La perfection de l’homme

Commentant le verset «Je vois que ce peuple est un peuple au cou raide...» (Exode 32:9), Rachi explique: «les enfants d’Israël raidissent leur cou contre ceux qui les réprimandent et ne consentent même pas à les entendre.» Le Séforno en conclut, qu’il n’y a aucune chance qu’ils fassent pénitence.

Une telle conduite sied-elle vraiment à la génération de la connaissance? Certains commentateurs expliquent que, pensant avoir accédé à la perfection, les enfants d’Israël estimaient qu’ils n’avaient plus rien à apprendre, et comme on le sait, dans ce cas on se gonfle d’orgueil et on ne prête plus attention à la réprimande.

Il n’en demeure pas moins que nous n’avons pas affaire à des gens simples, mais à une génération de la connaissance. Comment ont-ils pu en arriver là?

Le Or Ha’haïm écrit à cet effet: «Comment peut-on concevoir que des gens de cette envergure aient été assez insensés pour dire d’un objet inanimé: «Voici tes dieux, ô Israël!»? «Ne savaient-ils pas, ajoute à son tour le Rachbam, que ce veau, né d’aujourd’hui, n’a pas fait monter d’Egypte les enfants d’Israël?»

C’est qu’après avoir assisté à tant de miracles, au point que même la servante la plus humble a vu sur la Mer Rouge ce que n’avait pas vu Yéhezquel. Après s’être complètement débarrassés de leur souillure (Zohar I, 63b; II, 94a), «après avoir été couronnés par les anges pour avoir proclamé: «Nous ferons, puis nous comprendrons» (Chabath 88a; Midrach Cho’her Tov 103:8), les enfants d’Israël se sont gonflés d’orgueil, comme nous l’avons vu plus haut. Or, on le sait, l’orgueil n’appartient qu’à Dieu, comme il est écrit: «L’Eternel règne, Il est revêtu de majesté» (Psaumes 93:1; voir Iguéreth HaRambam)... Cet orgueil n’était constitué que béchéker, de mensonge, qui a la même valeur numérique (602) que bochech «Moïse qui tardait à venir» (Exode 32:1), qui conduisit à son tour à l’arrêt de l’étude de la Torah, cause d’une chute spirituelle inéluctable qui peut engendrer la folie. Or, comme on l’a vu, la Torah ne peut subsister chez les impudents, qui croient tout savoir et avoir accédé à la perfection.

Ainsi peut-on comprendre la Michnah (Avoth 3:7; Zohar III, 80a): «Celui qui marche seul dans un chemin et répète ce qu’il a étudié puis s’arrête en s’extasiant: «Comme cet arbre est beau, que ce sillon est bien fait», la Torah le considère coupable de la peine capitale.» Pourquoi une sentence si rigoureuse? Parce que celui qui est chonéh, répète son étude et considère qu’il ne doit que répéter ce qu’il a étudié, car il a assez appris et qu’il est déjà parfait — ce qui lui donne l’illusion qu’il peut s’arrêter de l’apprendre — est passible de la peine de mort...

La manne qui descendait dans le désert avait un tel pouvoir que grâce à sa consommation, on pouvait distinguer entre le Tsadik, l’homme moyen et le mécréant. Cet éclaircissement minutieux faisait comprendre aux enfants d’Israël qu’ils n’avaient pas encore atteint la perfection et qu’ils devaient encore s’arranger pour arriver au tikoun grâce à l’étude constante de la Torah.

Ainsi, si le Peuple juif devait être anéanti au temps d’A’hachvéroch, c’est qu’ils étaient devenus orgueilleux et pouvaient se permettre de ne pas étudier et de s’asseoir au festin du mécréant roi de Perse. Car la Torah est aussi un festin; elle est appelée du pain (Proverbes 9:5). Et c’est la raison pour laquelle Mardochée dut réunir tous les enfants qui étudiaient la Torah et prier avec eux pour faire pardonner cette faute d’orgueil et de manque de Torah (Esther 8:7).

Le premier du mois d’Adar, on rappelle la mitsvah de donner les chékalim. La mitsvah de donner la moitié d’un chékel montre à l’homme qu’il n’est qu’une moitié et que ce monde avec tous ses plaisirs n’est que futilité (cf. Kohéleth 1:2). Dieu n’aime que l’humble et hait le vaniteux, Il apprécie celui qui a le coeur brisé, qui ne se sent qu’une moitié (cf. Psaumes 51:19; Proverbes 16:5). Cette mitsvah a lieu au début du mois d’Adar pour rappeler la faute du peuple Juif à Suze où ils se sentaient parfaits et pensaient qu’ils pouvaient accepter l’invitation d’A’hachvéroch sans fauter...

Cette mitsvah s’applique aussi de nos jours pour nous remémorer ce précepte de l’époque du Temple qui est valable aussi de nos jours, car il faut se rappeler que nous ne sommes pas parfaits et qu’il faut beaucoup travailler sur soi pour arriver à la perfection.

A ce stade nous pouvons comprendre pourquoi la section hebdomadaire Ki Tissa traite de l’offrande des chékalim pour la construction du sanctuaire. Comme nous l’avons vu plus haut, le péché du veau d’or a été provoqué par l’orgueil des enfants d’Israël: on ne peut corriger cette faute que si l’on se sent incomplet sans autrui. L’offrande du demi-chékel est prescrite avant la faute du veau d’or car elle constitue en fin de compte un remède qui précède la blessure (Méguilah 13b).

Rabbi Akiva enseigne: «l’homme est aimé de Dieu, puisqu’il a été créé à son image...» (Avoth 3:18), comme il est écrit: «car l’homme a été fait à l’image de Dieu» (Genèse 9:6), mais ce n’est pas une raison pour lui de s’élever, de faire preuve d’impudence...

C’est cette impression de perfection qui a, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, mené à la perversion Elicha’ ben Avouya, maître de Rabbi Méir (’Haguigah 14b).

A Guivon, relate la Bible (Rois I, 3:5), l’Eternel apparut en songe à Salomon pendant la nuit, et lui dit: «Demande-Moi ce que tu veux.» Salomon répondit: «Accorde à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple...» (id. 9). Cette demande du Roi Salomon plut au Seigneur: puisqu’il ne demandait pour lui ni longue vie ni richesses, Il lui donna tout. A cet effet, on peut se poser une question: Dieu qui sonde les cœurs savait bien ce qui manquait à Salomon. Pourquoi lui a-t-Il alors demandé ce qu’il voulait?

En fait Salomon ne manquait de rien: son père, le Roi David lui avait fait hériter d’or et d’argent. Le royaume était à lui. Il aimait l’Eternel et suivait les coutumes de son père. Dès son plus jeune âge, il était doué de sagesse, comme il est écrit «Je t’ai donné (au passé) un cœur sage et intelligent» (id. 3:12)... S’il a donc demandé la sagesse, c’est qu’il en était déjà suffisamment pourvu. Car le Saint, béni soit-Il, n’accorde la sagesse qu’à celui qui en est déjà pourvu (Bérakhoth 55a; Zohar II, 223b), comme il est écrit: «C’est lui qui donne la sagesse aux sages» (Daniel 2:21); «Dans un cœur intelligent repose la sagesse» (Proverbes 14:33); «Le creuset est pour l’argent et le fourneau pour l’or, mais un homme est jugé d’après sa renommée» (id. 27:21)... Dieu a donc demandé à Salomon ce qui lui manquait, pour le mettre à l’épreuve: s’il Lui répond qu’il ne lui manque rien, c’est qu’il a d’ores et déjà accédé à la perfection. Mais, dans sa sagesse, Salomon répondit qu’il en voulait plus, pour son plus grand bien, ainsi que pour celui de toute la communauté d’Israël. C’est pourquoi l’Eternel lui répondit: «Voici, J’agirai selon ta parole» (Rois I, 3:12), car Je t’ai créé intelligent...

Salomon comprit cependant que, malgré le supplément de sagesse dont Dieu l’avait pourvu, il n’avait pas encore accédé à la sagesse parfaite, comme il est écrit: «J’ai dit: je serai sage, et la sagesse est restée loin de moi» (Ecclésiaste 7:23) et «Je suis plus stupide que personne» (Proverbes 30:2).

Ne nous faisons donc guère d’illusion, nous sommes tous loin de la perfection: déployons donc tous nos efforts pour y accéder.

 

 

«Va! descends» — Toute chute ne vise qu’une élévation
TABLE DE MATIERE
«Pourquoi, ô Eternel, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple?»

 

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