L’humilité en tant que sacrifice

Les versets « L’Eternel appela Moïse... Si un homme d’entre vous offre un sacrifice à l’Eternel » (Lévitique 1, 1-2) présentent plusieurs difficultés :

1. On sait que les commentateurs s’interrogent sur la petite taille de la lettre aleph du mot vayikra. Pourquoi Moïse a-t-il écrit un petit aleph ? Ils ont répondu que la cause en était sa grande modestie, dont témoigne le verset : « Cet homme, Moïse, était fort humble » (Nombres 12, 3). Comme on a précisément du mal à comprendre que son humilité lui ait permis d’écrire une pareille phrase, on explique que  l’y a obligé (Yalkout Chimoni 839). Mais alors, pourquoi ne l’a-t-Il pas également obligé à écrire un aleph normal, en passant outre au désir de Moïse de le diminuer ?

2. Il faut également s’interroger sur le lien qui existe entre la fin de Pèkoudè et le début de Vayikra, ainsi que sur la raison pour laquelle la parachat Vayikra commence par la mitsvah des sacrifices.

3. Les mots ... « Si un homme d’entre vous offre un sacrifice à l’Eternel » demandent à être éclaircis. Rachi explique (sur la base de Vayikra Rabah 2, 7 et Tan’houma 96, 1) que le mot adam (homme) évoque le premier homme (Adam), dont le sacrifice ne pouvait en aucun cas provenir d’un vol. Ainsi, il nous est enjoint de ne rien offrir qui ne nous appartienne pas, car l’Eternel déteste l’holocauste qui provient d’un vol (Yéchaya 61, 8). A ce moment-là, on ne comprend pas pourquoi les Sages n’ont pas plutôt tiré cet enseignement de Caïn et Havel, qui ont tous deux offert un sacrifice à , comme le rapporte le verset : « Havel apporta lui aussi des premiers-nés de son bétail, parmi les plus gras » (Genèse 4, 4). Ils n’ont évidemment pas offert le produit d’un vol puisque le monde entier leur appartenait et qu’ils se l’étaient partagé (Béréchith Rabah 22, 16). Cela aurait été plus logique, car il n’existe aucun verset attestant qu’Adam ait offert un sacrifice : il y a seulement un midrach selon lequel il a offert un taureau sur l’autel (Vayikra Rabah 2, 8 sq.). Pourquoi donc chercher une preuve chez Adam plutôt que sur Caïn et Havel, dont l’Ecriture dit explicitement qu’ils ont offert un sacrifice ?

4. Il faut enfin comprendre ce qui pourrait porter à croire que quelqu’un envisagerait d’offrir un sacrifice provenant d’un vol, alors qu’il l’apporte par regret de ses fautes et pour les expier, et que ce faisant il aggraverait considérablement son cas.

Nous allons essayer d’éclaircir ces points en commençant par citer le Ramban sur la raison d’être des sacrifices : « En faisant tout cela, l’homme doit penser qu’il a fauté envers son  avec son corps et avec son âme, et qu’il serait juste que son sang soit versé et son corps consumé, n’était que son Créateur a pitié de lui et accepte en ses lieu et place ce sacrifice qui sera l’instrument de son expiation, et dont le sang remplacera son sang et la vie, sa vie » (Vayikra 1, 9). Cela signifie qu’au moment où l’homme voit la bête égorgée et dépecée dont le sang est répandu sur l’autel, il doit se dire que tout cela aurait dû être exécuté sur lui-même à cause de ses fautes, et que  dans sa miséricorde accepte une bête à sa place. Ces pensées doivent provoquer un repentir total et sincère. C’est dans le même ordre d’idées que nos Sages évoquent la diminution de la graisse et du sang entraînée par le jeûne, qui remplace aujourd’hui les sacrifices (voir Bérakhot 17a). Le coeur du pécheur doit donc se briser en lui, ainsi qu’il est écrit : « Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit contrit » (Téhilim 51, 19). On s’humiliera donc devant l’Eternel en promettant de ne plus jamais commettre pareille sottise.

En effet, l’homme qui faute le fait par orgueil, car s’il connaissait sa véritable place il lui serait impossible de pécher. « L’homme ne faute que si un esprit de folie s’est emparé de lui » (Sotah 3, Zohar I 121). Donc quand il offre ensuite un sacrifice, et voit tout ce que les cohanim doivent faire à la bête, il se repent et se soumet à . C’est ce que signifie : « Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit contrit », car ce spectacle lui brise le coeur. David a dit à ce propos : « Tu sauves l’homme et la bête, Eternel » (Téhilim 36, 7), à savoir que  sauve l’homme de ses fautes à travers la bête qui est égorgée devant Lui, car la soumission à son Père des Cieux qui en résulte évitera la mort à l’homme.

Par conséquent, quand l’homme fait acte d’humilité et accomplit les mitsvoth sans aucune pensée orgueilleuse, l’Ecriture le lui compte comme s’il offrait son âme à Dieu à chaque instant. C’est le sens des mots : « Si un homme d’entre vous (mi-kem, littéralement : de vous) offre un sacrifice à l’Eternel ». L’homme doit arriver à un niveau spirituel tel qu’il se trouve tout entier offert à l’Eternel : toutes ses bonnes actions doivent être accomplies uniquement pour Sa gloire, sans aucune arrière-pensée, par soumission. Ainsi, un homme fatigué qui n’a pas dormi de la nuit et ne s’est assoupi qu’au matin, mais qui rassemble toutes ses forces pour servir son Créateur quand il s’aperçoit que le moment est venu de dire le Keryat Chem’a du matin ou de faire la prière, s’est offert entièrement à Dieu. Il en va de même de celui qui a jeûné toute la journée, dont la déperdition de graisse et de sang est considérée comme un sacrifice. Non seulement cela, mais les Sages ont dit que quiconque arrive à vaincre son mauvais penchant est considéré comme ayant offert un sacrifice à Dieu. Il se donne effectivement tout entier, car le mauvais penchant de l’homme se renforce chaque jour davantage et cherche à le tuer (Soukah 52a, Kidouchin 30b, Kala 2), ainsi qu’il est dit : « Le méchant fait le guet pour perdre le juste, il cherche à lui donner la mort » (Téhilim 37, 32). Quand quelqu’un consacre toute sa force à le vaincre, à ce moment-là cela lui est compté comme s’il s’était sacrifié lui-même devant Dieu en même temps que son mauvais penchant. C’est ce que signifie le verset « Si un homme d’entre vous (mi-kem) offre un sacrifice à l’Eternel ». Si un homme s’offre lui-même (mi-kem) en sacrifice, lui et son mauvais penchant qui fait également partie de la notion de mi-kem puisqu’il se trouve constamment en l’homme, bien installé et caché dans son coeur (Soukah 52a), alors c’est un sacrifice de qualité.

Il résulte de tout ce que nous venons de dire que seul celui qui se soumet à Dieu et se conduit humblement est considéré comme s’étant offert lui-même en sacrifice avec son mauvais penchant. C’est lui dont les actions ont la valeur d’une offrande. Ce principe reste valable à notre époque : l’humilité est considérée comme un sacrifice, ainsi que les prières (Bérakhot 26b). Quand on prie Dieu en avouant ses fautes, car l’élément essentiel de la pénitence est la confession (Rambam, Hilkhkot Téchouvah 81, halakhah 1), cette attitude entraîne la soumission de tous les mondes au Créateur et représente une protection contre toute faute.

A présent, si tout cela est exact, les questions que nous nous sommes posés au début vont se trouver parfaitement éclaircies :

Nous connaissons bien l’enseignement selon lequel « L’homme est conduit par le chemin qu’il souhaite prendre lui-même » (Makoth 10b, Bemidbar Rabah 20, 11, Zohar I 198b), illustré par le verset : « Se trouve-t-il en présence des railleurs, Il leur oppose la raillerie, mais Il accorde sa bienveillance aux humbles » (Proverbes 3, 34). La providence divine aide l’homme à suivre la voie qu’il désire, pour le meilleur ou pour le pire. Et si l’homme aspire à s’incliner sans cesse devant Dieu, à se comporter en accord avec le verset « Je place sans cesse l’Eternel en face de moi » (Téhilim 16, 8), et à se conduire humblement comme un serviteur envers son maître, la providence l’aide à accomplir ce souhait, et il ne rencontre aucun obstacle. A la fin de Pèkoudè, il est écrit : « Et Moïse ne put pénétrer dans la Tente d’assignation, parce que la nuée reposait au sommet et que la majesté divine remplissait le Tabernacle » (Exode 40, 35). Il n’a pu entrer que lorsque l’Eternel l’a appelé (ce qui répond à notre deuxième question). Bien évidemment, tous les benei Israël le regardaient jusqu’à ce qu’il soit entré dans la tente pour parler avec Dieu (Exode 31, 8), si bien qu’à ce moment-là, il en a résulté pour lui un honneur considérable. Il a constaté que l’Eternel parlait avec lui seul, à l’exclusion de toute autre personne, malgré le niveau spirituel extrêmement élevé des benei Israël dans le désert (ils sont appelés dor déa, une génération qui se conduit entièrement selon la connaissance de Dieu (Vayikra Rabah 9, 1)). Il est possible qu’alors, dans son immense humilité, son coeur se soit brisé en lui comme celui d’un serviteur qui se soumet à son maître, et qu’il ait voulu écrire vayeker (Il s’est montré par hasard) au lieu de vayikra (Il l’a appelé), en utilisant le terme employé par la Torah à propos de Bila’am (vayeker el Bila’am, Bemidbar 23, 4). Dieu s’est montré à Bila’am dans un contexte d’impureté et de hasard, et Moïse estimait qu’à lui aussi Il était apparu par hasard, sans que cela indique une élection particulière [voir Rachi sur ce verset]. Mais Dieu n’a pas entériné son raisonnement, car il ne convenait pas de faire croire que le dirigeant des benei Israël ait reçu cette prophétie uniquement par hasard. Cette manifestation d’humilité portait atteinte à l’honneur de tout le peuple.

Cependant, comme il se comportait constamment avec humilité et soumission (« Cet homme, Moïse, était fort humble » (Bemidbar 12, 3)), il a bien écrit vayikra (« Il l’a appelé »), mais avec un petit aleph, soulignant que bien que Dieu lui soit apparu en lui manifestant sa faveur (Torath Cohanim 1, 2-3), il ne s’en sentait pas digne, et aurait voulu que toute parole divine soit entendue par tout ben Israël, car tous en étaient dignes. Le petit aleph signifie que tout juif, même s’il est petit, peut mériter d’entendre la voix de l’Eternel. C’est ce que dit le verset : « L’Eternel n’a-t-il parlé qu’à Moïse ? Ne nous a-t-Il pas parlé également ? » (Bemidbar 12, 2). Dieu peut s’adresser à n’importe qui ! C’est vrai, a répondu l’Eternel. Et Moïse, dans son humilité, le concevait parfaitement, donc comme Dieu mène l’homme par les chemins qu’il souhaite emprunter, Il lui a permis d’écrire un petit aleph... la preuve en est que même lorsqu’Il lui a dit d’écrire « Cet homme, Moïse, était fort humble », Il a consenti à le laisser écrire anav, « humble », sans yod, ce qu’il souhaitait dans son désir d’effacement. Non seulement cela, mais il a écrit « cet homme Moïse » au lieu de « Moïse » tout simplement pour qu’on ne se rende pas compte qu’il parlait de lui-même et faire croire qu’il s’agissait d’une personne quelconque qui s’appelait Moïse... tout cela provenait de son extrême modestie, conscient qu’il était que Dieu peut parler avec n’importe quel juif.

On comprend à présent parfaitement pourquoi la parachat Vayikra commence par les sacrifices : c’est pour montrer aux benei Israël qu’en se soumettant à Dieu, l’homme ressemble à celui qui s’offre lui-même en sacrifice. De plus, le spectacle de l’égorgement de la bête incite à cette humilité qui pousse à vouloir se sacrifier à l’Eternel, soi-même et son mauvais penchant, dans un mouvement de dévotion absolue et d’annulation de soi.

Ayant dit tout cela, nous comprenons pourquoi Rachi a écrit qu’on ne doit pas apporter un sacrifice qui provient d’un vol. Nous nous étions demandé s’il pourrait venir à l’esprit d’apporter le produit d’un vol pour un sacrifice destiné à expier une faute, ne faisant ainsi que l’aggraver. Mais d’après ce qui précède, il est clair que lorsqu’un homme se présente au Temple avec son sacrifice, il doit le faire dans un esprit de soumission, en se préparant au repentir à la vue de tout ce qui se passe au moment de l’égorgement de la bête. La prière, qui tient lieu de sacrifices (Bérakhot 26b), demande préparation, comme l’avaient compris les hommes pieux d’autrefois qui se préparaient pendant une heure avant de commencer à prier (Ibid. 30b), afin que leur prière soit acceptée avec bienveillance. De même à l’époque du Temple il fallait se préparer avant d’offrir un sacrifice pour qu’il soit accepté avec bienveillance, et celui qui négligeait cette étape usurpait et dérobait en quelque sorte la bonne opinion qu’on pouvait avoir de lui dans le Ciel. Son sacrifice ressemblait donc au produit d’un vol, car quand il ne venait pas au Temple de tout son coeur, au moment de l’offrande rien ne se brisait en lui, si bien qu’il risquait de tomber d’un péché dans l’autre, car la préparation consistait à se repentir auparavant pour que le sacrifice soit agréable à l’Eternel.

C’est ce à quoi la Torah fait allusion en disant : « Si un homme d’entre vous offre un sacrifice à l’Eternel », qu’il n’utilise pas le produit d’un vol, à savoir qu’il se prépare avant de l’offrir et se repente de ses fautes. Ce qui explique parfaitement que Rachi trouve sa preuve chez Adam qui n’avait pas apporté le produit d’un vol, même si nous ne trouvons nulle part écrit qu’il ait offert un sacrifice. En effet, le premier homme n’avait pas besoin de sacrifice. Au moment où il a fauté et a été chassé du Jardin d’Eden (Sanhédrin 38b, Béréchith Rabah 19, 23, Avoth Derabbi Nathan 1, 8), c’est vraiment lui-même qu’il a offert à Dieu dans un mouvement de repentir accompagné d’une immense soumission, le jour du Chabath (Béréchith Rabah 22, 28, Avoth Derabbi Nathan 1, 8); il a dit alors le « Psaume pour le jour du Chabath » (Téhilim 92, 1), a confessé sa faute et s’est même séparé de sa femme pendant 130 ans (Erouvin 18b, Zohar III 76b), il n’avait donc aucun besoin d’offrir un sacrifice, car il avait trouvé en lui-même les voies du repentir, et il n’aurait rien pu apporter qui provienne du vol, puisque tout lui appartenait (ce qui signifie que son « sacrifice » ne comportait aucun élément de « vol », puisqu’il contenait préparation et humilité). Il s’est soumis à l’Eternel, sans recourir à l’offrande d’un sacrifice, car il a accompli dans sa personne la notion exprimée par : « Si un homme d’entre vous (mi-kem, de vous-même) offre un sacrifice à l’Eternel ».

Tout homme doit donc apprendre de lui à s’humilier et à prendre conscience de son infinie petitesse devant l’Eternel, car l’humilité et le repentir tiennent lieu de sacrifice, et c’est comme si l’on avait offert sa propre vie.

 

 

PARACHAT VAYIKRA
Table de matière
La modestie et l’humilité permettent d’acquérir la Torah et d’attirer la Chékhinah

 

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