L’asservissement dans l’humilité

Commentant le verset: «Et voici les lois que tu leur présenteras: si tu achètes un esclave hébreu, il servira six années; mais la septième, il sortira libre, sans rien payer» (Exode 21:1-2), Rachi citant la Mékhilta (id.) explique que, tout comme les premières lois, ces lois ont été données sur le Sinaï. Aurait-on pu concevoir le contraire?

L’auteur du Or Ha’haïm explique en bref que, d’après Rabbi Ichmaël, au Sinaï les lois ont été données grosso modo, sans explication, et leurs détails ont été donnés à la Tente d’Assignation (Zéva’him 115b). Mais ici, le terme vééléh (et voici) a été ajouté pour nous apprendre que même les détails de ce précepte ont été donnés au Sinaï. Autrement la Torah ne nous l’aurait pas enseigné.

La question reste cependant posée: pourquoi en vérité la Torah mentionne-t-elle vééléh? Nous savons que les généralités et les détails nous ont déjà été fournis.

Une autre question se pose: pourquoi la section biblique, qui se rapporte aux jugements, se trouve-t-elle à proximité de celle ayant trait au sanctuaire. Les Sages (Mékhilta Rachi, Exode 21:1) répondent que c’est pour placer le Sanhédrine (le grand Tribunal) à proximité du sanctuaire. Nous ne voyons pas apparemment le rapport entre ces deux concepts! Pourquoi le Sanhédrine doit-il être placé précisément à proximité du Sanctuaire?

Sachons auparavant que la période allant de la lecture de la section biblique Chémoth à celle de Michpatim, ces jours, connus sous le nom de chovavim, sont extrêmement proprices au repentir et au rapprochement vers Dieu. Grâce à eux, on peut accéder au niveau de «serviteur de Dieu», aspect de Moïse qui se réjouit de son héritage glorieux: celui d’avoir été nommé «le fidèle serviteur de l’Eternel.» Nous voyons ici que ce qui réjouit le plus Moïse, qui abondait par ailleurs en vertus, c’est le titre de «fidèle serviteur», comme il est écrit: «Il n’en est pas ainsi de Mon serviteur Moïse: Il est fidèle dans toute Ma maison» (Nombres 12:7).

Le serviteur se réjouit de tout ce qu’il reçoit de son maître, auquel il doit une obéissance totale. Le Talmud (Pessa’him 88b; cf. Kidouchine 23b) enseigne que les possessions éventuelles de l’esclave, même les plus importantes appartiennent en fait à son maître. Car il est écrit: «Tout esclave est acquis à prix d’argent...» (Exode 12:44). Il doit par conséquent se dévouer pour lui, et déployer tous ses efforts pour trouver grâce à ses yeux...

Mais pour accéder à ce niveau de serviteur de Dieu, il convient de connaître et accomplir en toute humilité toutes les lois, savoir devant Qui on se tient (cf. Bérakhoth 28b). C’est pourquoi la section Michpatim se trouve à côté de celle du sanctuaire (Mékhilta, Yithro, fin; Rachi Michpatim début). En d’autres termes, tout comme on ne peut construire l’autel qu’avec des pierres, comme il est écrit: «Si tu élèves un autel de pierre» (Exode 20:25), «Tu bâtiras en pierres brutes l’autel de l’Eternel» (Deutéronome 27:6), on ne peut accéder au degré de serviteur de Dieu, que si on fait preuve de la plus grande humilité (dont la pierre et la poussière sont les symboles). Il est interdit d’élever un autel de fer, qui symbolise l’orgueil et la guerre. L’Eternel nous prescrit de ne pas le bâtir en pierres taillées, car en passant le ciseau (en fer) sur la pierre, on le profane (Exode 20:22), car le fer raccourcit [la vie de l’homme] alors que l’autel [la] rallonge (Midoth 3:5). Dans ces circonstances, «il servira six années, mais la septième, il sera libre.» En d’autres termes, celui qui mérite d’être l’esclave de Dieu et Le sert soixante (6x10) ans, sera libre la soixante-dixième (7x10) année (cf. Psaumes 90:10), car dans le monde futur, il n’est plus en mesure d’accomplir des mitsvoth (cf. Psaumes 88:6). Il en est exempt (Chabath 30a; Yalkout Chimoni Iyov 896). Il méritera alors de demeurer dans un monde totalement bon.

On peut dire aussi que les six années font allusion aux six parachyoth de Chémoth à Michpatim (les chovavim). L’homme doit alors se repentir pour accéder au niveau de serviteur de Dieu... «Et la septième année» c’est-à-dire le septième Chabath, il sera libre et pourra se donner corps et âme en Téroumah, offrande à Dieu. Ainsi la section Michpatim commence par: «Si tu achètes un esclave hébreu»: l’esclave hébreu c’est celui qui a su se parfaire dans son service divin et mérite d’être acquis par Dieu. Pendant cette période des chovavim, les gens pieux ont l’habitude de faire ta’anith dibour (jeûne de la parole ou refus de parler), et de veiller particulièrement aux problèmes financiers qui peuvent se poser avec leur prochain. Pour vraiment mériter le titre de serviteur de Dieu, il convient de régler ses différends avec son prochain, ces différends que le Saint, béni soit-Il, ne pardonne pas, même le jour de Kipour (Yoma 85b).

On peut à ce stade comprendre cet enseignement du Talmud (Guitine 90a; Sanhédrine 22a), selon lequel, sur celui qui divorce sa femme, même l’autel du Temple verse des larmes. Apparemment, aucun rapport n’existe entre ces deux concepts. En vérité l’autel symbolise l’humilité grâce à laquelle on accède aux lois divines et au titre de serviteur de Dieu, comme on l’a vu plus haut. La modestie permet de surmonter tous les obstacles. Or, celui qui est arrivé au divorce a dû sans aucun doute faire preuve d’irritation, de jalousie ou d’orgueil... Le couple, ne se sentant plus asservi à Dieu, en arrive au divorce... L’autel verse alors des larmes sur ce foyer: s’il s’était conduit comme lui, en toute humilité, il n’en serait pas arrivé à ce stade critique, car «les sacrifices agréables à Dieu, c’est un esprit contrit (et humble)» (Psaumes 51:19). Si les conjoints avaient accédé à l’humilité, ils se seraient asservis à Dieu, et auraient pu surmonter tous les obstacles, comme un serviteur qui s’efface complètement devant son maître.

On sait aussi que grâce au youd de l’époux: iYch, et du héh de l’épouse ichaH, l’Eternel (Y-H) demeure au sein du couple. Mais si des différends les opposent, le Nom Saint en disparaît, et il ne reste que ech [ech chez l’homme et ech chez la femme: deux fois ech], le feu qui les dévore (kalah 1; Pirké de Rabbi Eliézer 12; voir aussi Sotah 17a). Ce qui ne serait certainement pas arrivé s’ils prenaient l’exemple de l’autel, qui sert de Hakravah (offrande et rapprochement en même temps), s’ils s’engageaient assidûment dans l’étude de la Torah, s’ils cultivaient les vertus, en particulier l’humilité... Ainsi, si l’homme avait quelques mérites, sa femme lui aurait servi d’aide (Yébamoth 63a).

Les Sages (Mekhilta; Rachi, Exode 20:22) enseignent que, puisque les pierres de l’autel établissent la paix, il est interdit de les tailler avec du fer... A plus forte raison pour celui qui réconcilie (et établit la paix dans) un couple... (il ne connaîtra pas la souffrance). L’autel symbolise donc la paix du foyer.

Le Sanhédrine tient donc ses séances précisément à proximité de l’autel pour que les Juifs qui le voient prennent exemple sur lui, et accèdent, comme ses membres, à l’humilité.

Commentant ce verset: «Soyez circonspects dans vos jugements» (Pirké Avoth 1; Sanhédrine 7b), Bar Kapara explique qu’il dérive du verset: «Tu ne monteras point à mon autel par des degrés» (Exode 20:26). L’auteur du Kéli Yakar explique que, juste après, commence la section hebdomadaire Michpatim (id. 21:1) qui enseigne aux juges à se conduire avec humilité, comme l’autel, et à ne pas y monter de façon hautaine. Car l’autel et le service divin, sont les meilleurs symboles de l’humilité.

«Voici les lois acher que tu leur présenteras.» Dans ACheR, on retrouve les lettres ROCh (tête). Les juges doivent susciter chez les Juifs l’intelligence, la réflexion, et la compréhension, qui les conduisent à l’humilité. C’est pourquoi Moïse et les Juges ont reçu l’ordre de placer les lois devant le Peuple, comme on prépare la table (’Irouvin 54b; Mekhilta id.). C’est également ainsi que doit agir le maître envers son élève. Sans faire preuve d’orgueil, sans se mettre en colère, sans poursuivre des honneurs, il doit l’imprégner de toutes les vertus, et comme on le sait, ce qui sort du cur entre au cur [du prochain] (Bérakhoth 6b). Et tous deux, maître et disciple, accéderont ainsi au niveau de serviteur de Dieu.

Que l’homme ne se dise pas: «Je ne comprends pas tous ces concepts: ils sont trop compliqués pour moi.» Non. l’Eternel a donné à l’homme l’intelligence et la faculté de compréhension... Pendant le repas, la bouche mâche, le système digestif fonctionne comme il convient pour recevoir l’alimentation... Il en est de même pour l’étude de la Torah, même si on ne comprend pas tout ce qu’on étudie, car l’obstacle et la difficulté ne sont qu’illusion et de toute façon on doit se conformer à la volonté divine. Et plus ce qu’on apprend est difficile, plus on doit persévérer. «C’est la Torah ardue que j’ai apprise, qui m’a fait subsister (ou que je me rappelle le plus)» a dit à cet effet le Roi Salomon (Yalkout Chimoni, Kohéleth 96). Même si on ne comprend pas, le mazal comprend (Méguilah 3a; Sanhédrine 94a). Et ce qu’on n’a pas compris dans ce monde, on le comprendra dans le monde futur (Zohar I, 185a), si toutefois on a étudié la Torah comme il convient. En effet, lorsqu’on ne comprend pas ce qu’on étudie, on est affligé, on fait preuve d’humilité comme l’autel, et on a ainsi le mérite de porter le titre de serviteur de Dieu. On se fait alors aider par Dieu. Et ce n’est pas la colère ou le désespoir qui nous font aboutir à un résultat.

Comment peut-on concevoir que Chimchon, qui avait été Juge en Israël pendant vingt ans (Juges 16:31), ait pu demander à Dieu de le faire mourir avec les Philistins? (id. 30) N’aurait-il pas dû plutôt invoquer l’Eternel de le laisser en vie, de l’aider à tuer les Philistins, et juger encore Israël?

C’est que les Philistins étaient des incirconcis, comme il est écrit: «N’y a-t-il point de femme parmi les filles... que tu ailles prendre une femme chez les Philistins qui sont incirconcis» (id. 14:3), et «il en sera ainsi du Philistin, de cet incirconcis, comme de l’un d’eux» (Samuel I, 17:36). Ils symbolisent le mauvais penchant qui déploie toutes sortes de ruses pour affaiblir l’homme, le dissuader de s’engager dans l’étude de la Torah qui est trop difficile pour lui, en mettant des embûches, dans le domaine financier ou familial... Comme Chimchon, l’homme doit donc savoir l’anéantir et périr en même temps que lui, c’est-à-dire s’engager dans l’étude de la Torah, de toute façon (même s’il ne la comprend pas au début; Chabath 63a; ’Avodah Zarah 19a), et c’est ce qui permettra son acquisition (Bérakhoth 63b; Chabath 83b; Zohar II, 158b). Craignant de faire preuve d’orgueil en tuant les Philistins, Chimchon pria Dieu de l’aider à se venger et périr avec eux, comme il est écrit: «il fit périr plus de monde à sa mort qu’il n’en avait tué de son vivant» (Juges 16:30), et le miracle était d’autant plus grand que ses forces s’étaient déjà sensiblement affaiblies (voir aussi id. 20).

Les Sages (Yalkout Chimoni, Béréchith 161; Cha’aré Hakédouchah, chapitre 8; Midrach ‘Assereth Diberoth 38:7), relatent le récit de Rabbi Matia ben ‘Harache, qui étudiait la Torah dans sa Yéchivah... Voulant le faire fauter, le mauvais penchant se déguisa en femme extrêmement belle, et essaya de le séduire... Rabbi Matia détourna la tête, mais la femme qui était encore plus belle que Na’amah, sur de Touval Caïn... (Béréchith Rabah 23:4; Pessikta Zouta, Béréchith 4:22), comme il est écrit: «Les fils d’Elokim trouvèrent que les filles de l’homme étaient belles» (Genèse 6:2), ne cessa de le harceler. Rabbi Matia demanda alors à son disciple de lui apporter du feu et des clous. Il fit chauffer à blanc les clous et se perça les yeux. Bouleversé, le mauvais penchant disparut. Dieu lui envoya en fin de compte l’ange Raphaël, qui le guérit, et lui promit de ne jamais se laisser séduire par le Satan.

On peut dire que Rabbi Matia s’est tué, car l’aveugle est considéré comme mort (Nédarim 64b; Béréchith Rabah 79:1). Et comme Chimchon qui a péri en même temps que les Philistins, Rabbi Matia a tué le mauvais penchant qui était venu le faire fauter.

Grâce à la mort de Chimchon, les Philistins laissèrent en paix les enfants d’Israël pendant une période de vingt ans, parallèlement à celle où il avait été Juge d’Israël. Le Talmud (Yérouchalmi Sotah 1:8), enseigne qu’un verset stipule: «Il jugea Israël pendant quarante ans» [Il s’avère qu’un tel verset n’existe pas. C’est ce qu’explique le Maharcha (1ère partie, Sotah 10a)] et un autre: «Il avait gouverné Israël pendant vingt années» (Juges 16:31). Rabbi A’ha enseigne à cet effet que les Philistins le craignirent même vingt ans après sa mort. Chimchon le savait; c’est pourquoi, craignant que le «pied de l’orgueil ne l’atteigne» (Psaumes 36:12), il préféra mourir en même temps qu’eux.

Nous pouvons à ce point comprendre pourquoi le verset (Exode 21:1) commence par vééléh, qui comme on le sait, ajoute au premiers éléments: chaque fois que Moïse montait dans les cieux, il s’élevait spirituellement, il ne stagnait jamais à la même place... Il n’en demeure pas moins qu’il resta le plus humble des hommes. Son élévation constante ne le rendit pas le moins du monde orgueilleux: son humilité ne faisait au contraire que s’accroître, et il servait l’Eternel avec de plus en plus de dévouement, et surtout de modestie.

Moïse était d’ailleurs tellement humble qu’il écrivit sur lui-même ‘anav (modeste) sans youd. Donc, si les premières lois furent données sur le Sinaï, symbole de l’humilité (cf. Béréchith Rabah 99:1; Bamidbar Rabah 13:5; Pessikta Rabah 7:3), celles-ci en furent empreintes également, car l’humilité constitue l’un des fondements de la Torah, et c’est elle qui fait accéder au niveau sublime de serviteur de Dieu.

 

 

PARACHAT YITRO
TABLE DE MATIERE
De l’obligation d’apprendre la motivation de chacune des Mitsvoth

 

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