La mort des justes est une expiation - (la grandeur de Nadav et Avihou)

Il est écrit : « Quand on fut (VaYéHi) au huitième jour, Moïse appela Aaron » (Lévitique 9, 1). Rachi explique au nom des Sages (Chabath 87b, Béréchith Rabah 3, 12) qu’il s’agit du huitième jour de l’inauguration, qui était le 1er Nissan, jour où le Temple a été consacré et qui a pris les dix couronnes énumérées dans Séder Olam.

Or nous savons (Méguilah 10b, Vayikra Rabah 11, 7) que l’expression VaYéHi est toujours l’expression d’une douleur. Il semble donc surprenant que ce soit elle qu’on utilise pour décrire un jour qui a été source de joie à la fois en haut et en bas ! Il a représenté pour Dieu une joie aussi grande que celle du jour où ont été créés le ciel et la terre (Méguilah 10b). De plus, le monde entier a été créé dans le but que soit construit le Temple et que Dieu y réside, ainsi qu’il est écrit « Je résiderai parmi eux » (Exode 25, 8). Par conséquent, quelle douleur exprime le mot « VaYéHi » ?

Si l’on dit que c’était celle de la mort de Nadav et Avihou, elle n’est intervenue que plus tard, alors que « VaYéHi » vient au début de la parachah, au moment où il y avait encore en haut et en bas une joie extraordinaire du fait que Dieu soit venu résider dans le Temple. De plus, quand la Chekhinah est descendue, tous les benei Israël ont su que la faute du Veau d’Or leur avait été pardonnée (Torath Cohanim sur ce verset, Zohar), et il est évident que c’est une cause supplémentaire de joie. Rien ne semble donc justifier une expression de tristesse.

Pour l’expliquer, il faut d’abord citer le Rav Israël de Rozhine, pour qui le fait même d’avoir à construire le Temple est un élément de tristesse. En effet, au commencement Dieu désirait résider en chacun, et chaque cœur de chaque juif était appelé à devenir une sorte de Temple. Ce n’est qu’après la faute du Veau d’Or qu’Il a dû réduire Sa résidence à une maison de bois et de pierre (voir Chemoth Rabah 34, 1). Par conséquent, il est tout à fait clair que si les benei Israël n’avaient pas commis la faute du Veau d’Or, l’Eternel aurait fait reposer Sa Chekhinah en chacun d’entre eux, et le bonheur aurait été parfait. Mais désormais, bien que cette faute leur ait été pardonnée et que Sa présence réside parmi eux, surtout le huitième jour, jour d’un niveau qui dépasse toute la nature (ainsi qu’il est écrit : « Donne une part au sept, et aussi au huit » (Ecclésiaste 11, 2)), et que la joie y était aussi grande que le jour où le ciel et la terre ont été créés, elle n’était malgré tout pas totale, car chaque juif regrettait amèrement que la Chekhinah ne soit pas véritablement à l’intérieur de lui, mais seulement dans le Temple. Or on sait que Dieu prend part à toutes les souffrances des benei Israël (Isaïe 63, 9), par conséquent Lui aussi participait à cette peine, si bien que même en haut la joie n’était pas parfaite.

Tout un chacun peut tirer de là une règle de vie et une leçon, en examinant combien il doit regretter de laisser passer la moindre mitsvah sans l’accomplir. Nos Sages nous ont enjoint de ne pas tarder à exécuter une mitsvah qui est à notre portée (Mekhilta Chemoth 12, 17), car même si en fin de compte on la réalise dans tous ses détails, il en reste malgré tout une légère imperfection. On aurait pu s’élever davantage en le faisant immédiatement, et notre temporisation nous a fait perdre ce bénéfice. C’est le même regret qu’on a pour tout ce qui disparaît et qu’on ne peut plus retrouver (Sanhédrin 111a). Bien qu’on se soit repenti et que la faute elle-même ait été effacée, au point qu’on ressemble à l’enfant qui vient de naître (Bekhorot 47a), elle a tout de même laissé une trace, et si l’on commet une nouvelle faute, elle fera renaître le souvenir de la première. C’est ce qui s’est passé avec la faute du Veau d’Or. Le verset dit : « Le jour où je demanderai des comptes, je leur demanderai compte de cette faute » (Exode 32, 34), et la Guemara (Sanhédrin 102a) ajoute qu’aucune catastrophe ne se produit chez les benei Israël qui ne contienne un peu du rachat de la faute du Veau d’Or. Or cela paraît difficile à admettre : pourquoi y aurait-il aujourd’hui une punition de ce péché, alors qu’il y a eu repentir, que ce repentir a été accepté (« J’ai pardonné selon tes paroles » (Nombres 14, 20)), qu’un Sanctuaire a été bâti et que la Présence Divine est venue y résider. Que reste-t-il donc à punir ?

On le comprend parfaitement à la lumière de ce que nous avons dit ci-dessus : bien que la faute elle-même soit effacée et pardonnée, son souvenir demeure, comme dans le verset : « ma faute est devant moi sans cesse » (Psaumes 51, 5), et la perte causée par ce souvenir demeure également. La construction du Temple prouve qu’au lieu de faire résider la Chekhinah en chacun des benei Israël, l’Eternel a dû se contenter d’un Sanctuaire en bois, tout cela à cause de la faute du Veau d’Or. Certes, il y a eu une grande joie dans le ciel, mais il restait aussi malheureusement une peine qui a des prolongements jusqu'à aujourd’hui. Et c’est pourquoi les catastrophes qui viennent en punition de la faute du Veau d’Or s’étendent également jusqu'à nos jours, à notre grand regret.

On peut comparer cette situation à celle d’un homme qui sait qu’en choisissant six numéros justes à la Loterie, il aurait gagné le gros lot, et qui n’a que cinq chiffres justes. Il a de toutes façons gagné un prix respectable, et il y a de quoi se réjouir. Mais sa joie est mêlée de regret à l’idée que s’il avait choisi un autre bon numéro, il aurait gagné le gros lot. Et ce choix imparfait paraît une faute, car il a négligé l’occasion qui se présentait à lui, et il a osé perdre et faire perdre à sa famille une énorme somme d’argent qui aurait pu le faire vivre sans effort, lui et ses descendants.

Dans cette optique, nous allons pouvoir comprendre ce qui s’est passé avec Nadav et Avihou. En effet, s’ils avaient péché en offrant un feu étranger sans en avoir reçu l’ordre (Lévitique 10, 1), pourquoi Dieu les aurait-Il donc considérés comme importants au point de dire « Je me sanctifierai par mes proches » (Ibid. 3), ou encore : « Et vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur » (Ibid.6) ? En fait, il faut comprendre la raison de l’acte de Nadav et Avihou, qui ressemble apparemment à une faute malgré leur grandeur. Il faut aussi comprendre avec précision pourquoi il est dit « la maison d’Israël » pleurera, et non « les benei Israël ».

Voici l’explication que nous proposons. Nadav et Avihou ressentaient profondément la douleur de la Chekhinah, et celle des benei Israël quand ils ont constaté qu’elle ne résidait pas en chacun d’entre eux, mais uniquement dans le Sanctuaire. Malgré la grande joie du huitième jour de l’inauguration, ils ressentaient de la tristesse, et désiraient que la Présence Divine repose en eux directement, et non par un intermédiaire. C’est pourquoi ils ont pris un feu étranger et ont allumé le bois (ETSiM) du brasier, mot qui rappelle ATSMotaï (« mes os »), comme dans : « Tous mes os (ATSMotaï) diront : Seigneur, qui est comme Toi ? » (Psaumes 35, 10). Ils ont introduit l’encens dans le Sanctuaire avec toutes leurs aspirations et leur enthousiasme, car ils voulaient que la Chekhinah réside effectivement en eux, selon le projet initial. Ils ont pensé que quand elle se trouverait dans le Sanctuaire en même temps qu’eux, leur corps se trouverait sanctifié, et que la Chekhinah serait alors en eux-mêmes. Ils savaient qu’ils risquaient la mort mais l’ont acceptée d’avance, pourvu que la Présence divine habite en leur corps.

Nous voyons donc à quel point ils s’étaient rapprochés de Dieu et élevés par leur extraordinaire ardeur, car tous leurs actes étaient orientés vers Dieu. C’est pourquoi Il a dit à leur propos : « Je me sanctifierai par mes proches », et aussi : « Vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur ». Ce qui s’est passé nous enseigne que cela vaut la peine de venir en ce monde, ne fût-ce que pour mériter un tout petit instant de la présence de Dieu dans son corps. Par leur acte, Nadav et Avihou ont cherché à obtenir deux résultats. D’abord, ils voulaient mériter que la Chekhinah vienne effectivement habiter leur corps, sans avoir besoin du tout d’en passer par le Sanctuaire. En second lieu, ils voulaient que les benei Israël ressentent la grande perte qu’ils avaient subie en commettant la faute du Veau d’Or. C’est la raison de l’expression VaYéHi, qui dénote un malheur, car sans cette faute la Chekhinah serait venue reposer en chacun, et personne ne serait mort, alors que désormais le corps ne serait plus capable de recevoir l’écrasante sainteté de la force de la Présence divine, qui ne lui parviendrait plus que comme une ombre.

Et certes, leur acte a frayé un chemin pour toutes les générations, car ils ont obtenu de l’Eternel qu’Il fasse résider Sa Présence à l’intérieur de chaque juste. C’est en effet le désir des justes, et comme on le sait, Dieu « fait la volonté de ceux qui Le craignent » (Psaumes 145, 19). Par conséquent, de même que dans le Temple il était fait dix miracles à nos ancêtres (Avoth 5, 5), et que la Chekhinah y demeurait aux yeux du monde entier, de la même façon le tsaddik peut être considéré comme un Temple, car il est le lieu de nombreux miracles et merveilles, ce qui permet à tout le monde de constater que la Chekhinah repose sur lui. Ce n’est pas en vain que nos Sages ont dit que la mort des justes était plus grave que l’incendie de la maison de Dieu (Roch Hachana 18b, Eikhah Rabah 1, 39) : quand le tsaddik disparaît du monde, la perte est aussi considérable que celle du Temple.

Par conséquent, Dieu a dit : « Et vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur », et non pas « tous les benei Israël ». Cette façon de s’exprimer est une allusion à la Maison de Dieu qui a brûlé, à savoir le Temple. Car quand le tsaddik disparaît du monde, cette perte rappelle l’incendie et la destruction du Temple, et on doit prendre son deuil, le pleurer et dire des lamentations comme le jour de Ticha BéAv où le Temple a été détruit (Ta’anith 26a).

Il ressort de tout cela que Nadav et Avihou n’ont commis aucune faute, comme le prouve le verset « et vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur » : c’est une mitsvah de les pleurer et de porter leur deuil, même le huitième jour où la joie était si grande devant Dieu, parce que l’Eternel ressent une grande peine de la mort des justes, qui sont comme un Temple où Il demeure. Qui peut donc remplacer un tsaddik disparu ? Et pourtant, cette perte peut être comblée, si les benei Israël s’éveillent au repentir en constatant le dommage qu’ils ont subi, eux qui ne bénéficient plus de son influence, qui n’ont plus de qui apprendre, ni de qui recevoir réconfort et encouragements. Par cette prise de conscience, ils incitent Dieu à créer un autre juste comme lui. En effet, il est écrit : « le soleil se lève, le soleil se couche » (Ecclésiaste 1, 5), et les Sages ont ajouté : « Avant que ne se couche le soleil d’un juste, se lève le soleil d’un autre juste (Yoma 38b, Béréchith Rabah 58b, Midrach Hagadol ‘Hayé Sara 23, 1).

Il ressort donc de l’histoire de Nadav et Avihou qu’ils n’ont commis aucun péché, les seuls fautifs étant ceux qui ont fabriqué le Veau d’Or. En effet, sans cet épisode, Dieu aurait résidé en chacun d’entre les benei Israël, et Nadav et Avihou n’auraient pas eu besoin d’agir comme ils l’ont fait. Ils y ont été poussé après la faute, pour que leur corps devienne un sanctuaire, et ils ont mérité la mort. Leur mort n’a donc été provoquée que par la faute du Veau d’Or (c’est à cela que font allusion les ouvrages Orot Israël du Rav de Rozhine, et Beit Israël du Admor de Gour), car ses conséquences les ont poussés à donner leur vie. Certes, elle avait été pardonnée, mais il en restait des traces. Nadav et Avihou ont obtenu par dessus tout que tous les justes puissent devenir un sanctuaire pour Dieu et avoir une profonde influence sur les benei Israël, car sans eux ce genre d’influence serait resté bien en deçà. En réalité, ils sont plus encore qu’un sanctuaire, car un sanctuaire est fait de poutres alors qu’eux ont un corps et une âme divine, et sont évidemment dignes que la présence de Dieu les habite.

Par leur dévouement, Nadav et Avihou ont obtenu que le jour de Kippour, quand on lit la parachah qui les concerne, une force s’éveille dans le ciel pour pardonner aux benei Israël toutes leurs fautes (Zohar III 56b, 57b), que le souvenir du Veau d’Or ne remonte pas à la surface, et que le Satan ne puisse pas accuser les benei Israël (Yoma 20a, Zohar III 63a). C’est uniquement par leur mérite que les justes sont véritablement comparés au Sanctuaire, et même davantage. Cette idée est déjà évoquée dans le verset « Ils les transportèrent dans leur tunique » (Lévitique 10, 5), car on sait que la tunique fait allusion au vêtement que les justes porteront dans le monde à venir, et qui n’est autre que la Présence divine qui les enveloppe. Nous comprenons par là que Nadav et Avihou ont désiré s’élever jusqu'à donner leur vie, et ont ainsi mérité les plus hauts niveaux possibles. Heureux sont les justes, dont Dieu fait la volonté et qui règnent sur toute la Création ! Ils ont également obtenu que les benei Israël s’éveillent au repentir en ressentant leur perte, sans compter que par le contact qu’ils ont eu avec le « vêtement des justes » et avec la Chekhinah, ils se sont trouvé sous une influence très intense et ont été sanctifiés. Dans cet état, la Chekhinah peut descendre et résider en eux, et toutes leurs fautes sont pardonnées.

C’est donc à juste titre que Moïse a dit à son frère Aaron : « Ils sont plus grands que toi et que moi » (Vayikra Rabah 12, 2), ce qui rappelle que Dieu avait dit : « Je me sanctifierai par mes proches » (Lévitique 10, 3). Voici les raisons de cette grandeur : 1) Ils ont rendu le juste semblable à un sanctuaire ; 2) Ils ont provoqué le repentir chez les benei Israël qui regrettaient ce qu’ils avaient perdu, si bien qu’ils ont pu capter l’influence de la présence divine qui les entourait ; 3) Ils ont fait oublier la faute du Veau d’Or; 4) Grâce à eux, le jour de Kippour on évoque leurs mérites et le mérite des Patriarches, et les fautes des benei Israël sont pardonnées ; 5) Ils se sont rapprochés de l’Eternel de manière parfaite, comme il ressort du verset « Je me sanctifierai par mes proches » ; 6) Par-dessus tout, ils ont montré aux benei Israël la grandeur de la perte que leur avait fait subir la faute du Veau d’Or. En effet, le Sanctuaire est fait de bois et Dieu a résidé en lui dans le feu sans qu’il brûle, alors qu’eux sont faits d’un corps et d’une âme et ont été brûlés, par conséquent ils ont constaté que ce bois était plus important que leur corps et leur âme. Mais cette prise de conscience à provoqué le repentir des benei Israël, et ils se sont élevés dans le service de Dieu plus que le bois et la pierre, méritant ainsi que la Chekhinah repose sur eux, et que plus tard Dieu déverse sa colère sur le bois et la pierre (Lamentations 4, 11) au lieu de la leur faire subir, ce qui est énorme ! Tout cela est dû à Nadav et Avihou, qui par leur mort ont expié pour les benei Israël en faisant d’eux-mêmes une sorte de sanctuaire.

 

Le zèle et la joie sont au centre de la sainteté et du service de Dieu
Table de matière
De la solidarité comme assise de la présence divine

 

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