Reconnaître la vérité est une belle qualité

Il est écrit : « Au sujet du bouc expiatoire, Moïse fit des recherches, et il se trouva qu’on l’avait brûlé. Il se fâcha contre Elazar et Ithamar (...) Moïse entendit et il approuva » (Lévitique 10, 16-20).

A propos de : « Il approuva », les Sages ont dit qu’au lieu de prétendre qu’il n’avait pas entendu quelle était la loi, Moïse n’a pas eu honte de dire qu’il avait entendu et oublié (Zeva’him 101b, Torath Cohanim 10, 60). Cette remarque est extrêmement surprenante : d’une part, il ne nous viendrait jamais à l’esprit de soupçonner Moïse notre Maître de mensonge et d’imaginer qu’il puisse nier avoir entendu quelque chose qu’il aurait effectivement entendu. Et d’autre part, comment se fait-il que lui, que Dieu a délégué pour enseigner toute la Torah aux benei Israël, ait pu oublier une halakhah ? Même si nous disons que Dieu a décidé de la lui faire oublier, comment comprendre cette décision, dans la mesure où elle risque de constituer un écueil pour les benei Israël qui vont se dire que s’il a oublié ce point particulier, il en a peut-être aussi oublié d’autres, si bien qu’ils n’auront plus confiance en lui et que cela engendrera des controverses ?

Pour l’expliquer, rappelons que la Torah s’acquiert par quarante-huit qualités (Avoth 6, 5), dont la plus difficile à atteindre est l’humilité. C’est particulièrement ardu pour les grands rabbanim, parce qu’ils tiennent en général à préserver leur honneur personnel en se dépêchant de répondre aux questions qu’on leur pose. Même ceux qui sont au-dessus de la crainte de se déconsidérer en public se soucient de l’honneur de la Torah, car s’ils reconnaissaient d’être trompés et qu’à la suite de cela on en venait à ne plus les écouter de peur qu’ils ne commettent une nouvelle erreur, ce serait une profanation du Nom de Dieu.

C’est pourquoi la Torah témoigne ici de ce que le plus grand compliment à faire à quelqu’un est de dire qu’il ne craint pas de reconnaître la vérité. Au contraire, quand quelqu’un dit « j’ai entendu et j’ai oublié », c’est cela le véritable honneur de la Torah. Notre maître Moïse devait son honnêteté intellectuelle à sa perfection dans l’humilité (cf. Nombres 12, 3). Son oubli était destiné à enseigner à ses fils et aux futurs maîtres qu’on ne doit en aucun cas s’écarter de la vérité, et que la grandeur consiste à la reconnaître, c’est pourquoi Dieu ne l’a pas aidé à se rappeler.

Il existe un enseignement selon lequel à trois reprises, Moïse s’est mis en colère et s’est trompé (Sifri Matoth par. 157, Vayikra Rabah 13, 1). Il semble donc que son erreur n’ait été provoquée que par la colère, ce qui montre à toutes les générations que lorsqu’il s’emporte, même le plus grand est privé de l’aide divine. Avant de s'impatienter, il faut donc bien peser si c’est vraiment nécessaire ou si c’est simplement un conseil du mauvais penchant qui cherche à nous éloigner des acquis de la Torah. Il est possible que le châtiment de Moïse se soit présenté sous la forme d’un oubli de la halakhah (la Torah) justement parce que la colère représente un petit défaut dans l’humilité, qui est l’une des qualités par lesquelles la Torah s’acquiert.

Mais cela nous montre précisément sa grandeur, car il a reconnu qu’il avait oublié la halakhah à cause de son mouvement d’humeur, si bien que Dieu ne l’avait pas aidé à se rappeler. Son humilité l’a poussé à reconnaître son erreur en public dès qu’il l’a découverte, et il a même fait proclamer dans le camp qu’il s’était trompé (Vayikra Rabah 13, 1, Yonathan ben Ouziel), faisant passer la vérité avant tout.

Nous devons en tirer l’enseignement que le chef de la génération n’a pas à craindre que s’il reconnaît s’être trompé, on se méfie désormais de ses décisions en pensant que cela peut lui arriver de nouveau. Si tout le monde constate qu’il a la stature nécessaire pour préférer la vérité à son propre honneur, on n’en fera que plus confiance à sa Torah, car la Torah s’appelle vérité (Yérouchalmi Roch Hachanah 3, 8, Tikounei Zohar 50, Tana Debei Eliahou Zouta 21), ainsi qu’il est dit : « Achète la vérité et ne la vends pas » (Proverbes 23, 23). D’ailleurs quiconque est sincère la reconnaît immédiatement.

On sait que les paroles vraies et bien fondées rentrent dans le cœur de celui qui les entend, comme le dit la Guemara : « Quiconque craint le Ciel, on écoute ses paroles » (Bérakhoth 6b). C’est pourquoi il est dit au moment du don de la Torah : « Tout le peuple voyait les voix » (Exode 20, 16), il a vu ce qu’on entend, ce qui est impossible dans d’autres circonstances (Mekhilta Derabbi Chimon bar Yo’haï Ibid.), parce que les paroles du Dieu vivant, sortant directement de la bouche du Dieu de vérité (d’après Exode 24, 6), sont rentrées dans le cœur de ceux qui les entendaient, exactement comme s’ils avaient vu avec leurs yeux. Cela désigne une compréhension plus profonde que le simple fait d’entendre, et c’est le même genre d’image que celle des lettres de la Torah s’échappant dans les airs (Avodah Zarah 18a). La même chose s’applique au juste qui fait preuve de sincérité.

Il nous reste pourtant à comprendre comment Moïse, qui avait appris toute la Torah de la bouche de Dieu au mont Sinaï (Erouvin 54b), en est venu à se mettre en colère, ce qui l’a mené par la suite à oublier la halakhah. En effet, Aaron avait agi correctement, Moïse se rappelait encore la halakhah, et ce n’est que plus tard qu’il s’est mis en colère, on ne comprend d’ailleurs pas pourquoi. De plus, quand Elazar est venu annoncer aux membres de l’armée : « Voici la mitsvah qu’a ordonnée Dieu » (Nombres 31, 21), il s’est de nouveau irrité (voir Sifri Ibid. 48). Pourquoi ? Il savait pourtant bien de son expérience précédente que cela le mettait en danger de se tromper, et c’est d’ailleurs bel et bien ce qui s’est produit !

Mais comme on le sait, tout se trouve en allusion dans la Torah (Ta’anith 9a, Zohar III 221a), donc l’oubli de Moïse y figure aussi, afin de nous enseigner que même le plus grand de sa génération, s’il se met en colère, en viendra à commettre une erreur dans une halakhah, car la Torah n’est pas au ciel (Deutéronome 30, 12, Baba Metsia 59b), et on se comporte avec l’homme de la même façon qu’il se comporte lui-même (Méguilah 12b, Béréchith Rabah 9, 13). La mitsvah qui a été dite à Aaron : « Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte » (Lévitique 10, 9) avait déjà auparavant été donnée à Moïse au Sinaï, mais dans sa grande humilité (dont on trouve également une allusion dans le petit aleph du mot vayikra, comme s’il disait : « Qui suis-je pour que Dieu m’appelle ? ») il ne le lui a pas rappelé. Et pourtant, cette même humilité ne l’a pas empêché de souffrir de ce que son frère Aaron entre dans le Saint des Saints. Regrettant ce mouvement d’humeur, il a voulu que cette parachah soit dite à Aaron directement par l’Eternel, puisque c’est lui qui devait faire attention en entrant dans le Saint des Saints.

Il en va de même de sa colère envers Elazar et les gens de l’armée. Elle ne portait certainement pas sur le fait que ce soit Elazar qui parle et pas lui, car c’était certainement une grande joie pour Moïse qu’Elazar fils d’Aaron enseigne la halakhah, mais il s’est mis en colère à ce moment-là parce qu’il pensait que la halakhah était différente. Sa grandeur est d’avoir reconnu que son emportement l’avait induit en erreur.

En réalité, nous n’avons aucune notion de ce que signifie la colère de Moïse, car elle était certainement motivée par l’amour du Ciel et non par la jalousie ou la haine. En effet la Torah témoigne que c’était l’homme le plus humble de la terre (Nombres 12, 3), et l’humilité et la colère ne vont pas ensemble. Cela lui est arrivé en réalité pour que toutes les générations en tirent l’enseignement que même le plus grand, s’il se montre irritable, en est puni par l’oubli de la halakhah. Néanmoins s’il ne craint pas de reconnaître la vérité, cette faute est réparée, et non seulement il retrouve son honneur, mais il s’élève aux yeux de Dieu et aux yeux du peuple. C’était la grandeur de Moïse, et elle nous évoque la phrase de la Guemara : « Heureuse la génération où les grands écoutent les petits » (Roch Hachanah 25b), car lorsqu’ils reconnaissent la vérité, ils sont entendus à leur tour. C’est en cela que consiste l’honneur de la Torah.

Comment faut-il se conduire ?

La Torah est entre les mains des grands de la génération, mais s’ils se trompent, ils doivent reconnaître la vérité. Quand cela touche au service de Dieu, et en particulier à la façon d’enseigner la Torah aux benei Israël, un grand Rav ne doit pas craindre d’admettre son erreur. S’il le fait, Dieu lui ouvrira l’esprit, et son honneur n’en sera que plus solide aux yeux de Dieu et aux yeux du peuple.

 

De la grandeur du Kiddouch Hachem
Table de matière
De l’inconvénient de la routine dans le domaine des mitsvoth

 

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