth Rabah 16b). Pourquoi alors méritaient-ils une punition? Ils avaient déjà suffisamment souffert. Il eût donc été préférable de ne prononcer ces paroles «Je serai ce que Je serai» qu’après le don de la Torah.

C’est que, croyons-nous, en ce qui concerne les rapports entre l’homme et Dieu, l’Eternel n’avait rien à reprocher aux enfants d’Israël, et s’Il ne les a pas châtiés, c’est parce que les Egyptiens les avaient obligés par la servitude à transgresser Ses commandements. Ce n’est donc qu’après le don de la Torah que Dieu se trouve avec eux, comme ils se trouvent avec Lui. Mais, en ce qui concerne les relations entre l’homme et son prochain, si les enfants d’Israël désiraient se libérer, ils devaient se conduire avec leur prochain comme ils se conduisaient avec eux-mêmes: c’est cette leçon que Dieu voulait donner aux enfants d’Israël pour hâter la Rédemption.

C’est pourquoi Moïse ne s’est aucunement irrité contre les enfants d’Israël quand il vit qu’ils ne transgressaient pas les commandements qui règlent les rapports entre l’homme et Dieu. Mais quand il apprit qu’il y avait parmi eux des délateurs et qu’ils médisaient les uns des autres, il dit: «En vérité, la chose est connue» (Exode 2:14), c’est-à-dire qu’il avait compris pourquoi ils n’étaient pas dignes de la Rédemption (Chémoth Rabah 1:30). C’est d’ailleurs ce manque de fraternité entre les enfants d’Israël qui fit fuir Moïse d’Egypte vers Midyan (Exode 2:15). Moïse demanda par la suite à Dieu: «Que leur répondrai-je s’ils me demandent quel est Son Nom?»

(id. 3:13). En d’autres termes: «Comment arriveront-ils à se libérer alors que les Egyptiens les oppriment en les obligeant à adorer les idoles et à transgresser les préceptes divins? Comment arriveront-ils à se rapprocher de Lui, et comment Dieu pourra-t-Il se rapprocher d’eux et les délivrer puisqu’ils fautent envers Lui?

«Je serai ce que je serai», répondit donc l’Eternel. Si vous voulez vous libérer [et que vous ne pouvez pas éviter de fauter vis-à-vis de Moi], conduisez-vous au moins avec votre prochain comme vous vous conduisez avec vous-mêmes», comme il est écrit: «Tu aimeras ton prochain camokha — comme toi-même» (Lévitique 19:18). La première lettre de camokha (caf) a pour valeur numérique 20 (plus 1 pour le collel = 21), qui est celle de Ehyeh (Je serai) du verset précité. Ce qui sous-entend: «Vous n’avez pas la possibilité de vous conduire avec Moi comme il le faut. Conduisez-vous néanmoins avec votre prochain comme vous le feriez pour vous-mêmes et cela sera considéré comme si vous le faisiez pour Moi.» Mais pour Moïse, cela n’était pas facile. Aussi, fit-il remarquer à Dieu: «Ils ne me croiront pas» (id. 4:1). En d’autres termes, pour Moïse, les enfants d’Israël n’arriveraient pas à comprendre que Dieu était prêt à concéder sa dignité pour la seule raison qu’ils étaient unis et méritaient d’être libérés.

«N’y a-t-il pas ton frère Aharon?, répondit alors l’Eternel, Je sais que c’est lui qui parlera. Le voici lui-même, qui vient au devant de toi, et quand il te verra, il se réjouira dans son cœur» (id. 4:14). En d’autres termes, même par ton frère, tu apprendras ce concept de Ehyeh acher Ehyeh, car il est prophète et il se réjouit de te voir toi aussi comme lui (prophète). Tout comme tu es avec lui, il est avec toi. Nous voyons par là que la Rédemption — rectification de l’exil d’Egypte et du nôtre — ne viendra que lorsque régneront l’union et la fraternité entre tous les enfants d’Israël. Nous assisterons alors à l’avènement de notre Machia’h intègre.

Cette leçon nous fera mieux comprendre l’histoire de Na’houm, «l’homme de Gamzou» (Ta’anith 21a). Na’houm était en route avec une cargaison de trois ânes, lorsqu’un homme se présenta devant lui et lui demanda la charité. «Attends que je décharge une bête», lui répondit-il... et en attendant le pauvre affamé mourut. Na’houm accepta alors toutes sortes de souffrances dans tout son corps pour expier sa faute.

Le récit est vraiment difficile à comprendre: Na’houm n’a pas refusé de faire la charité au pauvre; il lui a seulement demandé d’attendre. Comment pouvait-il savoir que le pauvre n’avait pas mangé depuis longtemps?

Si l’on s’en tient au jugement strict, il ne méritait aucune punition. Mais en fait il s’est puni lui-même pour les deux raisons suivantes: d’abord, comme l’enseignent nos Sages (Mekhilta, Exode 12, 17): «Tu ne dois pas repousser d’un instant une mitsvah qui se présente à toi.» Ensuite, en voyant un indigent, tu dois lui donner l’impression qu’il est ton égal, et que tu ne lui es pas supérieur. Tu ne voudrais certainement pas te trouver dans sa situation et être affamé ne serait-ce qu’un instant. Donne-lui alors immédiatement ce qu’il demande, aide-le, etc... «Donne sans que ton cœur le regrette» (Deutéronome 15:10). Gamzou se sentit donc en fin de compte responsable de la mort du pauvre et prit sur lui d’expier sa faute aussi minime soit-elle.

Les enfants d’Israël ont compris cette leçon: s’étant conduits avec leur prochain comme l’Eternel s’était conduit à leur égard, ils hâtèrent leur rédemption et furent dignes d’entonner le Chant de la Mer d’un cœur unanime (N’est-il pas écrit: az yachir au singulier; Exode 15:1). Ils eurent le privilège de voir la Providence Divine se révéler à eux au nom de EHYEH. «Et le peuple vit l’Eternel...» (Exode 14:31). «Même une servante a vu à la Mer Rouge ce que le prophète Yéchaya ben Bouzi n’a pas réussi à voir», enseignent nos Sages à cet effet (Mékhilta, Exode 15:2). Le peuple eut une vision tellement nette de l’Eternel qu’ils pointèrent du doigt et s’écrièrent: «Il est mon Dieu, je veux Le glorifier — zeH élY véanvéhOU» (id.) dont les dernières lettres Hé, Youd, Vav font allusion au Nom saint EHYEH (car elles ont la même valeur numérique que Ehyeh). D’autre part, les premières lettres de la phrase: «Zeh Ely Véanvéhou Elohé Avi..., [Zaïn, Alef, Vav, Alef, Alef] (Il est mon Dieu, et je le célébrerai, Il est le Dieu de mon père)», ont la même valeur numérique que le Nom ’HaBOU, qui est constitué des premières lettres du verset: «Il a englouti ses richesses, il les vomira — ’Hèl Bala’ Vayékiénou» (Job 20:19) qui fait allusion à la correction du brith ou l’Alliance sainte à laquelle accède celui qui ne médit pas de son prochain et ne le hait pas gratuitement (et qui reçoit une perception des Noms saints Ehyeh et ’Habou). Or, on sait que c’est à cause de ces deux graves défauts que le Temple a été détruit, et le Peuple d’Israël exilé (Yoma 9b). Mais quand les enfants d’Israël eurent corrigé ces défauts, ils furent libérés de la servitude d’Egypte. Au mois de NISsaN, un miracle (NeS) a été accompli pour eux et ils n’ont pas franchi la cinquantième (valeur numérique de la lettre Noun) porte de l’impureté, et ont reçu les dix (valeur numérique de la lettreYoud) Commandements (NeS, Noun, Youd = NISsaN; voir Roch Hachanah 11a; Zohar ‘Hadach, Yithro 39a).

Nous comprendrons mieux ainsi l’affirmation de nos Sages selon laquelle il n’y eut pas pour Israël de meilleurs jours que le 15 Av et le jour de Kipour (Ta’anith 26b; Bava Bathra 121a). Grâce à l’harmonie qui régnait entre eux, les enfants d’Israël ont été libérés par la rectification du Nom saint EHYEH. Le 15 Av était un jour de grande fraternité et d’amour du prochain. Tou Be Av (15 Av) a la même valeur numérique (avec 1 pour le collel) que le nom EHYEH — qui nous apprend: «Comme vous êtes avec vous-mêmes, vous devez être avec les autres.»

Nos patriarches, dont nous devons suivre l’exemple (cf. Sotah 34a), Avraham, Isaac et Jacob ne cherchaient qu’à faire preuve de bonté envers leur prochain: ils n’aspiraient qu’à l’aimer comme eux-mêmes. Ils voyaient en lui l’image de Dieu, comme il est écrit: «Dieu créa l’homme à son image, c’est à l’image de Dieu qu’Il le créa» (Genèse 1:27). C’est grâce au Nom EHYEH, qui a la même valeur numérique que les premières lettres de leur nom (Avraham, Yits’hak, Ya’akov) qu’ils ont accédé à ce niveau.

Après avoir été «privé» de ses bénédictions, Esaü se présenta en pleurs devant son père et lui demanda: «Est-ce parce qu’on l’a nommé Jacob (Ya’akov) qu’il m’a déjà supplanté (Ya’akvéni) deux fois...?» (Genèse 27:36). Il voulait faire comprendre à Isaac que si sa main ne s’était pas saisie de son talon (’akev) (cf. id. 25:26), il n’aurait pas porté le nom de Ya’akov et la première lettre de son nom n’aurait pas complété celle des autres patriarches pour former le Nom EHYEH. Il lui avait donc ainsi enlevé son droit d’aînesse et sa bénédiction... «S’il voulait le droit d’aînesse, poursuivit-il, il n’avait qu’à sortir le premier et ne pas me saisir par le talon; je serais ainsi sorti après lui; je l’aurais saisi par le talon et c’est moi qu’on aurait nommé Ya’akov, ce qui aurait complété le Nom EHYEH...

Nous voyons ainsi qu’en dépit de sa grande méchanceté, (le Talmud rapporte que le jour de la mort de son grand père Avraham, il avait accompli cinq péchés (Bava Bathra 16b) et d’autres péchés très graves (Yalkout Chimoni, Téhilim 830, Zohar III, 56a)), Esaü aspirait à compléter le Nom Divin EHYEH. Mais il se trompait, comme le dit le Psalmiste: «Des hymnes louangeurs de la gloire de Dieu sont sur leurs lèvres, mais leur main tient une épée à double tranchant» (Psaumes 149:6). Esaü ne vivait qu’à la pointe de son épée (cf. Genèse 27:40); il ne portait pas le moindre amour à son prochain. Il ne pensait qu’à tuer et à voler. Il était par conséquent fort éloigné des vertus du Nom EHYEH.

Nous pourrons ainsi mieux comprendre l’enseignement de nos Sages selon lequel, avant sa rencontre avec son frère Esaü, Jacob cacha sa fille Dinah dans une caisse, de peur qu’Esaü, le mécréant, ne la désire. Notre Patriarche fut cependant puni, parce que Dinah fut séduite par Chékhem ben ‘Hamor. Nos Sages expliquent que, si elle avait été donnée à Esaü, elle l’aurait peut-être ramené sur le droit chemin (Béréchith Rabah 77:9). On peut se demander à cet effet pourquoi Jacob a été puni: n’est-il pas écrit que «celui qui donne sa fille à un ignorant, c’est comme s’il la liait et la déposait devant un lion?» (Pessa’him 49b). A plus forte raison devant un mécréant comme Esaü.

En fait, apparemment les accusations d’Esaü contre son frère sont justifiées: s’il s’est perverti, soutient-il, c’est parce que Jacob l’a empêché de parfaire et de porter le Nom EHYEH. Si on lui avait donné Dinah, elle l’aurait peut-être amené à se repentir, et il aurait été digne de porter ce nom. Dinah l’aurait en quelque sorte sanctifié, comme le bouc sur lequel tombe le sort pour aller à Azazel au Mont Séïr et ainsi expie et sanctifie le Nom de Dieu (cf. Lévitique 16:10). Esaü vivait sur le Mont Séïr (lui-même étant Ich séïr, un homme poilu), et le terme vaya’akevéni a la valeur numérique 248, allusion aux 248 membres du corps humain. «Sans pain, point d’étude; sans étude, point de pain» enseignent les Sages de la Michnah (Pirké Avoth 3:21). Car le pain donne la force à ces 248 membres et permet à l’homme d’étudier la Torah et de servir son Créateur. C’est que, prétendait Esaü, mon frère m’a trompé et privé de mes bénédictions. Il m’a par conséquent ôté les forces — le pain — nécessaires à l’étude de la Torah et à l’accomplissement des mitsvoth. D’autre part, Esaü se plaignait «Vaya’akevéni (248) (il m’a supplanté) pa’amaïm (2) (deux fois)»; 248 + 2 = 250, valeur numérique de NeR (la lampe). En d’autres termes, Esaü ne peut plus accomplir les préceptes divins auquel ce terme fait allusion, comme il est écrit: «Car la mitsvah est une lampe et la Torah une lumière» (Proverbes 6:23). L’âme aussi porte le nom de «lampe» comme dans (id. 20:27): «L’âme de l’homme est une lampe de l’Eternel» (Chabath 30b). Privé du droit d’aînesse et de bénédictions, il ne peut pas (prétend-il) porter le Nom saint EHYEH. Son âme l’a quitté et le jumeau «entièrement roux, adéreth Sa’AR» (Genèse 25:25) porte désormais le nom de RaShA’ mécréant (les deux mots ont les mêmes lettres)... Ce serait peut-être la raison pour laquelle le jugement (HaDIN) s’est abattu sur DINaH (mêmes lettres) et Jacob... Mais Ya’akov savait que «sans étude de la Torah, point de pain» (Pirké Avoth 3:21), et Esaü n’étudiait pas la Torah; il ne méritait par conséquent ni droit d’aînesse ni bénédictions (le pain).

 

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