La mitsvah de chemittah : fondement de la foi, et amour du prochain

Il est écrit : « Parle aux benei Israël et dis leur : quand vous arriverez vers le pays que Je vous donne, la terre chômera en l’honneur de l’Eternel » (Lévitique 25, 2). Rachi demande au nom des Sages : « Quel rapport y a-t-il entre la chemittah et le mont Sinaï, toutes les mitsvoth n’ont-elles pas été données au Sinaï ? », et répond : « De même que la chemittah, ses principes généraux et tous ses détails ont été donnés au Sinaï, c’est aussi le cas de toutes les mitsvoth », ce qui signifie que tous les détails de toutes les mitsvoth ont été donnés au Sinaï (Torath Cohanim 25, 2).

Or cela ne répond en rien à la question de savoir pourquoi la Torah a choisi précisément la mitsvah de chemittah pour nous donner cet enseignement, plutôt que n’importe laquelle des six cent treize mitsvoth. On a d’ailleurs du mal à comprendre cette précision sur les détails des mitsvoth : ne suffit-il pas de la mitsvah elle-même ?

En outre, pourquoi les Sages ont-ils dit que les benei Israël ont été exilés de leur pays à cause de la faute de la chemittah, soixante-dix années d’exil représentant soixante-dix années pendant lesquelles la chemittah n’avait pas été respectée (Chabath 33a, Rachi Lévitique 25, 18) ? Pourquoi ici évoque-t-on la chemittah comme cause de l’exil, alors qu’il y a eu des fautes beaucoup plus graves qui ont valu l’exil et la destruction du Temple, comme l’idolâtrie, le meurtre et les relations interdites (Avoth 5, 9, Chabath Ibid., Zohar I, 27b), et que le Zohar (II, 175b) parle d’un reniement envers Dieu ? Pourquoi citer la faute de la chemittah et pas les autres ?

Il semble que tout cela soit lié et provienne d’un affaiblissement dans l’étude de la Torah. Ainsi, le prophète s’écrie : « A cause de quoi le pays a-t-il été perdu, parce qu’ils ont abandonné ma Torah » (Jérémie 9, 11-12), c’est-à-dire que même si l’homme passe sa journée entière à faire des mitsvoth, elles ne lui seront d’aucun secours s’il ne s’investit pas dans l’étude de la Torah, comme l’ont dit les Sages sur le verset « Si vous marchez dans mes décrets » (Lévitique Ibid.) : cela désigne l’étude de la Torah dans l’effort (Torath Cohanim 26, 3), qui mène à l’accomplissement des mitsvoth, ainsi que l’explique Rachi (dans le passage qui commence par « si vous observez mes mitsvoth ») ; en effet, il est écrit : « Apprenez-les et observez-les pour les faire » (Deutéronome 5, 1), ce qui signifie que par l’étude on peut arriver à l’observance des mitsvoth. La raison en est que la mitsvah comporte des principes généraux, des détails et des précisions circonstanciées, et qu’on ne peut y adhérer dans toute sa minutie qu’en se donnant du mal dans l’étude, faute de quoi on ne saura pas en observer les moindres détails.

C’est ce qui s’est passé à l’époque du Temple. On étudiait la Torah, mais sans assiduité, c’est pourquoi l’application dans les détails en souffrait ; c’est cela que désigne l’expression « ils ont abandonné ma Torah ». La Torah enseigne donc à la fois les principes généraux et les détails des mitsvoth, car s’il y manque la moindre chose, c’est comme si l’on n’avait pas observé la mitsvah du tout. Encore faut-il expliquer pourquoi cet enseignement est donné précisément à propos de la chemittah.

Pour ce faire, commençons par citer ce que dit Rabbi Akiba sur le verset « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18) : « C’est un grand principe de la Torah » (Yérouchalmi Nédarim ch. 9, 4). A priori, il a dû s’inspirer de Hillel l’Ancien, qui a dit : « Ce qui t’est détestable, ne le fais pas à autrui » (Chabath 31a). Mais d’où Rabbi Akiba a-t-il appris que c’était un grand principe de la Torah ?

Quand on regarde de près les mitsvoth de la chemittah, il semble bien que c’est l’enseignement qu’elles contiennent. La chemittah s’applique aux riches comme aux pauvres, tous sont égaux devant elle. Ce n’est pas seulement le riche qui doit ouvrir son champ à tous pour qu’il soit possible d’y entrer et de manger ce qu’on désire ; c’est aussi le pauvre, lui aussi doit mettre son champ et sa vigne à la disposition de tous, pour autant qu’il ait un champ. Il n’en laissera pas la jouissance uniquement à ceux qu’il connaît (ce qui lui procurerait des bénéfices dans l’avenir), mais de la même façon à ceux qu’il ne connaît pas, riches ou pauvres. La mitsvah concerne également l’esclave et la servante, ainsi qu’il est écrit : « Pour toi et ton serviteur et ta servante et ton salarié et l’étranger qui habite avec toi » (Lévitique 25, 6) : maintenant le maître n’a plus aucun pouvoir sur eux, et ils ont le droit de profiter de son champ.

On apprend donc de la chemittah le grand principe de l’amour du prochain, de l’aide à apporter non seulement aux proches mais à tout homme, fût-ce un ennemi, et cela entraînera la paix, puisque l’ennemi viendra lui aussi prendre ce qu’il veut dans le champ de son adversaire. On fera la paix même avec son serviteur et sa servante qu’on a pourtant l’habitude de réprimander, car eux aussi viendront se servir dans ce champ.

La Guemara (Yébamoth 62b) raconte que Rabbi Akiba avait douze mille paires de disciples et que tous sont morts à la même époque, parce qu’il ne se conduisaient pas avec respect les uns envers les autres. C’est excessivement surprenant, puisque Rabbi Akiba est celui qui a dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est un grand principe de la Torah ». Comment se fait-il alors que ses disciples aient manqué de respect mutuel, transgressant ainsi l’enseignement de leur maître ? De plus, ce n’étaient pas des gens simples, il y avait parmi eux de très grands tsaddikim, comme Rabbi Méïr (Erouvin 13a), Rabbi Yéhouda (Ibid. 41a), Rabbi Yossi (Pessa’him 18a), Rabbi Elazar ben Chamoua (Zeva’him 93a) et Rabbi Chimon bar Yo’haï (Méïlah 7a). Comment est-ce possible qu’eux n’aient pas porté plus d’attention à ce qu’avait dit leur maître et se soient conduits sans considération l’un pour l’autre ?

Quand on regarde de près les termes employés par la Guemara, on le comprend parfaitement. Elle parle de « paires » de disciples, et à l’intérieur de ces paires il y avait tout le respect voulu envers l’autre, mais pas envers ceux qui ne faisaient pas partie de ce couple. C’était cela leur péché, ne pas avoir appris de la mitsvah de chemittah à respecter et aimer tout un chacun du peuple d’Israël.

On voit donc parfaitement pourquoi la Torah a évoqué ce sujet précisément à propos de la chemittah. C’est parce que d’elle dépendent tous les grands principes de la Torah, l’amour du prochain et de tout homme d’Israël. C’est pourquoi Rabbi Akiba a dit que la mitsvah « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est un grand principe de la Torah, et tout cela a un rapport clair avec le mont Sinaï, à propos duquel il est dit : « Pourquoi s’appelle-t-il Sinaï ? Parce que de là est partie la haine (« Sinah ») de tous les peuples du monde » (Chabath 89a), et aussi : « La Torah a été donnée sur le mont Sinaï parce qu’il s’est abaissé et conduit avec humilité » (Sotah 5a, Béréchith Rabah 99a). Par conséquent on apprend du mont Sinaï l’humilité (et l’amour du prochain), il a enseigné l’humilité à Moïse, ainsi qu’il est écrit : « Moïse a reçu la Torah du Sinaï » (Avoth 1, 1), à savoir qu’il a reçu l’humilité du Sinaï, il est d’ailleurs dit de lui : « L’homme Moïse était extrêmement humble » (Nombres 13, 3). Donc quand on rassemble les mitsvoth de la chemittah, le mont Sinaï et Moïse notre maître, on comprend vraiment à quel point il faut se conduire humblement, et avec quel amour pour le prochain, car d’une part, pendant la chemittah tout est à la disposition de tous, et d’autre part, le mont Sinaï s’est abaissé, si bien que pendant l’année de chemittah, tout homme doit s’abaisser devant tout un chacun.

D’après ce que nous avons dit jusqu’à présent, ajoutons qu’il ne suffit pas de l’humilité ni de l’amour du prochain pour acquérir la Torah. Les Sages ont dit (Zohar ‘Hadach Ytro 39a) qu’en Egypte, les benei Israël étaient plongés dans les quarante-neuf portes de l’impureté, et que lorsqu’ils en sont sortis, ils ont reçu quarante-neuf jours pour se purifier avant d’arriver au don de la Torah. Un laps de temps si court suffit-il vraiment pour passer des quarante-neuf portes de l’impureté aux quarante-neuf portes de la pureté afin de recevoir la Torah au Sinaï ? De plus, il s’agit de la « génération de la connaissance » (Vayikra Rabah 9, 1), et pour arriver à un pareil niveau, il faut travailler dur pendant de nombreuses années à perfectionner les quarante-huit qualités par lesquelles la Torah s’acquiert (Avoth 6, 5). Et s’il faut tant d’années pour améliorer une seule de ces qualités, cela représente un travail gigantesque d’arriver à la perfection dans les quarante-huit, particulièrement pour les benei Israël, qui avaient pratiqué l’idolâtrie en Egypte (Chemoth Rabah 16, 2), et étaient plongés dans les quarante-neuf portes de l’impureté.

L’explication est que pendant ces quarante-neuf jours, ils n’ont pas travaillé sur toutes les qualités nécessaires à acquérir la Torah, mais sur une seule [d’ailleurs le mot midah, « qualité », a la valeur numérique de quarante-neuf...], qui est la foi. C’est grâce à elle que le Saint béni soit-Il leur a donné la Torah, car pendant quarante-neuf jours ils ont progressé dans son perfectionnement, avec l’aide de tous les miracles qu’ils avaient vus en Egypte et sur la mer. En effet, toute la Torah et toutes les mitsvoth dépendent de la foi, ainsi qu’il est écrit : « Toutes tes mitsvoth sont foi » (Psaumes 119, 86), et la Guemara (Makoth 24a) rapporte que Habacuc a ramené toutes les mitsvoth à une seule, comme il ressort du verset : « Le juste vivra par la foi » (Habacuc 2, 4). L’homme qui croit est celui qui mérite la Torah et tout ce qui s’acquiert avec elle, à savoir la vitalité, car elle s’appelle vie (Avoth Derabbi Nathan 34, 10a), c’est pourquoi le Saint béni soit-Il a attendu quarante-neuf jours pour que les benei Israël puissent perfectionner leur foi.

Mais la foi n’est pas non plus suffisante : il faut aussi arriver à l’humilité et à l’amour du prochain, ce que l’on constate dans le verset : « Israël campa là en face de la montagne » (Exode 19, 2), campa au singulier, « comme un seul homme, avec un seul cœur » (Mekhiltah Ytro). Quand nous entrons dans une synagogue avec révérence, nous devons savoir devant qui nous nous tenons, devant le Saint béni soit-Il (Testament de Rabbi Eliezer Hagadol 18), mais nous devons aussi savoir que nous nous tenons devant une communauté sainte et honorable, qui porte la ressemblance de Dieu. C’est cela « devant qui tu te tiens », devant des gens qui sont marqués du signe de la divinité. Par conséquent, comment peut-on prier Dieu quand on a ses ennemis en face de soi [alors que comme on le sait, avant la prière il faut accepter la mitsvah de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »] ? Cela donnerait l’impression qu’on méprise l’image de Dieu.

La foi et l’amour du prochain sont donc deux compagnons inséparables et complémentaires (nous en avons déjà longuement parlé ailleurs). C’est pourquoi trois jours de préparation ont été donnés aux benei Israël avant le don de la Torah (Exode 19, 10-15), pour qu’ils campent au pied de la montagne comme un seul homme avec un seul cœur, et qu’ils perfectionnent la foi et l’amour du prochain. C’est le sens du verset : « Ils se sont installés au pied de la montagne » (Ibid. 19, 17) : bien qu’ils aient déjà atteint un niveau quasiment semblable à celui des anges, ils se sentaient malgré tout aussi insignifiants que le bas de la montagne, et se sont appliqués à eux-mêmes un raisonnement a fortiori : Si le mont Sinaï qui s’est abaissé a mérité que la Torah soit donnée sur lui, à plus forte raison l’homme qui s’abaisse méritera-t-il la Torah. Ils se sont débarrassés de l’orgueil, car le Saint béni soit-Il ne peut pas cohabiter avec l’orgueilleux (Sotah 5a), et ils ont vraiment réussi à atteindre l’humilité et l’amour du prochain, en y ajoutant la foi, car tout cela est lié, et ce mérite leur a valu de recevoir la Torah au mont Sinaï.

Ainsi que nous l’avons dit, c’est cela le rapport entre la chemittah et le mont Sinaï : s’abaisser, se conduire envers tous avec amour et humilité, et croire en Dieu, ce qui représente le fondement de la chemittah. Alors on peut mériter la Torah, dont les Sages ont dit : « Les paroles de Torah ne subsistent que chez celui qui se considère lui-même comme inexistant » (Sotah 21a, Tan'houma Tavo 3).

On peut aussi donner une explication de la chemittah qui relève de l’allusion et du secret. A notre époque, nous nous trouvons en exil sous le joug des descendants d’Ichmaël, fils de Hagar servante de Sarah. C’est une situation qu’on peut qualifier de « servante qui hérite de sa maîtresse », or on sait que les forces de l’impureté s’appellent « servante » (Zohar III 69a), et aussi « esclave » (Ibid. 82b), c’est pourquoi la Torah nous a ordonné, pendant l’année de chemittah, de tout mettre à la disposition de tous, en donnant aussi leur part à l’esclave, à la servante et à l’étranger, pour ne leur laisser aucun prétexte à nous accuser. Et bien que les forces de l’impureté accusent sans cesse les benei Israël (Tikounei Zohar 69, 109a), et qu’un accusateur ne se transforme pas en défenseur (Bérakhoth 59a, Kidouchin 5a), quand cet accusateur-là a reçu sa part et voit que le peuple d’Israël se conduit dans les voies de Dieu, il se transforme en défenseur.

Comment faut-il se conduire ?

De la mitsvah de chemittah qui a été donnée au mont Sinaï, nous apprenons l’extrême importance de l’humilité et de l’amour du prochain. Si quelqu’un veut mériter la Torah, il doit aimer son prochain, et non seulement son prochain mais tout homme d’Israël, et aussi s’investir dans l’étude et la pratique les mitsvoth avec exactitude, ainsi que dans la foi en l’Eternel.

 

La terre observera les Chabath de l’Eternel
Table de matière
La mitsvah de chemittah, fondement de la liberté de l’homme

 

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