La Notion du Nom

« Voici les noms des bnei Israël qui sont venus en Egypte avec Ya’akov, ils sont venus chacun avec sa famille » (Chemot 1, 1)

Apparemment, ce verset demande explication. Pourquoi commence-t-il en disant « Voici les noms » ? Si l’Ecriture voulait les compter, il aurait fallu dire : « Voici les bnei Israël qui sont venus en Egypte. » Pourquoi cette insistance sur le nom, d’autant plus que le livre entier porte le nom de Chemot (les noms) ? Quiconque lit le ‘Houmach ne peut que s’étonner : est-ce que « les noms » sont donc l’essentiel de ce livre ? N’aurait-il pas mieux valu l’appeler « la sortie d’Egypte » ou quelque chose de ce genre ? Alors pourquoi appeler le livre « Chemot » ?

Nos Maîtres se sont penchés sur cette question dans Chemot Rabba (1, 28) : « Rav Houna a dit au nom de Bar Kappara : les bnei Israël ont été sauvés de l’Egypte à cause de quatre choses, parce qu’ils n’ont pas changé leur nom ni leur langue, n’ont pas révélé leur secret, et ont veillé à la pureté de leurs femmes. » C’est donc cela que l’Ecriture met en valeur en disant : « Voici les noms des bnei Israël », le fait même d’avoir conservé ces noms leur a fait mériter la délivrance.

Mais c’est précisément là qu’est la difficulté : l’importance d’un nom est-elle tellement grande que d’avoir conservé leurs noms leur a valu d’être sauvés ?

Cela vient nous dire que ce n’est pas pour rien que le Créateur a mis « des noms dans le pays », car les noms des bnei Israël, les noms des juifs, ont leur racine dans les profondeurs de la sainteté. Comme l’ont expliqué les Sages dans Berakhot (7b) sur les noms des douze tribus, et comme les commentateurs l’expliquent sur cette Guemara (voir le Maharcha et d’autres), bien que Léa n’ait pas été prophète, une prophétie l’a traversée au moment où elle a donné des noms à ses enfants. On sait également par les livres saints qu’au moment où l’on donne un nom à un enfant, il y a une certaine part de prophétie, car les caractéristiques de quelqu’un se trouvent en allusion dans son nom, et il n’y a pas de nom sans signification.

De plus, le Ari zal nous révèle, en expliquant ce verset d’après la kabbala, qu’il est question de ce monde-ci et du monde des âmes. Il écrit : « Voici les noms des bnei Israël qui sont venus en Egypte », ce sont les noms de sainteté qui sont descendus dans ce monde-ci, qui s’appelle « Mitsraïm » (l’Egypte). « Avec Ya’akov, ils sont venus chacun avec sa famille », tous les noms sont accompagnés par les saints Patriarches, dont les noms ont leur source dans les secrets de la Torah, et ces mystères accompagnent les bnei Israël lorsqu’ils descendent en ce monde.

Toujours à propos de la grandeur du nom qui est donné à l’homme à sa naissance, comme on le sait, quand l’âme arrive dans les cieux après cent-vingt ans, on lui demande son nom, et il faut à ce moment-là une segoula spéciale pour se rappeler son nom et l’énoncer. C’est pourquoi on a l’habitude de dire, à la fin de la amida, un verset qui commence par la première lettre de son nom et se termine par la dernière lettre. Cela recouvre de très profonds secrets.

On comprend maintenant que c’est effectivement le cas, la grandeur des bnei Israël était de ne pas avoir changé leur nom. En effet, cela les a protégés, ainsi ils ne se sont pas perdus, et personne ne s’est assimilé. Les « noms » des bnei Israël sont les bases spirituelles avec lesquelles ils sont descendus en Egypte, accompagnés par leur père Ya’akov, et ces noms leur sont restés et ont protégé leur identité.

C’est la façon dont les juifs se sont comportés dans toutes les générations, et une coutume d’Israël est de la Torah. Ils ont toujours donné des noms qui ont un rapport avec la paracha de la semaine ou un événement quelconque, et la source de tout cela est que descend la sainteté qui dépend du personnage évoqué dans les parachiot, par exemple Moché, Aharon, Myriam, Devora etc.

Il faut examiner le verset dans le détail : « Voici les noms des bnei Israël qui sont venus en Egypte avec Ya’akov, chacun avec sa famille est venu. » Apparemment, il semble y avoir une erreur. Il est écrit : « qui viennent en Egypte » au présent, alors que « chacun avec sa famille est venu » est au passé. Pourquoi le verset parle-t-il une fois au présent et une fois au passé ?

Cela vient nous enseigner que ces noms que nous donnons à nos enfants au présent sont les noms qui sont déjà venus au monde et qui ont leur source dans les hauteurs de la sainteté.

Mais la question ne semble toujours pas totalement éclaircie. Est-ce que tout cela était quelque chose de mystique, le fait que leurs noms les aient protégés ? Ou peut-être y a-t-il aussi quelque autre chose ?

Avant de l’expliquer, réfléchissons un peu à l’esclavage d’Egypte d’un point de vue spirituel. Lorsque les bnei Israël sont descendus en Egypte, ils étaient au nombre de soixante-dix, une seule famille, ils étaient très unis et accomplissaient toutes les mitsvot de la Torah, les plus faciles et les plus difficiles. A cette époque, l’Egypte était déjà connue comme un pays plongé dans la débauche, « leur lubricité égale celle des chevaux (Ezéchiel 23, 20). Elle était pleine de dépravation et de sorcellerie, mais ils étaient plus forts que cette influence nuisible. Sur le conseil de Yossef, ils ont habité en Gochen, où ils formaient une espèce d’enclave juive, au cœur même de l’Egypte remplie d’idolâtrie et de vice. En peu de temps, les soixante-dix personnes se sont multipliées considérablement, et plus ils étaient nombreux plus ils « remplissaient le pays ». Toute cette génération a quitté ce monde, Ya’akov et ses enfants, ainsi que ceux qui venaient après eux, et voici qu’un nouveau roi s’est levé qui n’avait pas connu Yossef, et arrivèrent les années de l’esclavage et de la souffrance, les années des durs travaux. L’Egypte, débauchée et idolâtre, était devenue un empire, un empire de sorcellerie et de magie, c’était cela sa puissance et sa gloire. Une terrible obscurité spirituelle régnait en Egypte. Petit à petit, les bnei Israël eux aussi en ont subi l’influence, et se sont mis à fréquenter les théâtres et les fêtes populaires, comme le rapporte le Midrach. Les bnei Israël « descendirent » – leur descente en Egypte a été une descente effrayante, et petit à petit l’identité juive extérieure du peuple d’Israël s’est mise à disparaître. Au point que lorsqu’ils sont sortis d’Egypte, les anges du service ont voulu comprendre en quoi ils étaient différents des Egyptiens – ceux-ci sont idolâtres et ceux-là sont idolâtres.

Le désir de ressembler aux Egyptiens, en même temps que le poids de l’esclavage et de l’asservissement total à Paro et à ses sbires, leur faisait perdre la raison et les empêchait d’avoir une identité personnelle. A tel point que lorsque Moché s’est adressé à eux au début, ils ne l’ont pas du tout écouté, « oppressés par une dure servitude ». Mais pendant tout ce temps-là, ils ont gardé leurs noms, leur secret et leur pudeur. Comment y ont-ils réussi ?

Il y a une seule réponse – grâce à leur fierté.

 

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