Contre le mauvais penchant, le sang de l’agneau pascal et de la mila

« Mais Je passai auprès de toi et Je te vis t’agiter dans ton sang (…)» (Ye’hezkel 16:6). Cette célèbre métaphore du prophète, citée dans la Haggada, évoque, selon nos Sages (Mekhilta Bo), le sang du korban Pessa’h et de la mila.

Pourquoi fallait-il ce sang de deux provenances différentes ? Pourquoi ne pas s’être contenté, d’une part, du sang de la circoncision, qui aurait tout autant pu être badigeonné sur les linteaux, et de l’autre, d’attacher l’agneau au pied des lits, afin de faire plier les forces du mal ?

Cette question, récurrente dans les écrits kabbalistiques, appelle, me semble-t-il, une explication quant à la nature du Satan. Il existe de fait deux types de mauvais penchant que l’homme doit toujours s’efforcer de combattre et de vaincre. Le premier s’attaque plutôt au « cerveau », à la tête de l’homme, en tentant d’y introduire des pensées répréhensibles, pour le pousser à la faute. Ce processus est brillamment décrit par Rachi (Chela’h 15:39) : « L’œil observe, le cœur désire et le corps est vecteur de l’action. »

Le second s’en prend plutôt à l’homme dans le domaine des plaisirs matériels permis, afin de lui faire franchir la barrière de l’interdit. Car si l’homme tire une jouissance dans le domaine matériel, même s’agissant de choses permises, il en arrive finalement à tirer profit de choses interdites.

Afin que l’homme surmonte ces deux genres de mauvais penchant, la Torah lui imposa deux actes : la circoncision et le korban Pessa’h. Le sang de l’agneau pascal faisait pendant au mauvais penchant qui fait trébucher l’homme dans le domaine matériel, comme le sang des sacrifices, dont il est interdit de tirer profit, tandis que le sang versé à travers la circoncision faisait pendant au mauvais penchant qui s’attaque à l’esprit. En effet, en préservant la sainteté de ce signe d’alliance, l’homme mérite d’être qualifié de « saint » (Zohar I 162a). Faisant plier les forces impures qui s’en prennent à son esprit, il purifie ainsi ses pensées à l’extrême.

Or, ne l’oublions pas, ces deux types de mauvais penchant sont liés. Ainsi, il est impossible de parvenir à une pureté de pensée si, en même temps, on mange et boit à outrance – si l’on ne s’est pas fixé de barrières, de limitations dans le domaine du permis. Le travail de l’homme est donc de sacrifier sur l’autel ces deux penchants qui le combattent simultanément. De ce fait, le sang de la mila seul, pas plus que celui des sacrifices, n’est suffisant, et c’est pourquoi le prophète emploie une formule double : « Par ton sang, vis ! Par ton sang, vis ! »

« Que pas un seul d’entre vous ne franchisse la porte de sa maison jusqu’au matin » (Chemot 12:25), les avertit le Créateur, face à cette double preuve d’abnégation. Et nos Sages de commenter (Baba Kama 62a) : « Lorsque permission est donnée au destructeur de laisser libre cours à son pouvoir, il ne distingue pas le tsaddik du racha (le juste du mécréant). » Afin que les Hébreux ne fussent pas eux aussi touchés par la plaie des premiers-nés, ils devaient donc impérativement rester à l’abri chez eux.

En outre, par le mérite de l’abnégation dont les enfants d’Israël firent preuve, D. leur fit don, pour toutes les générations, de cette nuit si particulière, « nuit des gardes » (Chemot 12:42) placée à l’abri des créatures malfaisantes (Pessa’him 109b).

Au sujet de cette remarquable abnégation, le Créateur s’écrie, par l’organe du prophète (Yirmyahou 2:2) : « Je t’ai gardé le souvenir de l’affection de ta jeunesse (…), quand tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte. » Les enfants d’Israël étaient alors en effet dans la fleur de l’âge, aussi innocents et dévoués que des enfants n’ayant jamais goûté le parfum de la faute.

Cela va également nous permettre de répondre à la célèbre question concernant l’aspersion du sang sur le pourtour des portes. Etait-ce indispensable pour que le Créateur puisse établir la distinction entre aînés et cadets (cf. Baba Metsia 61b), entre Juifs et non-juifs ? Même sans signe distinctif, dans Son omniscience, Il aurait pu faire le tri.

Mais en vérité, le véritable objet de cet impératif était de transmettre un message à Ses enfants : de même qu’Il avait « sauté » par-dessus les demeures des hébreux sans les toucher, tout homme doit « enjamber » le mal et ne choisir que le bien. Mais comment parvenir à un tel niveau ? Le secret : un dévouement de tous les instants, permettant de distinguer les mitsvot des fautes, le bien du mal.

Or, si l’on veut que le Créateur ait envers l’homme un comportement empreint de miséricorde, tout en « enjambant » l’attribut de rigueur, il faut fournir un effort ici-bas, tout « éveil d’en bas » ayant un écho dans les sphères supérieures – ce que l’on appelle l’« éveil d’en haut » (Zohar I 77b, 88a).

En vérité, l’accusation pesant sur les enfants d’Israël était de taille, au point que le Saint béni soit-Il dut « sauter » par-dessus leurs maisons. Comme Il l’indique Lui-même (Chemot 12:13) : « Je verrai le sang et Je sauterai sur vous », dans le sens de « J’épargnerai ». En effet, lorsqu’un décret pèse sur le peuple juif, l’attribut de rigueur redouble toujours de force pour accuser l’homme, lui faire payer le prix de ses errements. Pour y échapper, il faut alors vraiment que l’Eternel, pour ainsi dire, « fasse un saut » – décide de fermer les yeux sur ceux-ci.

Pour éveiller cette Miséricorde divine, l’homme doit témoigner un important dévouement, à l’instar de celui dont firent preuve les enfants d’Israël lorsqu’ils badigeonnèrent du sang sur le pourtour des portes – le sang est d’ailleurs un symbole d’abnégation. Il faut par ailleurs éviter soigneusement tout acte interdit, qui pourrait éveiller l’attribut de rigueur et causer les pires dégâts, voire même, que D. préserve, l’extermination.

Il est rapporté dans la Guemara (Meguila 12a) que les élèves de Rabbi Chimon bar Yo’haï l’interrogèrent :

« Pourquoi tous les persécuteurs des enfants d’Israël que comptait cette génération – celle d’A’hachvéroch – entreprirent-ils de les anéantir ?

Répondez par vous-mêmes, leur répondit le maître.

Parce qu’ils jouirent du banquet de cet impie. »

Une autre raison est ensuite évoquée : pour s’être prosterné devant une idole, à l’époque de Nevoukhadnétsar (Nabuchodonosor).

Pourtant, dans la chronologie de l’Histoire, A’hachvéroch ne vient pas immédiatement après ce despote. Pourquoi, dans ce cas, le décret de génocide ne devait-il prendre effet qu’à ce moment-là ?

Si le Saint béni soit-Il n’entreprit pas de punir les Juifs déjà à l’époque, c’est parce qu’ils avaient alors agi sous la contrainte, un peu comme en Egypte. En revanche, au moment du banquet d’A’hachvéroch, il semblerait que nombre d’entre eux arboraient sur leurs vêtements des effigies païennes, à l’image de celle portée par Haman. De plus, en faisant leur entrée dans le palais pour participer au festin, ils se prosternèrent vraisemblablement devant des idoles, ce en quoi ils étaient loin d’être innocents ou forcés. De ce point de vue, même si l’on avance qu’ils ne consommèrent pas de mets non-cachère, cette faute était suffisamment grave pour les placer en très mauvaise posture. Rétroactivement, leur faute de l’époque de Nevoukhadnétsar devenait plus grave, comme s’ils s’étaient prosternés de bon cœur.

Cette analyse nous permet d’aboutir à la conclusion qu’il faut éviter scrupuleusement tout interdit de sorte à éveiller la Miséricorde de l’Eternel et Sa protection de toute nuisance. Pour y parvenir, il faut Le servir avec abnégation, à l’instar de nos pères qui, en Egypte, étalèrent le sang de l’agneau idolâtré des Egyptiens sur le chambranle des portes. Puissions-nous ainsi mériter d’arriver prochainement à la Délivrance finale, en nous inspirant de cet exemple !

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