L’évocation du jour de la mort

Le roi Salomon, le plus sage de tous les hommes, a dit : « Mieux vaut aller dans la maison du deuil que dans celle du festin, car c’est la fin de tout homme et le vivant le prendra à cœur » (Ecclésiaste 7, 2).

Cela demande explication. En effet, deux mitsvoth se présentent à nous, l’une qui consiste à consoler des endeuillés, et l’autre à réjouir des jeunes mariés. Comment choisir entre les deux ? Le roi Salomon nous enseigne dans sa sagesse que mieux vaut choisir la maison du deuil. On voit mal pourquoi, étant donné que dans les deux cas il s’agit d’imiter les voies indiquées par l’Eternel. Il est écrit « C’est l’Eternel votre Dieu qu’il faut suivre » (Deutéronome 13, 5), or la Guemara fait remarquer que « Dieu est un feu dévorant (Ibid. 4, 24) et qu’il ne peut donc pas être question de Le suivre (Sotah 14a) mais plutôt d’imiter Ses qualités. Il console les endeuillés, ainsi qu’il est écrit : « Après la mort d’Abraham, Dieu bénit son fils Isaac » (Genèse 25, 11), donc nous devons également les consoler. L’alternative est de réjouir les mariés, or les Sages ont expliqué que quiconque le fait mérite la Torah qui a été donnée par cinq voix, et que c’est comme s’il avait offert un sacrifice de remerciement et comme s’il avait reconstruit l’une des ruines de Jérusalem (Bérakhoth 6b). L’homme devrait donc avoir lui-même le choix de la mitsvah qu’il préfère, manifester sa générosité envers les morts ou envers les vivants.

On peut dire très simplement que le vivant est toujours là même une fois que le moment de la mitsvah est passé, et que si on ne le réjouit pas maintenant on pourra toujours le faire demain ou plus tard, alors que si l’on ne va pas maintenant dans la maison du deuil, « ce qui est tordu ne peut pas être redressé et ce qui manque ne peut entrer en compte » (Ecclésiaste 1, 15), à savoir qu’il sera trop tard, car par la suite la personne ne sera plus en deuil. Il vaut donc mieux aller dans la maison du deuil que dans celle du festin. (Cette explication figure dans le commentaire de Rachi sur le verset de l’Ecclésiaste, où il écrit : « Car c’est la fin de tout homme : la mort est la fin de tous les jours de l’homme, et si on ne lui manifeste pas de générosité maintenant, on ne le pourra plus par la suite, alors que si l’on est invité à la maison du festin et qu’on n’y va pas, on peut toujours dire : « Tu auras un fils et je me réjouirai avec toi, ton fils se mariera et je viendrai » »). C’est une explication qui suit le sens des mots, mais le roi Salomon a mis dans cette phrase une intention plus profonde.

Il veut nous donner la leçon suivante. L’homme a été créé pour pouvoir vivre en ce monde dans le bien et l’amour avec les créatures, donc avec Dieu, puisque : « Celui dont les créatures sont satisfaites, D ; est satisfait de lui » (Avoth 3, 10), ou encore : « Tu trouveras faveur et bon vouloir aux yeux de Dieu et des hommes » (Proverbes 3, 4). Nos Sages ont beaucoup parlé de ce point dans leurs explications sur le verset « Tu aimeras l’Eternel ton Dieu » (Deutéronome 4, 2) en disant : « Efforce-toi que le Nom du Ciel soit aimé à cause de toi. Etudie la Torah écrite et la Torah orale, attache-toi aux Talmidei ‘hakhamim, mène tes affaires avec honnêteté et conduis-toi agréablement avec les gens, afin qu’on dise de toi : heureux son père qui lui a enseigné la Torah, heureux son maître qui lui a enseigné la Torah, voyez comment Untel qui a étudié la Torah se conduit bien et agréablement, c’est de lui que l’Ecriture dit : « Il m’a dit : tu es mon serviteur, Israël, c’est par toi que je me couvre de gloire » (Isaïe 49, 3) ».

Comment donc parvient-on à vivre en paix et dans l’agrément avec les autres et avec Dieu ?

Pour cela, il faut se rappeler le jour de la mort. Nous prendrons alors conscience que nous ne sommes rien, une vanité des vanités sur terre, et que nous finirons par mourir, car « la fin de tout homme est la mort » (Bérakhoth 17a). De cette façon, nous aurons sans cesse à l’esprit un repentir total, selon le conseil des Sages : « Repens-toi un jour avant ta mort » (Avoth 2, 10), et de crainte de mourir demain, on passera toute sa vie en repentir. Comment rend-on ce souvenir présent ? Le roi Salomon dans sa sagesse nous enseigne la voie à suivre et les actes à accomplir. Lorsque nous observons la mitsvah de consoler l’endeuillé et que nous voyons les enfants du défunt dans leur peine, nous envisageons de nous repentir et le jour de la mort se présente à notre esprit, car c’est l’essentiel de l’homme, et à ce moment-là nous pouvons en tirer la leçon. Alors que dans la maison du festin (quoique là aussi, on puisse se rappeler le jour de la mort, si on réfléchit à la nature de la joie des jeunes époux, qui savent qu’ils vont engendrer des fils et des filles, et qu’une génération chasse l’autre... comme le dit Alcheikh sur le verset qui nous occupe), la grande joie fait en général oublier le principal, à savoir que nous sommes venus au monde pour le perfectionner avant de disparaître. C’est pourquoi le roi Salomon a préféré la maison du deuil à celle du festin : dans la maison du deuil, on envisagera de se repentir et on se rappellera le jour de la mort, ensuite on pourra aller à la maison du festin, car l’influence du premier lieu nous y accompagnera, et nous serons récompensés des deux mitsvoth à la fois.

Mais même si l’homme se souvient du jour de la mort et envisage de se repentir, comment peut-il savoir qu’il fait effectivement ce que Dieu attend de lui ?

Il est déjà question de ce point au début de Bérakhoth (5a) : « La marche à suivre est d’exciter son bon penchant contre son mauvais penchant. Si on le surmonte, parfait, sinon qu’on étudie la Torah. Si on le surmonte, parfait, sinon qu’on lise le Chema. Si on le surmonte, parfait, sinon qu’on lui rappelle le jour de la mort. » Cela signifie que pour l’essentiel, le souvenir du jour de la mort vient par l’étude de la Torah (et le Chema, qui est le fait d’accepter le joug du Royaume de Dieu). En commençant directement par cette étude, on aura le souvenir de la mort sans cesse gravé dans le cœur et on se gardera toujours de fauter, car ces trois choses n’en font qu’une : par l’acceptation du joug du Royaume des Cieux et la Torah, on obtient de se souvenir toujours du jour de la mort.

On trouve cette idée explicitement exprimée dans la sainte Torah, à propos du verset : « Voici la règle (« la Torah »), un homme qui meurt dans la tente » (Nombres 19, 14), ce que la Guemara interprète en disant que la Torah ne subsiste que chez celui qui se tue pour elle (Bérakhoth 63b). Le ‘Hafets ‘Haïm oppose à cela qu’il est écrit explicitement que la Torah est faite pour qu’on en vive (Lévitique 18, 5), et non pour qu’on en meure (Yoma 85b).

Mais d’après ce que nous avons dit, l’enseignement est clair : comment la Torah engendre-t-elle la vie en quelqu’un ? Quand il se tue pour elle, à savoir qu’il se souvient sans cesse du jour de la mort. Comment y parvient-il ? En se trouvant « dans la tente » ! A ce moment-là le souvenir du jour de la mort et l’étude de la Torah le feront vivre effectivement, en ce monde et dans le monde à venir.

De plus, l’étude de la Torah aide l’homme à revenir à Dieu de tout son coeur, ainsi qu’il est écrit : « La Torah de Dieu est parfaite, elle ranime l’âme » (Psaumes 19, 8). Les Sages ont dit sur ce verset : : « Qu’ils m’oublient, pourvu qu’ils observent ma Torah » (Yérouchalmi ‘Haguigah ch. 1 par. 7, Peti’htah DeEikhah 2), car la lumière qui est en elle a le pouvoir de les ramener au bien. Le Zohar (sur Lévitique 23) dit que la Torah rappelle à l’homme ses devoirs, c’est-à-dire qu’elle lui montre le chemin du retour à Dieu et la façon de réparer ses fautes, donc il se repent totalement.

C’est pourquoi le roi Salomon a dit : « Il est bon (« Tov ») d’aller dans la maison du deuil », car la Torah s’appelle « Tov », ainsi qu’il est écrit : « Je vous ai donné un bon (« tov ») cadeau » (Proverbes 4, 2), or « Il n’y a de bon (« tov ») que la Torah. Cela signifie que lorsqu’on se rend à la maison du deuil s’éveillent dans le cœur des pensées de repentir, alors il y a « tov », on commence immédiatement à étudier la Torah, car c’est elle qui montre à l’homme comment se rapprocher de Dieu. On se rappellera aussi le jour de la mort, et on vaincra le mauvais penchant, tout cela au moyen de l’étude, car : « J’ai créé le mauvais penchant, je lui ai créé la Torah comme antidote » (Kidouchin 30b), ou encore : « Si tu rencontres cet infâme (à savoir le mauvais penchant), traîne-le à la maison d’étude, si c’est une pierre elle ramollira, et même du métal éclatera » (Ibid. 30a), tout cela par le mérite et la force de l’étude de la sainte Torah.

Nous comprenons désormais parfaitement ce que dit le Midrach (voir Yalkout Me’am Loez sur Deutéronome 34, 5 – p. 1429, et pour plus d’explications, Yalkout Me’am Loez sur Josué 1, 1-2, à propos des consolations de Dieu sur la mort de Moïse, p. 3) : « Au moment où Moïse est mort, Josué pleurait et avait un chagrin immense, et lui et tout Israël pleuraient et criaient tout haut : Mon père, mon père, mon maître, mon maître ! Mon père car tu m’as élevé, et mon maître parce que tu m’as enseigné la Torah. Ils ont pleuré ainsi pendant longtemps, jusqu’à ce que le trentième jour la prophétie repose sur eux. Dieu a alors dit à Josué : Jusqu’à quand vas-tu pleurer sur lui ? Est-il mort uniquement pour toi ? Pour Moi aussi il est mort, car depuis sa mort Je suis en deuil ! »

L’ouvrage Palgueï Maïm pose la question de savoir ce que Dieu reprochait à Josué : même si Lui prenait le deuil de Moïse, était-ce une raison pour qu’il soit interdit à Josué d’en faire autant ? Le même raisonnement pourrait aussi bien s’appliquer en sens inverse ! Pourquoi Josué n’aurait-il pas le droit de ressentir lourdement le deuil de notre maître Moïse ? L’auteur donne sa propre réponse.

Mais d’après ce que nous venons de dire, c’est très clair. En prenant le deuil de Moïse, Josué cherche à se rappeler le jour de la mort. Mais Dieu, Lui, sait que ce souvenir, en particulier lorsqu’il s’agit de la mort de Moïse pour les benei Israël, s’acquiert essentiellement par l’intermédiaire du repentir et de l’étude de la Torah. C’est quand on étudie la Torah qu’on se souvient du jour de la mort, , c’est pourquoi Dieu a dit à Josué : il suffit que Moi Je prenne son deuil, toi tu dois continuer la voie qu’il a tracée, ainsi qu’il est écrit : « Josué fils de Noun était rempli d’un esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains » (Deutéronome 34, 9), ou encore « Moïse a reçu la Torah du Sinaï et l’a transmise à Josué » (Avoth 1, 1). Il est par conséquent souhaitable qu’il ne reste pas en deuil trop longtemps, mais enseigne plutôt aux benei Israël à mener le combat de la Torah, car s’il prolonge trop son deuil ils n’étudieront plus et ne se souviendront pas du jour de la mort. C’est pourquoi Dieu reproche à Josué de s’enfoncer dans son deuil plutôt que d’enseigner la Torah aux benei Israël. Par ailleurs en ce qui concerne Dieu il n’y a aucune erreur possible, donc Lui doit prendre le deuil de notre maître Moïse. Cela nous permet de comprendre ce qu’ont dit les Sages : « Josué a oublié trois mille lois pendant le deuil de notre maître Moïse » (Temourah 16b, Yalkout Chimoni Josué 1, 4, passage qui commence par « Véata »). Pourquoi ? Il a été puni par Dieu de n’avoir pas commencé à enseigner la Torah aux benei Israël immédiatement après la mort de Moïse, mais d’avoir préféré continuer à porter le deuil. Cette attitude a entraîné l’oubli de trois mille lois, car le souvenir du jour de la mort vient essentiellement par l’étude de la Torah, qui mène l’homme au repentir total, et non par un deuil prolongé. Nous pouvons par conséquent ajouter : ceci étant, quand Dieu a trouvé Josué plongé dans l’étude (Yalkout Chimoni Josué 1, fin du par. 4), ce qui était la bonne attitude, Il lui a dit : Sois ferme, Josué, sois vaillant, Josué, que ce livre de la Torah ne quitte pas ta bouche, car c’est le but du repentir et du souvenir du jour de la mort.

C’est pourquoi le roi Salomon a dit qu’il fallait préférer la maison du deuil à celle du festin (voir le Yalkout Meam Loez sur Josué, 1, 1-2, qui s’étend longuement sur la valeur de la consolation à prodiguer aux endeuillés et donne des explications sur notre verset). La raison en est que « c’est la fin de tout homme », il se souviendra ainsi du jour de la mort. Comment ? « Le vivant le prendra à cœur », quand il prendra à cœur de se repentir et d’étudier la Torah, alors se réalisera en lui « afin qu’il en vive », de la sainte Torah.

 

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