La chose est donc connue

« Il arriva en ces jours que Moché grandit, sortit vers ses frères et vit leur souffrance, et vit un Egyptien frapper un Hébreu de ses frères. Il se tourna d’un côté et de l’autre, vit qu’il n’y avait personne, il frappa l’Egyptien et le cacha dans le sable. Il sortit le deuxième jour, et voici que deux Hébreux se disputaient. Il dit au méchant : pourquoi frappes-tu ton ami ? Et il dit : qui t’a posté comme gouverneur et juge sur nous, voudrais-tu me tuer comme tu as tué l’Egyptien ? Moché eut peur et dit : la chose est donc connue » (Chemot 2, 11-14).

Rachi explique : Moché eut peur – comme le sens direct. Selon le Midrach, il se souciait d’avoir vu en Israël des méchants et des délateurs. Il se dit : maintenant, peut-être ne sont-ils plus dignes d’être délivrés ; la chose est donc connue – comme le sens direct. Selon le Midrach, la chose m’est connue, cette chose sur laquelle je m’étonnais. Je me disais que les bnei Israël n’ont pas fauté plus que les soixante-dix nations pour subir des travaux forcés, mais maintenant je vois qu’ils le méritaient. »

Quand il a vu la terrible souffrance des bnei Israël, Moché a exploré la question, en cherchant à comprendre pourquoi il y avait une telle colère contre eux, mais il ne trouvait rien. Il s’étonnait : les Sages n’ont-ils pas dit qu’au moment où les bnei Israël allaient sortir d’Egypte, les anges du service avaient demandé : « En quoi sont-ils différents des Egyptiens ? Ceux-ci sont idolâtres et ceux-là sont idolâtres ! » De plus, ils se trouvaient à l’époque de l’esclavage d’Egypte dans une situation spirituelle extraordinairement dégradée, ils étaient plongés dans les quarante-neuf portes de l’impureté. Alors pourquoi Moché n’arrivait-il pas à comprendre qu’ils soient réduits en esclavage ?

Celui qui regarde avec précision le langage de Rachi trouvera la réponse à cette question, car Rachi écrit : « La chose dont je m’étonnais m’est connue, je me demandais en quoi les bnei Israël avaient fauté plus que les soixante-dix nations. » C’est-à-dire que l’étonnement de Moché ne portait pas sur le fait qu’ils avaient fauté, mais sur ce qu’il y avait dans leurs fautes qui était pire que celles des soixante-dix nations, chez qui il y avait des sorciers et des idolâtres, des assassins et des débauchés, et pourtant ils n’avaient pas été réduits en esclavage et n’avaient pas été punis. Pourquoi les bnei Israël, eux, avaient-ils été punis de leurs actes ? Ceci bien qu’ils n’aient pas encore reçu la Torah, donc ils étaient en fait au niveau de tous les autres peuples, comme les « bnei Noa’h », alors pourquoi exigeait-on davantage d’eux ?

C’est vrai, il y avait parmi eux des pécheurs, il y avait parmi eux des idolâtres, mais pourquoi était-ce justement eux qui étaient réduits en esclavage, plus que les soixante-dix nations, qui étaient également méchants et pécheurs ? Pourquoi justement eux étaient-ils asservis aux travaux forcés ? Car tous ces péchés n’étaient pas plus graves que ceux des autres nations, alors pourquoi est-ce à eux qu’on le reproche ?

C’était cela l’étonnement de Moché, et cet étonnement ne lui laissait pas de repos, or en un moment il a trouvé la solution : « la chose est donc connue. »

La chose sur laquelle je m’étonnais est connue, dans les paroles de cet Hébreu : « est-ce que tu voudrais me tuer comme tu as tué l’Egyptien », c’est dans cette phrase que la chose est connue. En effet, s’il y a parmi eux des gens comme cela, qui n’ont pas l’amour du prochain, des délateurs, qui vont en colportant des médisances, on comprend pourquoi ils sont réduits en esclavage, et non seulement cela, mais il est possible que cela les rende indignes d’êtres sauvés.

Effectivement, si nous réfléchissons, Moché avait raison de dire cela, car tout l’esclavage d’Egypte est arrivé à cause du lachon hara. En effet, l’histoire de la vente de Yossef, qui l’a fait arriver en Egypte, à la suite de quoi ses frères y sont venus avec leur père Ya’akov, tout cela ne se serait pas produit si Yossef n’avait pas dit du lachon hara sur ses frères, en rapportant à leur père ce qu’ils faisaient de mal, bien que ses intentions aient été bonnes. « La chose est donc connue » : nos pères sont arrivés en Egypte à cause du lachon hara et de la médisance, et bien qu’on ait su longtemps avant cela qu’il y aurait une servitude, car « tes descendants seront étrangers dans un pays qui n’est pas le leur, et ils les asserviront et les persécuteront », la manière dont cet esclavage est arrivé était due au lachon hara.

C’est pourquoi lorsque Moché a dit « ils ne me croiront pas et ne m’obéiront pas », cela lui a été immédiatement reproché (4, 2-7) : « Hachem lui dit : qu’as-tu dans la main, et il a répondu : un bâton. Il a dit : lance-le à terre, il le lança à terre et il devint un serpent, et Moché s’enfuit devant lui (…). Hachem lui dit encore : mets ta main dans ta poitrine, il mit la main dans sa poitrine et quand il la sortit, sa main était lépreuse comme de la neige. »

L’art du serpent était de dire du lachon hara, et la lèpre, comme on le sait, est le châtiment du lachon hara, comme le rapporte Rachi sur ce verset : « Qu’as-tu (« mazé ») dans la main – « mazé » est écrit en un seul mot, pour enseigner que tu dois être frappé dans ta main pour avoir soupçonné ceux qui étaient droits, etc ; et il devint un serpent – c’est une allusion au fait qu’il avait dit du lachon hara sur les bnei Israël, en adoptant l’art du serpent ; lépreuse comme de la neige – la lèpre est en général blanche. Dans ce signe aussi, il lui a insinué qu’il avait dit du lachon hara en disant « ils ne me croiront pas », c’est pourquoi il a été frappé de lèpre, comme Myriam avait été frappée à cause du lachon hara. »

Pour montrer à Moché que si, effectivement, la faute des bnei Israël qui leur avait valu de descendre en Egypte et d’être réduits en esclavage était bien celle du lachon hara, s’il voulait les délivrer, il devait réparer cette faute et non la répéter. Et bien que ce qu’il avait dit était en soi pour le bien des bnei Israël, dans un but utile et non de façon interdite, cela provenait d’un véritable souci pour le klal Israël : comment Moché allait-il pouvoir les inciter à l’écouter, puisque, comme on le constate, ils ne l’écoutaient pas, à cause de leurs soucis et de la dureté du travail ? L’explication en est que lorsqu’on veut réparer une faute, on est obligé de faire le contraire, une techouva à l’opposé, et de tendre vers le meilleur côté. C’est pourquoi Moché, qui venait délivrer Israël, ne devait pas dire de lachon hara, même dans un but utile, mais veiller à aller dans l’autre sens, redoubler d’amour, de fraternité, de paix et d’amitié, et juger favorablement les bnei Israël.

C’est ainsi que les choses se présentent, également dans notre génération, car comme on le sait notre exil provient de la haine gratuite. L’introduction à « ‘Hafets ‘Haïm » en parle longuement : la haine gratuite et le lachon hara ensemble ont provoqué cette faute, ainsi que la longueur de l’exil. Donc si nous voulons rapprocher la délivrance, nous devons redoubler d’amour gratuit, plus intense encore que la haine gratuite, qui crée des dissensions parmi nous. Nous devons nous efforcer de nous juger mutuellement favorablement. Nous ne parlons pas seulement des personnes individuelles, mais aussi des communautés, chacune avec ses dirigeants, chacune avec ses rabbanim. Chacun doit aimer et accepter celui qui est différent de lui. Si nous nous conduisons ainsi, il nous est promis que la délivrance viendra bientôt, car lorsque les tribus d’Israël seront dans l’unité, alors immédiatement « il y aura un roi dans Yéchouroun ».

 

 

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